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Le jour où Michel Hidalgo a failli être kidnappé

Par Régis Delanoë
Le jour où Michel Hidalgo a failli être kidnappé

Une route de campagne, des malfrats armés, un sélectionneur menacé d'un pistolet et contraint de se diriger vers un sous-bois, le tout dans un contexte national et international de grande tension, alors que la si controversée Coupe du monde en Argentine est sur le point de débuter... Retour sur le 23 mai 1978, jour d'un des événements les plus insolites de l'histoire de l’équipe de France.

Mardi 23 mai 1978, veille du départ de l’équipe de France pour l’Argentine, où elle doit disputer une Coupe du monde qui débute huit jours plus tard. L’événement est de taille pour un football tricolore qui n’a plus disputé la plus prestigieuse des compétitions internationales depuis le Mondial 1966 en Angleterre. Grande classe, le vol direction Buenos Aires doit s’effectuer en Concorde, au départ de Paris, avec escale à Dakar. Michel Hidalgo, à la tête de la sélection depuis 1976, vient de passer un dernier week-end de repos en Gironde avec sa femme. Les deux sont un peu pressés, un train les attend en gare de Bordeaux, pour les amener à Paris rejoindre la délégation tricolore, joueurs et staff. Les valises dans le coffre, ils prennent la route ce mardi matin, avec Michel au volant. Alors qu’il circule sur la commune de Saint-Savin, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bordeaux, une voiture arrivée derrière l’oblige à se stationner sur le bas-côté d’une route peu fréquentée. Hidalgo s’exécute et voit deux hommes débouler de l’autre véhicule. L’un d’eux, armé d’un pistolet, lui intime l’ordre de quitter le volant et de le suivre, direction le sous-bois situé à quelques mètres de là, tandis que l’autre agresseur s’installe à sa place dans la voiture, aux côtés de Monique Hidalgo.

Proche de la démission

« Dites-moi ce que vous voulez ! » implore le sélectionneur à l’homme qui le met en joue, le canon de l’arme pointé dans son dos. Pas d’autre réponse qu’un « on va faire un tour dans le bois » menaçant. Craignant que le pire puisse arriver dans le bosquet qui se rapproche mètre après mètre, Hidalgo tente une manœuvre désespérée en se retournant brusquement, tentant de saisir le pistolet des mains de son agresseur. Sur le coup de la surprise, ce dernier laisse tomber l’arme par terre et n’a pas le temps de la récupérer qu’elle se retrouve désormais entre les mains d’Hidalgo. La rocambolesque tentative d’enlèvement est un fiasco, les deux pieds nickelés regagnent leur propre véhicule et quittent les lieux précipitamment. Avant de regagner la gare, le sélectionneur des Bleus fonce chez les flics porter plainte et ramener l’arme, qui s’avère être non chargée. Clairement, les agresseurs n’étaient pas des professionnels. À chaud pourtant, Hidalgo est proche de la démission. C’est ce qu’il raconte ensuite au JT du soir d’un tout jeune Jean-Pierre Pernaud.

Il faut dire que cet événement surréaliste s’inscrit dans un contexte très pesant pour les membres de l’équipe de France, qui sont confrontés à un dilemme : faut-il aller disputer cette Coupe du monde en Argentine ? La question mérite d’être posée, alors que le pays est dirigé depuis le 24 mars 1976 par une junte militaire féroce dirigée par le sinistre Jorge Videla. Le gouvernement d’Isabel Peron renversé, la dictature fait régner la terreur, et malheur à ceux qui s’y opposent. Les autres formations politiques et les syndicats sont interdits, les journaux muselés. Quelques mois avant le début de la compétition, un rapport d’Amnesty International fait état de 10 000 assassinats et de 15 000 disparus. À quelque 800 m de l’Estadio Monumental de Buenos Aires où doit avoir lieu la finale, se trouve la tristement célèbre École de la Marine, où l’on pratique la torture à la chaîne d’opposants au régime. La FIFA, qui a octroyé l’organisation de l’épreuve avant le coup d’État de 1976, préfère fermer les yeux. Réflexe identique chez les pays participants. Certains estiment hypocritement que ce voyage en Argentine sera l’occasion de juger sur place et de témoigner (sauf que depuis les hôtels 5 étoiles, on distingue assez mal les exactions faites sur le petit peuple…). D’autres se rangent plus pragmatiquement derrière la règle de l’apolitisme sportif. Hidalgo notamment, pour qui « la politique est une chose, le sport en est une autre » . Ou le gardien Jean-Paul Bertrand-Demanes, qui se justifie quelques semaines avant le début de la compétition : « Moi, je suis un professionnel du football, pas un politique. Qu’on ne me demande pas de mélanger les deux. »

