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Le jour où Dimitri Payet a gagné le seul titre de sa carrière

Par Pierre-Philippe Berson, à La Réunion / photos: Stephan Lai-yu
Le jour où Dimitri Payet a gagné le seul titre de sa carrière

La Ligue 1 reprend et avec elle l’espoir de voir Dimitri Payet soulever un trophée. Chat noir du foot français, perdant de toutes ses finales, le Marseillais n’a remporté qu’un seul titre: la coupe de La Réunion 2004 avec l’Excelsior Saint-Joseph. Retour sur une épopée faite de coups de tête dans le mur, de vols à l’étalage et de petits crochets.

Hosman Gangate est un homme qui a la poisse. Dans sa jeunesse, il rêvait de devenir footballeur professionnel. À 20 ans, il se blesse gravement au genou et range ses crampons. Il bifurque ensuite en fac d’Histoire avec l’espoir de décrocher un master, mais se fait voler sa valisette contenant toutes ses archives et documents de recherches. Il effectue alors un dernier virage dans son orientation professionnelle et choisit le coaching. Déterminé à chasser les démons de la mauvaise fortune, Hosman Gangate la joue audacieux et méticuleux pour ses grands débuts en 2003 sur le banc du club de l’Excelsior Saint-Joseph. « J’instaure un 442 en zone avec défense à plat et un gros pressing » rejoue vingt ans plus tard cet homme à lunettes et à la clope facile, admirateur de Christian Gourcuff. Le dispositif ne plaît pas à tout le vestiaire de cette équipe semi-professionnelle de D1 réunionnaise. Les envies, les préceptes et le jeune âge du coach agacent. Thierry Robert, cousin de Laurent Robert, ancien du Stade rennais claque la porte avant le début de la saison et rejoint le rival honni de l’USS Tamponnaise. La poisse serait-elle de retour ? Hosman le craint.

Il était tout chétif, même pour un U15. Dans le jeu réduit, le ballon lui collait au pied, il puait le foot.

Le miracle survient au début de la saison suivante, en 2004. Hémisphère sud oblige, à La Réunion la saison débute en mars et se termine en décembre. Après un premier exercice convenable, Hosman Gangate rempile sur le banc. Lors d’un entraînement de présaison il voit se pointer à l’horizon une pépite tout droit sorti des U15 du club, un gringalet timide avec de gros sourcils et un pied droit soyeux. Hosman Gangate revit la scène: « Il nageait dans son maillot. Il était tout chétif, même pour un U15. Dans le jeu réduit, le ballon lui collait au pied, il puait le foot. Il a même marqué un but de la tête. On se regarde avec mes joueurs. On se dit:‘Il vient d’où lui? C’est qui ce mec?’ » . Il s’appelle Dimitri Payet et il a 15 ans. Immédiatement intégré dans l’équipe A, il joue avec des hommes qui ont le double de son âge et font deux fois son poids. Le minot s’installe dans le couloir gauche, en joker de luxe les premiers mois, puis titulaire la seconde partie de saison. Le maillot orange et noir de l’Excelsior va lui servir de tremplin pour une carrière qui a bien failli exploser avant le décollage.

Faux 9 et vol à l’étalage

En 1998, lors d’un match en métropole, Dimitri Payet tape dans l’œil des recruteurs du HAC. Il joue à l’époque à la JS Saint-Pierroise et n’a que 11 ans. Malgré son jeune âge, il rejoint l’Hexagone, seul, à 11 000 km de chez lui pour intégrer le centre de formation normand. Après quatre ans sous le crachin havrais, il rentre à La Réunion la tête baisse. Il n’a pas été gardé. Trop chétif paraît-il. Trop turbulent, aussi. « Il aurait piqué dans le portefeuille de sa famille d’accueil, enfin c’est ce qu’on raconte, moi j’ai jamais parlé de ça avec lui »esquive Miguel Guezello son entraîneur des U15 à l’Excelsior. Le petit Payet revient à La Réunion dégouté, à deux doigts d’arrêter le football, mais pas les conneries. Lors du stage d’avant-saison avec l’Excelsior, il part à l’île Maurice pour un match amical contre l’AS Port Louis 2000. La veille de la rencontre, les joueurs sont dans leur chambre d’hôtel. Hosman Gangate et les dirigeants sortent siffler un cocktail et reviennent vers minuit à l’hôtel. Dimitri traîne dans le hall, l’air hagard et un peu emmerdé. « Il a chouré dans une boutique et il s’est fait prendre, une histoire de vol à l’étalage » cafte un dirigeant. Le lendemain, Hosman Gangate opère un recadrage public:« Je l’attrape devant tout le monde et l’engueule en lui disant qu’il ne se rend pas compte de la chance qu’il a d’être dans le groupe, qu’on lui fait confiance qu’il doit être à la hauteur. Les mecs sont sérieux, s’il veut réussir il faut être sérieux. » Le serrage de vis porte ses fruits.

