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Le jour où Anelka a éteint Wembley

Par Romain Duchâteau et Maxime Brigand
Le jour où Anelka a éteint Wembley

Elle venait d'être championne du monde. Sept mois après le sacre de Saint-Denis, l'équipe de France débarque à Wembley avec un nouveau chapitre à écrire, un nouveau statut à défendre et à confirmer. Elle n'y avait jamais gagné. Pourtant, le 10 février 1999, un soir d'amical anecdotique, un homme va faire tomber la belle Angleterre à lui tout seul. Il n'a alors même pas vingt ans, son nom : Nicolas Anelka.

Il a son casque sur les oreilles, ses lunettes rondes et un large sourire. « Magnifique soirée, une grande grande joie parce qu’on en avait pris des branlées ici. Et puis des belles et puis des bonnes. Je me souviens d’un 5-0 où les Anglais criaient « We want six, we want six ». On n’a pas remis les pendules à l’heure, mais disons qu’on a l’air un petit peu moins ballot. » Thierry Roland se frotte les mains. Ses Bleus l’ont fait. Gagner à Wembley, terre des combats vains pour l’équipe de France de football. Une victoire, certes amicale, après laquelle elle courait depuis un demi-siècle. Nous sommes le 10 février 1999. Il fait froid sur Londres. La France est championne du monde. Wembley, lui, est un mythe, « un temple » , raconte aujourd’hui Robert Pirès, présent sur le terrain il y a plus de seize ans. Il y a eu 1945, un lendemain de guerre face à la horde de Stanley Matthews. 1957 également et une explosion nette en une demi-heure à peine (0-4). Puis 66, 69, 92…

Le complexe est lourd : l’équipe de France n’a jamais fait tomber celle qu’elle adore détester, l’Angleterre, à Wembley. Ce jour-là, pourtant, tout va changer, tout sera désormais différent. Il y a trente ans, Roger Lemerre était tombé en tant que joueur. Ce soir de février 1999, l’ancien international s’installe sur le banc. Il a succédé à Aimé Jacquet à la tête des Bleus. En sortant du terrain, au micro du débutant Jeanpierre, Roger se lâche – pas trop quand même : « On pensait être mis plus en difficulté, mais l’Angleterre a plongé face au talent français. Quant à la ferveur de Wembley, j’ai l’impression qu’elle tend à disparaître. Cette ferveur existe encore au niveau des clubs comme Chelsea, Liverpool ou Arsenal. Mais au niveau de Wembley, c’est un point d’interrogation. Peut-être qu’un mythe est en train de disparaître. » Oui, ce soir de février 99, Wembley n’a pas gueulé et a opté pour le silence. Devant le talent d’un gamin. Lui n’a pas été champion du monde. Lui a quitté le château avant tout le monde quelques mois auparavant. Il joue à Londres, à Arsenal. Il va vite, trop vite. Nicolas Anelka vient d’inscrire un doublé.

« On était attendus »

Au-delà du prestige de l’affiche et de la rivalité entre les deux nations, la rencontre a également à l’époque un arrière-plan particulier. Français et Anglais pensent à l’Euro, ils ne pensent même plus qu’à ça. La compétition est seize mois plus tard, en Belgique et aux Pays-Bas. Champions du monde en 1998 sur leurs terres, les hommes de Roger Lemerre surfent sur une série de seize matchs sans défaite. « C’était un match où on était très attendus. Notre image avait changé, on était les champions du monde maintenant, se remémore Robert Pirès, lequel évoluait alors à Marseille. Le regard de nos adversaires avait changé aussi. À l’époque, Wembley était un temple. Il y avait beaucoup de français en Angleterre. Ginola et Cantona nous avait ouvert la voie, les meilleurs du groupe étaient soit en Angleterre, soit en Italie. Au final, un Angleterre-France, c’est toujours passionnant. » Après une entame timide dans les éliminatoires avec un nul en Islande (1-1, 5 septembre 1998), les Tricolores se reprennent le mois suivant en écartant difficilement la Russie (2-3, 10 octobre) et en battant Andorre avec une formation quelque peu remaniée (2-0, 14 octobre).

L’Angleterre, elle, ne montre pas autant de confiance et est en quête de certitudes. Écartée dès les huitièmes de finale lors du Mondial 1998, la sélection a été précipitamment et provisoirement confiée à Howard Wilkinson, arrivé en lieu et place de Glenn Hoddle. Ce dernier, viré notamment en raison de déclarations tapageuses sur les handicapés, a clos son mandat avec un revers en Suède (2-1, 5 septembre) et un nul contre la Bulgarie (0-0, 10 octobre), avant une victoire plus logique que convaincante face au Luxembourg (0-3, 14 octobre). Malgré les dynamiques antinomiques, Roger Lemerre refuse d’endosser le costume de favori, rappelant les vertus de combat et de ténacité de son rival. « C’est un challenge formidable, s’enthousiasmait-il avant le match. Au niveau de la manière, nous devrons être à la hauteur de notre titre de champion du monde. On a tout de même des devoirs. Qu’on le veuille ou non, les Anglais ont inventé un jeu qui consiste à gagner du terrain. Ils y tiennent beaucoup et, même si dans leur organisation ils ont pu évoluer, ils y reviennent souvent. Pour eux, le but reste avant tout de mettre le ballon devant le plus vite possible, et la seule zone qui les intéresse vraiment, ce sont les seize mètres adverses. Le reste, à vrai dire, ils s’en foutent… En tout cas, nous aurons en face de nous une opposition exceptionnelle et je crois qu’on va être bousculés. »