Le boycott de Cruyff

Et la population, qu’en dit-elle ? Pas grand-chose en réalité. D’après un sondage de l’époque, deux tiers des Français sont opposés à toute forme de boycott. Douze ans que la France du foot attend de disputer un Mondial, ce n’est pas les saloperies d’une dictature qui vont l’en empêcher. Même la sphère politique est très majoritairement favorable à la participation des Bleus. Tous les bords ont leurs intérêts à défendre : la droite au pouvoir craint de briser les relations diplomatiques et surtout économiques avec l’Argentine (coopération militaire – oui, oui – et financière, par l’octroi de prêts) ; le PS a un pouvoir à conquérir et ne veut pas prendre le risque de se mouiller sur un sujet qui indiffère une majorité de citoyens ; enfin le PCF craint que cautionner l’idée d’un boycott ne donne des idées à d’autres, alors que se profilent deux ans plus tard les controversés Jeux olympiques de Moscou… Pourtant, en France comme dans d’autres pays européens – la Suède, les Pays-Bas (Cruyff et Van Hanegem refuseront de se rendre en Argentine), l’Allemagne… –, des voix s’élèvent en faveur d’une annulation ou d’un déplacement de la compétition.

COBA vs Burson-Marsteller

Dans l’Hexagone, dix ans après Mai 68 et alors que des milliers d’opposants politiques sud-américains y trouvent refuge, une constellation de groupuscules de gauche et d’extrême gauche se mobilise. Ils se réunissent en décembre 1977 derrière le COBA, comité pour le boycottage de la Coupe du monde. Leurs actions sont nombreuses et pacifistes : distribution de tracts, meeting à La Mutualité, manifestations… Un journal satirique, L’Épique est édité et vendu à plus de 100 000 exemplaires. Un disque, Argentine Solidarité, est également mis en vente. Sur la pochette, on lit : « Lorsque vous applaudirez le onze de France, les acclamations couvriront le bruit des personnes que l’on torture » , ou encore : « Solidarité avec le peuple argentin en lutte ! » Une pétition réunit en quelques semaines plus de 150 000 signataires, dont quelques intellectuels et stars : Halter, Sartre, Aragon, Clavel, Signoret… Le COBA bénéficie même pendant un temps d’un écho à l’international, mais privé de soutien politique, son agitation reste vaine. D’autant qu’en face, la dictature de Videla a fait appel au géant de la communication Burson-Marsteller pour soigner son image à l’international. L’agence, spécialisée dans la relation publique de crise (Monsanto, Philip Morris, Exxon, entre autres clients…), a commencé à travailler pour l’État argentin avec l’aval d’Henry Kissinger, le secrétaire d’État américain…

Clairement, le COBA n’est pas de taille à revendiquer un quelconque boycott du Mondial argentin, transformé en une vaste opération de communication de Videla et de ses sbires. L’occasion est trop belle pour le général de donner une image de respectabilité de son régime à l’international et d’unir le peuple argentin derrière sa sélection, dans un contexte de grèves multiples. S’agit-il pour autant de membres du COBA qui, dans le désespoir et bien maladroitement, ont tenté d’enlever Hidalgo sous les yeux de sa femme, dans cette petite route de campagne en Gironde ? Rien ne l’a jamais prouvé. Ce jour même du 23 mai 78, une revendication anonyme était rendue publique. Elle expliquait que l’agression du sélectionneur devait être un moyen « d’attirer l’attention sur l’hypocrite complicité de la France, qui fournit du matériel militaire en Argentine » . Après ce tumultueux épisode, Hidalgo a rejoint la délégation tricolore, qui a bien pris le Concorde et disputé cette foutue Coupe du monde dans une ambiance dégueulasse et par un froid de gueux. Victoire finale et attendue de l’Argentine à domicile, joie de Videla. Ce dernier est mort en prison le 17 mai 2013, à l’âge de 87 ans. Personne ne l’a pleuré, lui.

Hidalgo, avant le coach, il y avait le joueur
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