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Le foot entre dans le game des dédicaces vidéos personnalisées

Par Adrien Hémard et Léo Tourbe
Le foot entre dans le game des dédicaces vidéos personnalisées

Les selfies, c’est fini. La société digitalisée s’est mise aux autographes vidéo. À tel point que des sites se sont spécialisés pour mettre en relation une célébrité et un fan. Le concept : en échange d’une rémunération, la star se fend d’une petite vidéo personnalisée. Une tendance qui n’échappe pas au monde du foot. Enquête sur un business florissant : celui des autographes uberisés.

La coupe de cheveux. Il y a quelques mois encore, c’était le seul point commun entre Snoop Dogg et Sidney Govou. Mais depuis quelques semaines, les deux hommes en partagent un autre : ils réalisent des vidéos personnalisées pour leurs fans, contre une rémunération. Pour le plus grand fumeur de weed d’outre-Atlantique, cela se passe sur Cameo, pionnier américain du business, contre 1000 dollars. Pour l’homme qui a acheté une 206 après son doublé contre le Bayern, l’affaire a lieu sur le leader français, Vidoleo, pour 30 euros. Comme de plus en plus de personnalités du ballon rond, l’ancien Lyonnais a rejoint la plateforme française. À tel point qu’aujourd’hui, le football représente 5% des activités de Vidoleo.

Filme-toi, je te suis

Surprise : cette nouvelle mode est née aux États-Unis, à Chicago, un jour de 2016 avec la création de Cameo. Une start-up qui pèse aujourd’hui un peu plus de quatre Kylian Mbappé (si l’on estime que le gamin parisien vaut 200 millions d’euros), et qui compte Floyd Mayweather, Lance Armstrong ou Dennis Rodman dans ses rangs. En France, le phénomène est assez récent, et les pionniers se nomment Francky Vincent ou Frank Lebœuf. « Frank nous a rejoints très rapidement, aux débuts de la plateforme. Il nous a fait confiance et ça s’est toujours très bien passé avec lui », raconte Nicolas Poulet-Alinat, un des trois cofondateurs de Vidoleo, la plateforme de dédicaces n°1 en France avec 300 célébrités. L’ingénieur en étude, passé par Airbus, a lancé avec deux amis le projet lors du premier confinement : « Avec Rudy et Baptiste, on travaillait sur des projets annexes de nos emplois, notamment des sites web. On a décidé d’allier nos différentes compétences pour lancer Vidoleo, qui existe depuis un an. Pour faire simple, on a importé le modèle de Cameo en France. »

On a voulu ne pas trop axer téléréalité ou influenceurs pour avoir un catalogue très large avec des artistes et des sportifs.

Cocorico ! Le succès n’a pas tardé à suivre. Les trois entrepreneurs ont même quitté leurs emplois respectifs pour s’investir à 100% dans leur nouveau bébé. « On savait que la demande allait devenir de plus en plus importante », assure Nicolas. « Rudy et moi, on adore le foot, on a joué dans le même club de nombreuses années. » C’est donc tout logiquement que les trois larrons ont commencé à attirer des joueuses et joueurs dans leur filet, en activant leur réseau et en suivant les demandes des clients. « On a voulu ne pas trop axer téléréalité ou influenceurs pour avoir un catalogue très large avec des artistes et des sportifs, continue l’entrepreneur. Qu’on aime la musique, le cinéma, le sport : on peut trouver quelqu’un qui nous plaît sur Vidoleo. » Dernière prise : Jérôme Rothen, qui porte pour l’instant les couleurs de Memmo, un concurrent suédois, et qui raconte : « Un des fondateurs de Memmo m’a appelé pour me proposer cette application. Je ne connaissais pas. Il m’a expliqué ce que c’était : faire des messages à des gens pour égayer leur journée. » Bingo, l’ancien Parisien en est.

