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Le football irlandais à la relance

Par Tudi Crequer, à Ballybofey
Le football irlandais à la relance

En Europe, l’Irlande fait figure d’exception. Concurrencé par le football gaélique local et caché dans l’ombre de la Premier League anglaise, le soccer irlandais tente toujours difficilement de se faire une place sur l’île d’Éireann. Pourtant, c'est bien la carte de la proximité qui pourrait jouer en sa faveur.

Nouveau logo, nouveaux dirigeants et nouvelles ambitions. En février dernier, la Football Association of Ireland a annoncé vouloir tourner définitivement la page d’une décennie cauchemardesque qui a abouti au scandale du « Champagne Football » (1) et à la démission de son ancien patron. Le règne de John Delaney aura duré 14 ans, et celui-ci laisse une fédération en jachère, des caisses plombées d’une dette de 70 millions d’euros, des chantiers de nouveaux stades à l’arrêt et une image catastrophique auprès des supporters irlandais. « Dans un univers parallèle, nous aurions pu avoir une ligue entièrement professionnelle, taclait sévèrement Stephen McGuinness, secrétaire de la Players’ Union. Il n’est pas exagéré de penser que nous pourrions maintenant avoir de meilleurs stades, des clubs avec de meilleures installations d’entraînement. Nos jeunes joueurs n’auraient pas été aussi nombreux à aller à l’étranger, ils auraient vu leur avenir ici. Ça m’énerve ce qui s’est passé pendant les années Delaney. Les administrateurs qui étaient au sommet de la FAI, Delaney principalement, n’ont pas fait un assez bon travail. »

La marche est haute pour John Hill, le nouveau directeur général de la FAI. D’autant que l’Irlande se désintéresse toujours de ses clubs et de son championnat local. Loin d’être le sport le plus populaire sur l’île, le soccer, comme on dit ici, se fait distancer par le rugby et par son homonyme local : le football gaélique. La seconde religion de l’île. « À Dublin, c’est assez multiculturel, donc le soccer est assez fort, mais si tu vas dans d’autres comtés, comme Kilkenny, Meath ou Donegal, là on est très très ancré foot gaélique », détaille le Lyonnais Sébastien Berlier, Dublinois d’adoption, et animateur du compte Football irlandais.

Dans l’antre du football gaélique

La commune de Chill Chartha, dans le comté de Donegal, le plus au nord de l’île, illustre bien l’ornière dans laquelle est le soccer. « Notre équipe de GAA(Gaelic Athletic Association)est dans le top 3 du comté », annonce fièrement James Hegarty, bénévole du club, rencontré sur les bords du terrain pendant l’entraînement de son fils. Dans cette petite paroisse rurale, le club est le creuset communautaire et les jours de match, les gradins herbeux, face à la mer, sont bondés. « Le sport principal, c’est notre sport national, le football gaélique. Le soccer n’est pas vraiment joué ici. Il y a eu une tentative de créer un club de soccer il y a une dizaine d’années, à Carrick, le village d’à côté. Les matchs étaient organisés en hiver après la fin de la saison de foot gaélique. Mais, dès que les entraînements de gaélique reprenaient, tous les jeunes arrêtaient le soccer, et le club a disparu. »

Pour se frotter à la ferveur du soccer, il faut faire 70 bornes en voiture et se rendre à Ballybofey, au beau milieu du comté du Donegal. Plus gros club du coin, le Finn Harps FC fait figure de petit poucet de la première division irlandaise. Ce soir-là, l’équipe locale reçoit le Shelbourne FC de Dublin pour un match important dans la course au maintien. Les supporters se massent tranquillement sur l’estrade construite sous un hangar de tôles agricoles rouillées. « Bien sûr qu’on est fier de notre club, commente à l’unisson Richard et Stephen, venus du comté voisin de Tyrone et vêtus du survêt officiel du club. On est fans de GAA, mais on supporte aussi les Harps, c’est un club génial, sympa et qui appartient à ses supporters. On se sent membre de l’équipe ! » Fondé en 1954, le club a rejoint la Premier Division en 1969 et survit tant bien que mal. Une dizaine de supporters battent le tambour et encouragent les joueurs devant un immense maillot défraîchi accroché à la cloison des gradins. Et si, sur le terrain, les deux équipes se tiennent en respect, les gobelets de café et barquettes en polystyrène usagés s’accumulent dans de vieux bidons.

Dans les estrades du Finn Park, certains supporters s’affichent avec des maillots ou bonnets de leur club de GAA. Pas un problème pour Ollie Horgan, le légendaire coach de Ballybofey : « Les supporters du Donegal supportent les deux sports, ils étaient au stade de GAA dimanche dernier pour le match de gaélique et ont traversé la rue ce soir pour venir nous voir. Je pense vraiment que 99 % des gens sont derrière nous. » De l’autre côté de la route domine le rutilant stade de foot gaélique qui donne un sérieux coup de vieux au Finn Park. « Vous pouvez voir la différence d’éclairage entre les deux stades. On n’est pas dans la même catégorie », sourit Stephen. « C’est vrai qu’on n’a pas beaucoup de moyens, et d’ailleurs, aucun club n’aime venir jouer à Ballybofey. Les équipes de Dublin détestent venir ici à cause de l’état des routes, des infrastructures… On devrait être en deuxième division, mais on arrive à se maintenir. C’est pour ça qu’on aime Finn Harps ! » complète son pote de Tyrone.

