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Le football est-il encore un sport collectif ?

Par Aymeric Le Gall
Le football est-il encore un sport collectif ?

« J’ai marqué un but, mais le plus important, c’est l’équipe. » Quelle part de vérité se cache-t-elle encore derrière ce genre de banalités ? Des joueurs qui parlent « groupe » mais pensent surtout « moi, je » ? La question mérite d’être posée : le foot est-il encore un sport collectif ?

Attention, révélation en guise d’enfonçage de porte ouverte. Le football est un sport collectif dont les performances dépendent de 11 individualités. Créer une équipe, c’est jongler avec les caractères des uns et des autres, gérer les ego et les absences d’ego, faire émerger une force collective tout en se basant sur des talents individuels. Au fond, le foot se résume à essayer de faire que « la mayonnaise prenne » au sein d’un groupe donné. Parfois ça prend. Parfois non. Il peut arriver alors que les problèmes individuels plombent le collectif. Soldat anonyme de Ligue 1, Antoine Devaux expliquait dans L’Équipe son ras-le-bol « de ces nouvelles générations qui se regardent faire trois passements de jambe et vont perdre le ballon derrière » , avant de concéder : « Aux entraînements, je pète les plombs tous les jours » . On se remémore aussi les paroles de Morgan Amalfitano qui avoue dans le dernier So Foot avoir découvert à Marseille les joies du une sans le deux et du danger des ego surdimensionnés au sein d’un groupe. Et alors qu’on ne cesse d’être bercé par les doux refrains des spécialistes tirant à vue sur ces générations pourries-gâtées, ces petits branleurs qui ne pensent qu’à leur gueule et qu’au pognon, le temps est venu de savoir si oui ou non, bordel, le foot est-il encore un sport collectif ?

Une génération d’individualistes ?

Les nouvelles générations de footballeurs, celles des casques vissés aux oreilles et des coupes de cheveux asymétriques, ont-elles un rapport différent au football que leurs aînés ? Seraient-ils plus perso, pour rester dans le vocabulaire approprié ? À cette question, Frédéric Rasera, enseignant-chercheur en sociologie du sport à l’Université de Lyon 3, nous met en garde avec le terme même de « génération » . « Je suis toujours assez prudent avec le terme de Génération dans le foot car c’est un discours que l’on entend très souvent. Il faut bien savoir de quoi on parle, est-ce que l’on compare la génération des footballeurs d’aujourd’hui aux anciens de 98 par exemple (qui est une référence dans la mémoire collective) ou est-ce qu’on parle des footballeurs du début des années 80, qui sont des footballeurs totalement différents ? Les consultants et anciens footballeurs disent des nouvelles générations qu’elles sont plus individualistes. De Larqué à Lizarazu ou Dugarry, ils ont un point de vue commun là-dessus. Mais entre ces deux générations déjà, le rapport au métier était totalement différent. Après, entre la génération 98 et celle d’aujourd’hui, il y a quand même eu entre-temps l’arrêt Bosman qui est venu redoubler ces logiques d’individualisation. Donc je ne nie pas qu’il existe des différences générationnelles, mais je dis qu’il faut être prudent dans l’interprétation qu’on en fait, parce que derrière, il y a la définition du bon footballeur. L’individualisation du football ne date pas d’aujourd’hui. »

La tentation est grande de généraliser sur cette génération de footballeurs qui veulent être des stars avant même d’avoir fait leurs preuves. Finalement, n’est-ce pas le simple reflet d’une génération toute entière forgée par une société qui fabrique des stars à tour de bras et à moindres frais ? Possible. Probable, même. Quand il s’agit d’évoquer la relation qu’entretiennent les anciens, censés être respectés ou du moins écoutés, avec leurs cadets, Rémi Garde avance un élément de réponse, lui l’entraîneur de Lyon obligé de composer avec une bande gamins. « Des tensions dans le vestiaire entre générations ? Oui, des tensions qui ont entraîné des discussions. Quelqu’un qui a 300 matchs de Ligue 1 n’a pas le même crédit qu’un champion du monde U17 (…) Ce n’est pas parce qu’on a signé un contrat pro, qu’on a eu des sélections ou un titre en jeunes qu’on est un professionnel. Quand ils auront une cinquantaine de matchs, on verra… C’est ce contre quoi il faut se battre. La jeunesse a beaucoup de talent, de potentiel, mais un vestiaire doit être équilibré pour maîtriser les événements, ne pas se griser. » Le message est clair. Pour Garde, la nouvelle génération manque un peu d’humilité et se voit très belle très vite. Apprendre et engranger de l’expérience avant de l’ouvrir, voilà peut-être la différence notable avec les anciennes générations de footballeurs.