Le show Anelka

Pour cette rencontre qui n’a finalement d’amicale que le nom, le boss des Bleus aligne la même équipe qu’à Moscou. Avec, notamment, Nicolas Anelka. Jeune attaquant d’Arsenal au début de saison prometteur (8 buts) et qui n’a même pas atteint la vingtaine, il est le seul joueur titulaire à ne pas avoir soulevé la Coupe du monde. Un gamin prometteur, apprécié, mais dont les perceptions à son sujet divergeaient. « Nico, lui, était dans une forme extraordinaire, c’était peut-être ses meilleures années avec les Bleus. C’était un gars décomplexé, c’était sa grande force, relate Emmanuel Petit, qui était aussi son partenaire chez les Gunners. Il avançait avec énormément d’insouciance, sans se prendre la tête, c’était l’ambiance qui régnait en permanence chez les jeunes du groupe. En interne, c’était quelqu’un de très introverti, dans le bons sens, hein, un taiseux, mais il ne voulait pas poser de problèmes. » Plus proche du gamin de Trappes, Pirès nuance quelque peu : « Anelka, lui, sortait d’une déception. Lui faisait partie des six qui ont quitté le château avant 98. Il avait envie de ballon, de jeu. Nico, c’est selon les personnes, mais avec nous, ce n’était pas un taiseux. Il faisait partie des jeunes avec Henry, Trezeguet, Vieira, Wiltord et moi. Il y a une fausse image qui lui colle à la peau. Il savait qu’il avait manqué 98, là on préparait l’Euro 2000, il ne voulait plus rater ça. » Ce rendez-vous de gala, Anelka, lui, l’appréhende avec une désarmante décontraction. « Je ne crains aucun défenseur anglais précisément. D’ailleurs, je ne crains personne, martèle-t-il la veille du match. Le défi ne me fait pas peur. Eux ne pensent qu’à une chose : nous battre, nous humilier. Nous, en revanche, c’est un match amical. Mais un match qu’il ne faut pas perdre. Une garantie : sur le terrain, ça va être une bataille. »
Une bataille qui ne durera que quarante-cinq minutes. Après une première période équilibrée, quoiqu’un brin frileuse de la part des Bleus face au 4-4-2 anglais, les coéquipiers de Deschamps changent de ton en seconde. Anelka envoie un premier avertissement peu après l’heure de jeu. Servi idéalement par Zidane dans la surface, il claque une praline qui vient heurter violemment la barre transversale. À la retombée du cuir, impossible de savoir si celui-ci a franchi ou non la ligne du gardien anglais. Plus conquérante, plus pêchue, l’équipe de France finit par saisir d’effroi Wembley. À la 69e minute, sur une inspiration lumineuse de Zidane après une longue passe de Thuram, Anelka est trouvé d’une passe lobée dans la surface et ne laisse aucune chance à Martyn. Un coup de boutoir avant un second sept minutes plus tard. Au terme d’une combinaison orchestrée par Dugarry et Zizou côté gauche, l’attaquant des Gunners double la mise. Héros d’une soirée parfaite, il cède sa place à Wiltord à sept minutes de la fin, sous les applaudissements nourris des supporters tricolores. « J’ai des bribes de souvenirs de ce match. C’était une rencontre très aboutie de notre part, une grande victoire, la première du foot français à Wembley, rappelle Petit, non sans une certaine fierté. On avait dominé dans tous les domaines. Quand Nico est sorti de ce match-là, il savait qu’il avait fait un grand match, mais il savait que ce n’était qu’un match. Il ne se prenait pas la tête avec ça, les symboles. » Dans la foulée de ce résultat historique, le principal intéressé, peu loquace envers les médias et déjà tourné vers l’avenir, ne tiendra que ces quelques mots : « Je voulais absolument marquer ! Sinon, à Arsenal, le retour aurait été difficile. Maintenant, ils ne peuvent plus parler. En plus, le tir sur la barre est dedans, je l’ai vu. Nous sommes solides derrière et nous avons joué en posant le ballon à terre, face aux Anglais, c’était ce qu’il fallait faire. » Nicolas Anelka ne le sait alors pas encore, mais, ce 10 février 1999, il a sans doute accompli sa plus belle prestation en Bleu. Au grand dam de beaucoup de spectateurs…

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