Dans cette terre de foot gaélique, le soccer creuse malgré tout son sillon. « Le comté compte 64 clubs et a produit certains joueurs internationaux dont Séamus Coleman », précise fièrement Aidan Campbell, le directeur commercial des Harps. Héros local, Coleman jouait au club de GAA de Killybegs avant de se lancer un peu par hasard dans le soccer et de terminer défenseur d’Everton, d’être élu joueur de l’année par les fans et capitaine de l’équipe nationale irlandaise. L’un des problèmes à relever pour la Fédération irlandaise est justement de réussir à garder ce genre de pépite. Là, le Brexit pourrait avoir un effet indirect positif. « Les joueurs irlandais ne peuvent plus aller au Royaume-Uni avant leurs 18 ans, alors ils restent un peu plus dans leurs clubs, et ça, c’est un point positif pour nous », détaille, enthousiaste, Aidan Campbell. Le résultat se fait déjà sentir : « La moyenne d’âge d’un joueur de Premier Division a baissé de trois ans en l’espace de trois saisons. L’année dernière (2021), il était de 25,4, contre 28,4 en 2018 », rapporte le site d’info The 42.

Dans l’ombre de la Premier League

Avec une montée en gamme progressive de la qualité de jeu, la Football Association of Ireland espère aussi attirer le regard des supporters irlandais complètement happés par le championnat anglais. « La Premier League prend une telle place qu’elle fait de l’ombre, analyse Sébastien Berlier, devenu expert du championnat irlandais. Sur 10 fans de foot ici, tous vont connaître la Premier League et ils seront peut-être 2 ou 3 à connaître et à supporter un club de la League of Ireland. Ils te disent que dans la League of Ireland, les stades sont pourris, les joueurs moins bons et les matchs moins bien… Forcément, quand tu compares à la Premier League ! » Selon un sondage publié par la Cork University Press, un tiers des amateurs de football en Irlande supportent Manchester United, 29% Liverpool FC, 14% le Celtic de Glasgow… Le Cork City FC, le premier club irlandais, n’arrive qu’à la sixième place avec 7% de soutien, puis vient l’équipe de Dundalk à 4%. D’après cette enquête, les Irlandais sont même aussi nombreux à aller voir un match du championnat local qu’à prendre l’avion pour aller en Angleterre.

Sans pouvoir rivaliser avec la qualité de jeu de la Premier League, les équipes irlandaises misent sur la convivialité et la chaleur des stades. En 2018, le club dublinois des Bohemians avait lancé une campagne de pub sur le thème de « Terraces not TV » (des gradins plutôt que la tv). « Les fans qui n’ont pas pu aller au match pendant un ou deux ans à cause du Covid, là, ils retournent tous au stade, s’enthousiasme Sébastien Berlier. Après 12 journées de championnat, la moyenne d’affluence au stade en Premier division est de 2878 spectateurs. Une augmentation de 12% par rapport à 2019, 20% par rapport à 2018 et 38% par rapport à 2017 sur la même période. Sans compter qu’il y a aussi beaucoup de communautés en ligne qui se sont créées pour sauver les clubs, et la fan base est en train de grossir. » Pour séduire les supporters qui préfèrent rester sur leur canapé, malgré tout, la fédération a aussi trouvé la parade. Lancé pendant la période de confinement, une plate-forme en ligne permet de visionner à la demande, et pour 5 euros, tous les matchs de première et deuxième divisions.

À Ballybofey, le match touche à sa fin, une nouvelle action éclate devant les cages adverses. La balle se fourre au fond des filets à la 89e minute. 1-0 pour les Harps contre le Shelbourne FC. Les supporters quittent soulagés la vieille enceinte de Ballybofey en rêvant à demain. À l’arrêt depuis des années, le chantier du nouveau stade de 5400 places est à nouveau sur les rails. Les premiers matchs y sont prévus pour la saison 2024. « Bouger dans le nouveau stadium, ça va vraiment encourager la croissance du club » conclut, tout sourire, Aidan Campbell. Un nouvel élan, à l’image du championnat irlandais ?

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Par Tudi Crequer, à Ballybofey

Tous propos recueillis par TC sauf Stephen McGuinness.
Photos : IconSport et TC.

(1) En 2020, le livre Champagne Football écrit par deux journalistes du Sunday Times, avait révélé comment Delaney confondait son carte bancaire avec celle de la fédération du temps qu'il en était le dirigeant. Il aurait fait passer près d'un million d'euros de dépenses en bijoux, limousines, hôtels et sites de vente en ligne sur les comptes de la FAI. Celle-ci avait aussi avancé les 80 000 euros de frais pour sa sublime et extravagante fête d'anniversaire pour ses 50 ans, qui aurait fait rougir Gatbsy de jalousie, et épongé 30 000 euros de dépenses non remboursées par Delaney.

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