Bientôt présent sur Vidoleo en plus de Memmo, le gaucher de RMC Sport symbolise à lui seul la concurrence qui s’installe entre les différents sites. « Sur le territoire français, il y a peu de concurrence, même si Memmo arrive », se rassure Nicolas, qui reste lucide : « Aux États-Unis, Cameo est de loin le leader. Ici, les concurrents ne vont pas tarder. » En attendant, chacun essaye d’attirer des noms de plus en plus ronflants, quitte parfois à ce que le joueur ne comprenne pas tout à fait où il a mis les pieds. Contacté par nos soins pour parler de sa présence sur Vidoleo, Salomon Kalou s’est par exemple montré étonné. « Je vous confirme que ce n’est pas un fake, il vient de nous rejoindre de son plein gré », sourit Nicolas, dont le catalogue propose 17 footeux comme Ludovic Giuly (50€), Maxwel Cornet (40€), Mohamed Sissoko (40€), Anthony Le Tallec (20€) ou encore Tony Vairelles (30€). Côté américain, Cameo boxe dans une autre catégorie avec Roger Milla (joueur le plus cher, à 820 euros pour une vidéo), Paul Gascoigne (216€), Michael Essien (82€) ou Adrian Mutu (82€), tandis que les Suédois de Memmo s’arment avec William Gallas (70€), Louis Saha (80€), Michael Owen (135€), Steve Savidan (30€) ou David Seaman (150€).

Dons, Euro 1984 et boulangerie

Tout ça se matérialise par une page de présentation de chaque joueur où, à côté d’une rapide biographie, un bouton « demander une vidéo » accompagné du prix permet à l’utilisateur de passer commande. « C’est une façon aussi d’organiser ce qu’il se passe de façon désorganisée sur les réseaux sociaux où les sportifs sont sollicités de manière spontanée », résume Magali Tézenas du Montcel, spécialiste du marketing sportif chez Sporsora. Chacun fixe ensuite son prix, selon ses motivations. Selon Nicolas Poulet-Alinat, sur Vidoleo – qui prend une commission de 25% sur chaque vidéo -, 70% des célébrités reversent leurs revenus à une trentaine d’associations caritatives comme ELA, La Croix-Rouge, le Secours populaire ou encore Un enfant par la main.

Je ne veux pas me faire de l’argent comme ça sur le dos des gens, sous prétexte que je leur souhaite un anniversaire ou bon courage.

Jérôme Rothen fait partie de ceux-là. « Je ne veux pas me faire de l’argent comme ça sur le dos des gens, sous prétexte que je leur souhaite un anniversaire ou bon courage, explique le consultant. Malheureusement, mon fils, le dernier, a eu une leucémie à un an et demi et jusqu’à ses sept ans. Aujourd’hui, il en est sorti, tant mieux, et je touche du bois. J’ai vu les besoins qu’il y avait et je me suis dit que ce n’était pas possible. Je ne fais pas assez ! C’était la bonne occasion. » Un point de vue partagé par Bruno Bellone, qui vient de rejoindre Memmo : « Je faisais beaucoup de vidéos comme ça sur Facebook, gratuitement, mais mon compte a encore été bloqué. C’est la deuxième fois, je ne comprends pas », peste l’autre buteur de la finale de l’Euro 1984.

Capture d’écran Memmo.

Conseiller municipal au Cannet, Bellone reste perplexe face aux joueurs qui encaissent à des fins personnelles (aucun de ceux-là n’a voulu témoigner, d’ailleurs) : « Moi, les sous, je ne les prends pas, je les donne à des associations. C’est normal de ne pas demander d’argent pour une vidéo d’anniversaire, non ? Prendre 20 euros pour dire bon anniversaire, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? » Seule exception : les vidéos utilisées à des fins marketing. « Avec les entreprises, c’est différent. Si la société utilise ton image, ce n’est pas pareil. C’est du donnant-donnant », assure celui qui fait ça surtout « par goût de l’échange et pour donner des nouvelles ». « Ceux qui font ça pour de l’argent personnel, ça les regarde, mais je trouve ça incroyable, s’enflamme Rothen. Après, il y a certains corps de métier, que je respecte, où c’est aussi une façon d’exister et d’avoir un revenu. Mais j’estime que quand t’as un certain train de vie… »

