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Le jour où El Biar a éliminé le grand Stade de Reims

Par Flavien Bories et Kevin Charnay
Le jour où El Biar a éliminé le grand Stade de Reims

Le 2 février 1957, le mythique stade de Reims, au sommet de son art, affronte la modeste équipe algéroise d'El Biar, en seizièmes de finale de Coupe de France. Contre toute attente, le SCUEB va s'imposer. Ainsi naquit la légende du petit Poucet.

Ambiance étrange, pesante au Stadium de Toulouse. Sur fond de guerre d’Algérie, peu de spectateurs ont fait le déplacement pour assister à un match déjà couru d’avance. Et pourtant. Dès la quatrième minute de jeu, un certain Guy Buffard ouvre le score sur coup franc pour le Sporting Club Union d’El Biar. En face, le Stade de Reims, triple champion de France, vainqueur de la Coupe de France et récent finaliste de la Coupe des clubs champions européens, a la tête basse. Face à Piantoni, Vincent, Hidalgo, Jonquet et Jacquet, se dresse une équipe de division d’honneur emmenée par Buffard l’entraîneur-joueur, Benoît le monteur en radio, Chakhor l’agent de police, Florit le représentant en produits de beauté, les militaires Issaad et Almodovar, et Taberner l’électricien…

La Coupe de France dégage pour la première fois quelque chose de magique, où l’écart entre petit et gros est réduit le temps d’une rencontre. Pour des Algérois déjà vainqueurs de Montpellier et d’Aix-en-Provence, clubs de deuxième division aux tours précédents, l’entame de match est inespérée, mais l’issue encore incertaine. Vingtième minute, comme dans le plus beau des scénarios, Almodovar laisse Jonquet sur place et double la mise. El Biar 2, Reims 0. Les champions sont touchés, ne réalisent pas, râlent après l’arbitre et lui rappellent un penalty oublié quelques instants plus tôt pour une faute d’Issaad sur Glovacki. Mais rien à faire. Même le prolifique Hidalgo loupe l’occasion de réduire l’écart. Le tournant du match.

Guy Buffard supporter et bourreau rémois

Les joueurs algérois disputent là le match de leur vie. Pour l’entraîneur-joueur Guy Buffard, c’est celui de ses rêves. Âgé de 33 ans, celui qui est sans doute passé à côté d’une belle carrière peut presque tout rattraper en l’espace d’une rencontre. Ce fan inconditionnel du… Stade de Reims, premier adhérant de la section de supporters « Allez Reims » , fut stoppé dans son envol à cause de la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’il débute à 17 ans sous les couleurs du Red Star Algérois, il est mobilisé et participe aux campagnes de France et d’Italie dans un régiment de tirailleurs tunisiens. Ce match est un clin d’œil du destin, un cadeau dont il savoure chaque instant. Fier d’aligner une équipe dont les aspirations tactiques proviennent de son club favori, Buffard connaît mieux que quiconque les points forts et les faiblesses de son adversaire du jour. Et avant la rencontre, il a pu échanger quelques mots où se mêlent admiration et prise d’informations avec son idole, Albert Batteux. « On a longuement discuté. Il voulait que je lui donne quelques conseils sur la préparation, sur l’entraînement » , se souvenait l’entraîneur de Reims dans les colonnes de L’Équipe. Sur le ton de la rigolade, Buffard lui a même demandé de lever le pied au cas où les Rémois mèneraient trop vite au score.

À la mi-temps, ce sont pourtant les Algérois qui font la course en tête. L’atmosphère est surréaliste dans le vestiaire. Euphoriques, les joueurs lorgnent sur les bouteilles de champagne offertes par le président rémois Henri Germain et déposées dans le coin du vestiaire. Si seulement ils pouvaient arrêter le temps et savourer cette avance qui ne sera peut-être qu’un lointain souvenir à la fin du match. Non. Il faut se reconcentrer, retourner sur le terrain et affronter une bête blessée, un champion humilié. Le Grand Stade de Reims ne peut pas perdre et encore moins de cette manière. Et l’absence de Just Fontaine, consigné par l’armée pour raison disciplinaire, ne saurait justifier une défaite. Au retour des vestiaires, Reims part à l’abordage et fait le siège du but adverse. Pendant toute la seconde période, les Algérois sont soumis à des assauts répétés. Mais rien n’y fait. Les montants et le gardien Paul Benoît repoussent toutes les tentatives. « Notre adversaire tire trois fois et réussit deux buts. Nos avants shootent à vingt reprises et manquent tout. C’est à désespérer » , déplore alors le président Germain. Au coup de sifflet final, c’est la libération, la consécration. Un exploit d’autant plus grand que Reims concède la première défaite de son histoire face à une équipe nord-africaine.

Un symbole

Au-delà de l’exploit sportif, cette victoire du club de division d’honneur revêt une symbolique toute particulière. Depuis un mois, Alger vit dans la peur. D’un côté, les terroristes multiplient les attentats à la bombe dans les cafés et autres lieux public. De l’autre, les parachutistes du général Massu n’hésitent pas à torturer pour obtenir des informations. Depuis le 7 janvier 1957, la bataille d’Alger sévit. Autant dire que le parcours d’El Biar, composé aussi bien de pieds-noirs que de Nord-Africains, fait figure d’immense bol d’air dans l’actualité algéroise. Les joueurs sont accueillis en héros à leur retour. Le maire de la ville, Jacques Chevallier, ainsi que des milliers de personnes les attendent à l’aéroport. L’euphorie est telle que quelques supporters zélés manquent de renverser l’avion en grimpant sur une des ailes. Mais la magie de la Coupe de France ne dure qu’un temps et est vite rattrapée par la réalité. D’abord, d’un point de vue sportif, puisqu’El Biar est corrigé 4-0 par Lille en huitièmes de finale. Mais surtout, une semaine après le match face à Reims, deux bombes explosent dans les stades d’El Biar et Belcourt. Bilan : dix morts, quarante-cinq blessés.

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