« Thauvin ? Ça va putain ! »

Journaliste et chroniqueur télé, Claude Askolovitch estime que la question n’est pas pertinente présentée sous cet angle. « Génération perso ? Dans la manière de jouer et de se comporter des footballeurs, je n’en sais rien. Les entraîneurs semblent dire que les gamins sont de plus en plus individualistes, mais j’ai tendance à penser que les entraîneurs des années 90 trouvaient les gamins plus individualistes que dans les années 80, et ainsi de suite. Il y a une individualisation de la société de manière générale. Si Girard arrive à transformer deux fois de suite des groupes approximatifs en collectif, c’est que la matière humaine n’est pas complètement foutue. Et tu as de temps en temps des éruptions d’individualités, Thauvin par exemple. On dit qu’il fait chier tout le monde, ça va putain ! Papin faisait chier aussi quand il voulait quitter Bruges pour l’OM, comme d’autres ont fait chier avant lui. Il y a toujours eu des gens qui sont pressés de vivre, et derrière, on en fait une utilisation que je ne comprends pas » , déplore l’intervenant du Club sur beIN. Si le joueur a changé, l’environnement de son sport encore plus. Le football à papa est devenu entre-temps le « foot business » . Le joueur ne serait donc pas plus coupable, ou blâmable, que le milieu dans lequel il évolue. Dans un monde du foot flexible, qui ne cherche que le résultat immédiat, les joueurs n’ont fait que s’adapter aux règles du milieu, ni plus ni moins. D’ailleurs, tous ses acteurs se sont adaptés aux nouvelles règles. À commencer par les journalistes.

Si l’on résume grossièrement, les joueurs jouent, les entraîneurs entraînent et les journalistes racontent. D’ailleurs, c’est ce qu’on leur a appris dans les écoles de journalisme. Faiseurs d’opinion, les journalistes tiennent un rôle crucial dans la manière dont va être perçu tel ou tel sport, telle ou telle équipe, tel ou tel joueur. Et comme son sujet, le journalisme sportif a pas mal évolué. « Le travail des journalistes fait partie intégrante de cette problématique d’évolution et d’individualisation du football, explique Frédéric Rasera. Ils ont contribué et contribuent encore aujourd’hui à l’individualisation des joueurs avec, notamment, le système des notations. » Pour aller dans le sens du sociologue, on peut donner un autre exemple : les statistiques individuelles des joueurs. Elles ont de plus en plus la part belle dans les analyses des spécialistes. Une impression de « NBAtisation » s’empare alors du football. Claude Askolovitch nuance cette évolution. « Ce qui est nouveau et assez récent, c’est l’hyper-médiatisation de quelques-uns, l’invention de quelques demi-dieux différents des autres mortels et des autres footballeurs, note-t-il. De ce point de vue-là, la narration du foot devient de plus en plus individuelle. L’histoire de la rivalité Barça-Real est devenue l’histoire du duel Ronaldo-Messi. C’était patent l’année dernière : l’histoire de la Liga se résumait à deux clubs, et au-delà, à deux hommes. On réduisait toute la narration du football à un championnat, deux clubs, deux joueurs. C’est d’autant plus curieux qu’à l’arrivée, ce sont deux clubs allemands qui atteignent la finale. Il n’y avait pas cette focalisation sur Ribéry, Robben, Lewandowski ou Götze. Ne serait-ce que parce que le football allemand vit encore sur des valeurs collectives quand bien même il y aurait un star-system comme au Bayern. »

La faute au Ballon d’or

Et s’il existe bien un symptôme de l’époque pour montrer l’individualisation du récit, il s’agit bien de la guerre permanente par médias interposés pour l’attribution du Ballon d’or. « La sur-importance donnée au Ballon d’or par les médias le prouve, poursuit Askolovitch. On a l’impression que le plus important pour juger la saison d’un joueur, c’est de savoir s’il a eu le Ballon d’or plutôt que de savoir s’il a remporté la Ligue des champions ou la Liga. On pourrait ainsi croire très prochainement que Ronaldo a mieux réussi sa saison que Ribéry. Ce qui est faux ! Cette idée que seule la récompense individuelle prévaudrait, et que le moindre frémissement du caractère de Ronaldo vaudrait papier ou analyse, ça c’est nouveau. On n’a jamais fait ça auparavant, jamais. » Le football évolue très rapidement, et avec lui ses acteurs. Et si la narration qui en est faite par les journalistes sportifs tend à individualiser de plus en plus ce sport collectif, il n’en reste pas moins vrai que le foot se joue à 11 contre 11. Sauf qu’à la fin, ce ne sont plus les Allemands qui gagnent, mais Cristiano, Leo ou Frankie…

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