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Le jour où la Ligue 1 a découvert Pauleta

Par Arnaud Clement
Le jour où la Ligue 1 a découvert Pauleta

Jubilatoire pour les uns, cauchemardesque pour les autres, le millésime 2000-2001 du derby de l'Atlantique, Nantes-Bordeaux, a marqué chaque camp. Pour l'ampleur du score en faveur des visiteurs, 5-0, mais aussi car il est le théâtre des premiers coups de griffes fulgurants de l'Aigle des Açores.

Atlantico : nm, terme inventé pour définir les confrontations entre Bordeaux et Nantes en football. Une affiche qu’on qualifie volontiers de derby de l’Atlantique, entre deux villes distantes de plus de 300 bornes, donc. Pourtant, ces rencontres, si elles n’ont de derby que le nom, ont deux points communs. D’abord une capacité à déclencher des buts en cascade et de sacrées volées, infligées à domicile comme à l’extérieur. La moyenne de buts par match en 115 confrontations entre Canaris et Girondins grimpe quand même à 2,76, avec des toises mémorables, comme le 6-4 bordelais en coupe en 1981, les gifles nantaises du début des années 80, dont un set blanc en 1983, ou les 5-0 bordelais des années 1988 et… 2000, celui qui nous intéresse aujourd’hui. Quant à l’autre dénominateur commun de ces parties océaniques, il découle du premier : des pertes de mémoire récurrentes.

14 ans après la démonstration des hommes au scapulaire à la Beaujoire, les Nantais ont la mémoire de Jeanne Moreau. Un vrai trou noir qui empêche par exemple Raynald Denoueix, Éric Carrière et Nicolas Laspalles de restituer clairement les faits de jeu de ce match. Seul le souvenir d’un homme émarge dans cette marée d’incertitudes, un certain Pedro Miguel Pauleta. « Concernant ce match, je suis désolé, il n’y a rien qui me revienne. Par contre, je me rappelle juste d’une chose, j’avais demandé des renseignements avant le match sur Pauleta, qu’on connaissait peu. Et on m’avait vanté son jeu de tête » , tente de se remémorer le sorcier d’entraîneur nantais. « Je me souviens que j’étais alors latéral droit quand je suis arrivé de Guingamp, mais pas du joueur que j’avais au marquage, si c’était Laslandes ou Dugarry, et encore moins des buts. Bon, par contre, Pauleta… » , abonde Nicolas Laspalles, aujourd’hui revenu dans les Côtes-d’Armor, à la préformation de l’EAG.

Pauleta casque d’or

Après une belle quatrième place, le groupe girondin toujours emmené par Élie Baup galère au début. Trois nuls, deux défaites et peu de buts claqués le placent même seizième et premier relégable après cinq journées, malgré la présence dans le groupe de plusieurs champions de France 1998 (Dugarry, Laslandes) ou d’internationaux (Wilmots, Legwinski, Smertin, Afanou, Ramé). Jean-Louis Triaud choisit alors de mettre la main au portefeuille à hauteur de neuf millions d’euros quand même, pour un pur numéro 9 barré à La Corogne par Diego Tristán et Roy Makaay : Pedro Miguel Pauleta. L’homme a toujours ou presque claqué ses dix buts minimum en D3 ou D2 au Portugal, puis en D2 et en D1 en Espagne, mais reste méconnu en France malgré l’Euro 2000. Il a très vite l’occasion de se faire un nom, Élie Baup choisissant, seulement deux jours après son arrivée dans l’Hexagone, de le titulariser pour le déplacement à Nantes.

En face, la formation des Canaris est encore fragile. Malgré la victoire en coupe contre Calais et leur début de saison honorable – trois succès pour un nul et un revers –, ils restent sur un dernier exercice à essayer de ne pas descendre : « On avait frôlé la catastrophe quelques mois avant en championnat, se souvient Éric Carrière, et la dynamique était alors loin d’être enclenchée pour nous. La preuve, c’est quand même un sacré paradoxe d’en prendre cinq chez toi et d’être champion derrière. » Orphelins de Sibierski, les Nantais sont pourtant bien armés avec Landreau, Fabbri, Monterrubio, Ziani, Da Rocha ou Moldovan. Mais pas assez pour contenir Pauleta, qui épate en une mi-temps et confirme ses prédispositions aériennes. 24e minute, Dugarry déborde à droite et envoie un centre en cloche au second poteau pour le Portugais. Quelques pas pour se démarquer et se placer, un saut de cabri et un coup de caboche plus tard, la balle est retombée dans la lucarne de Landreau. Comme pour montrer la marche à suivre à ses partenaires, le professeur Pedro Miguel rejoue la scène à ses partenaires vingt minutes plus tard, avec Laslandes dans le rôle du passeur. La France vient de faire connaissance avec ce casque d’or bientôt surnommé l’Aigle des Açores.

Carrière et les partenaires qui grimacent

« Il n’était pas énorme dans le jeu comme peut l’être Ibra. Avec sa puissance et sa facilité, on peut se dire parfois qu’il joue contre des enfants. Pauleta était, lui, discret. Mais ce qui était impressionnant, c’était vraiment cette capacité à produire le geste juste. Il nous a punis sur presque chacune de ses occasions » , revoit Éric Carrière. Le futur meilleur joueur du championnat est rejoint dans son analyse par Nicolas Laspalles : « On avait été dominés techniquement et physiquement par Bordeaux, mais Pauleta n’était pas le plus pesant. Par contre, avec cette intelligence, ces déplacements, ce positionnement toujours à la limite du hors-jeu et cette adresse… Quel buteur ! » Une description qui colle parfaitement au scénario du troisième but, le Lusitanien exploitant cette fois en roublard une perte de balle coupable d’Olembé à l’heure de jeu pour s’en aller crucifier Landreau et le FCNA. Trois à zéro, Pedro peut sortir peinard pour voir depuis la touche Wilmots et Laslandes terminer le travail et les Canaris s’embourber comme jamais. Un non-match qui allait constituer une cassure dans leur saison gagnante.

« On prend un vrai coup au moral et derrière, si je me souviens bien, on perd à Paris, on a une vraie mauvaise passe(NDLR : trois défaites et un nul en septembre). Mais avec un groupe très soudé, puisque la plupart des mecs étaient du cru, on a réussi à redresser la barre » , se rappelle Laspalles, l’éducateur des U15 de l’En Avant. Son compère Carrière, aujourd’hui consultant de l’équipe Canal +, en garde un souvenir amer. Et pour cause : « C’était mon 100e match en L1 ce jour-là. Donc j’étais préposé pour aller à la rencontre des partenaires dans les salons du club après la rencontre. Comme les supporters, ils peuvent être aussi durs parfois, mais je leur ai expliqué qu’on était passé à travers et qu’on se reprendrait. Ce qu’on a fait, mais sur le moment, tu imagines… » Nul doute que quelques-uns lui posèrent des questions sur cette trouvaille girondine et le pourquoi de cette insolente réussite. Une efficacité qui allait faire plier plus d’une arrière-garde, même regroupée.

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