Remplaçant le match suivant, Hosman le fait s’échauffer toute la seconde mi-temps tout en sachant qu’il ne le fera pas rentrer. Dimitri encaisse. Titulaire la rencontre suivante, il marque. Puis, au fil des semaines, la fusée Payet se prépare au décollage. « Je le faisais jouer en faux 9, légèrement sur la gauche. Avec ses petits crochets, il éliminait facilement »frétille encore Hosman Gangate. Le gamin termine la saison à 12 buts et 10 passes dé. Surtout, il propulse presque à lui seul son équipe en finale de la coupe de La Réunion. En quart de finale, il marque le but de la victoire contre Saint-Benoît à 2 minutes de la fin grâce à un coup franc excentré avec rebond qui termine dans le petit filet opposé. En demi-finale contre les Avirons, il livre un récital. En finale, l’Excelsior retrouve l’USS Tamponnaise, le rival de toujours, le champion en titre, le gros club de La Réunion avec son million d’euro de budget « qui nous prend clairement de haut » rumine Hosman Gangate. Le match est prévu le 5 décembre 2004. Dimitri Payet sait que c’est sa dernière rencontre avec l’Excelsior avant un nouveau départ dans un grand club français.

Fin de La Réunion

Quelques mois plus tôt, Vincent Bracigliano, alors en charge du recrutement du FC Nantes, assiste au match de l’Excelsior contre l’AS Jeanne d’Arc, le club du Port, la commune ouvrière de l’île. Une équipe d’assassins qui pratique le tacle à la jugulaire. La rencontre est hachée, on craint le pire pour les chevilles de Dimitri. En début de match, le n°9 de l’Excelsior, Jean-Philippe Javary se fait sécher. Le défi physique tourne à la provocation. Javary réplique:« Sur l’action d’après, je fracasse le mec. Je prends un jaune, tout le stade crie‘Javary assassin’ » . Séduit par l’aisance technique de Dimitri Payet, par sa maturité et son sens du courage au milieu de cette vendetta, Bracigliano lui propose d’intégrer le centre de formation des Canaris. Payet refuse. Pas envie de rentrer en métropole. Fini l’éloignement. Ses parents insistent, Dimitri persiste: non, il ne veut vraiment pas quitter La Réunion. Ce sont ses coéquipiers qui vont le faire changer d’avis. L’Excelsior est une équipe de darons à la carrière brisée ou avortée. Certains ont eu leur chance en pro et l’ont laissé passer, comme Jean-Noël Ajorque, le père de Ludovic. « À 18 ans je suis parti à Lens, je suis resté trois ans comme stagiaire. Je débute avec les pro, sur le banc, pour la saison 93-94. Ma femme tombe enceinte de Ludovic. Au bout de 6 mois, je renonce et je rentre à La Réunion ».

Destin similaire pour Mickaël Tseng-Thon, le gardien de but. Promis à un bel avenir, il passe le concours de l’INF Vichy, qui ne s’appelait pas encore Clairefontaine. Il a pour concurrents Grégory Wimbée et Guillaume Warmuz. Le Réunionnais finit premier aux tests physiques, mais il est recalé, trop petit. Son 1m75 le prive d’un avenir pro. « Bien sûr que j’ai des regrets » évacue-t-il. Même amertume chez Jean-Philippe Javary. Formé à Montpellier, il signe un doublé en 1996 : Vainqueur du championnat d’Europe U18 avec Nicolas Anelka et Thierry Henry, il remporte la même année la Gambardella. La suite? Une longue dégringolade avec des passages à l’Espanyol Barcelone puis l’Angleterre, Sheffield, l’Écosse. « Une carrière de merde »résume cet attaquant à coupe afro et chaussettes basses. Il débarque à la Réunion pour découvrir l’île natale de son père et voit en Dimitri Payet un jeune prometteur qui ne doit pas reproduire les mêmes erreurs: « À son âge, j’avais jamais connu l’échec, j’ai démarré tout en haut et j’ai fini en bas. Lui devait faire l’inverse. On l’a tous motivé à partir à Nantes. Avec nous il est devenu un homme. »

Une cagnotte pour acheter des doudounes

Saint-Joseph, la ville de l’Excelsior, est la commune la plus australe de France. En-dessous, c’est l’Antarctique. Située tout au sud de la Réunion, elle subit de fortes précipitations et essuie des averses toute l’année. Le club, lui, connaît une longue période de sécheresse. Il n’a pas remporté le moindre trophée depuis 1974. Dimitri Payet et ses coéquipiers veulent donc offrir une nouvelle ligne au palmarès de leur club. Le jour du match au stade de Saint-Denis, Hosman Gangate organise un pic-nic, l’ambiance est détendue. Javary sort son kayamb, un instrument traditionnel à percussion et entonne des morceaux de maloya, la musique du coin. « On va gagner, j’en suis certain » balance-t-il devant le groupe sidéré. Quelques minutes avant le coup d’envoi, changement d’ambiance. Le même Javary sort une bouteille d’eau et y plonge une grosse poignée de Guronsan. « La bouteille fumait, Javary boit le truc puis met des coups de tête dans le mur et harangue tout le monde » se marre encore Hosman Gangate. Le match est serré. En fin de rencontre Dimitri provoque un penalty, transformé par Javary, puis, à la 85e, il sort. Standing ovation. Des grosses larmes roulent sur ses joues de gamin. L’Excelsior l’emporte 2-1. Quelques jours plus tard, après les festivités, l’équipe lui réserve une surprise avant son envol pour la Loire-Atlantique. Ils louent la salle des fêtes de Manapany et organisent une cagnotte. Ils savent que le budget de la famille Payet est plutôt serré avec un père employé de l’ONF et une mère fonctionnaire au Centre Communal d’Action Sociale de Saint-Philippe. « Chacun avait mis un billet pour que Dimitri s’achète des trucs, des doudounes par exemple. Il a fait un discours, bon, c’était pas un grand orateur » rigole Mickaël Tseng-Thon.

Payet ne veut pas quitter La Réunion. Ce sont ses coéquipiers qui vont le faire changer d’avis.

Quasiment un an jour pour jour après sa victoire en coupe de la Réunion, le 17 décembre 2005, Dimitri Payet fait ses débuts en Ligue 1. Il rentre en jeu à Lescure contre les Girondins de Bordeaux. Depuis, il empile les saisons, enchaîne les clubs, mais son palmarès ne bouge pas d’un iota. Pire, les trophées semblent l’éviter comme la peste. En 2001, il rejoint le LOSC juste après le titre de champion de France. La même année, il perd la finale du Trophée des champions puis en 2013 il rejoint l’OM en pleine pagaille, avant une pige à West Ham, dont le dernier trophée remonte à 1980… Il est sur la pelouse lors de la défaite en finale de l’Euro en 2016. Il échoue en finale de la Ligue Europa deux ans plus tard, se blesse, rate le mondial et échoue de nouveau en 2020 à accrocher un Trophée des champions. Cette disette n’a pas échappé aux supporters du PSG, ni à Hosman Gangate et sa poisse légendaire. « À Saint-Joseph, on a un mauvais karma,rigole celui qui est devenu Directeur Technique Régional de La Réunion, il va bien finir par remporter une coupe. »


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