Promis, je ne simule pas

Pour recevoir votre vidéo de Bruno Bellone qui vous souhaite un joyeux anniversaire – ou ce que vous voulez -, il suffit donc de cliquer, payer et d’attendre sept jours maximum, en moyenne. Tout en donnant quelques détails pour que la personnalité puisse personnaliser son message au maximum. « Je ne lis pas le texte pendant, mais je sais à qui je parle, ce qu’il fait dans la vie et ce qu’il recherche. Après j’improvise, explique Jérôme Rothen. Il faut faire trente secondes minimum, moi je n’arrive pas à faire moins d’une minute ! » D’autres ont moins d’inspiration et de talent, à en croire les avis, comme Michael Essien, aujourd’hui noté 4,5/5, mais qui avait récolté deux 1/5 à ses débuts il y a deux ans, justifiés ainsi : « Aucune mention faite à l’université ni à son 21e anniversaire. Cela aurait pu être pour n’importe qui nommé Robbie », puis « C’est assez inutile – il avait l’air à moitié endormi. Définitivement pas ce à quoi je m’attendais. »

Ça illustre une tendance assez forte : la recherche de proximité entre les sportifs de haut niveau et les fans, qui ont envie de coulisses, de choses hors-stade.

C’est pourtant cette personnification feinte qui fait la force de ces vidéos. « Ça illustre une tendance assez forte : la recherche de proximité entre les sportifs de haut niveau et les fans, qui ont envie de coulisses, de choses hors-stade, analyse Magali Tézenas du Montcel. Les jeunes générations s’attachent plus aux joueurs qu’aux clubs, il y a une personnification de la relation. Cet outil permet de gérer ce flux direct. C’est une entrée dans la vie personnelle des fans. » Une proximité authentique, défend Nicolas Poulet-Alinat : « Grâce aux informations données, on a une vraie connexion avec la personne, on a l’impression que la célébrité nous connaît. C’est plus intime qu’un autographe papier, signé machinalement. Quand je vois Govou souhaiter la meilleure carrière à un jeune Lyonnais, je pense que c’est tout à fait sincère. »

Ce qui pose alors la question fatidique : n’est-ce pas étrange de vendre un autographe ? « Si, je trouve ça bizarre », concède Bellone. Nicolas Poulet-Alinat monte au créneau : « Beaucoup de gens croient que c’est uniquement du business, il y a peut-être des cas comme ça, hein. Après faire de l’argent, c’est mal vu parfois, mais il n’y a rien de mal à ça. Beaucoup de célébrités jouent le jeu de manière franche et souhaitent avant tout faire plaisir et être authentique. » De là à attirer des grands noms du ballon rond comme Zinédine Zidane, dont rêve Nicolas ? Probablement que non, estime Magali Tézenas du Montcel : « Le modèle ne serait pas tenable pour une superstar, qui protège son image comme une marque. Si vous vendez votre image à des partenaires pour des centaines de milliers d’euros, c’est difficile d’aller sur une plateforme à un tarif acceptable. » Ce qui condamnerait ces sites à se contenter de joueurs moins connus. « Les sportifs présents ne sont pas des grandes stars, on va dire ça comme ça, analyse la spécialiste en marketing. Au départ, je ne voyais pas trop l’intérêt d’aller se vendre pour 20 euros pour souhaiter l’anniversaire d’une grand-mère, je ne trouvais pas ça valorisant, mais c’est logique dans la recherche actuelle de proximité. »

Si bien que la déléguée générale de Sporsora n’hésitera pas à conseiller à un joueur de rejoindre l’un de ces sites : « Si ça rend les gens heureux, c’est le principal. Quand on voit ce qu’on arrive à vendre aujourd’hui, ce n’est pas plus choquant de vendre une dédicace vidéo. » L’experte en marketing suggère toutefois une évolution pour briser le plafond de verre : développer les appels en direct. Cela tombe bien : Vidoleo entend devenir, à terme, le premier réseau social d’interactions fans-célébrités en incluant ces discussions directes. Vous pourrez alors demander des conseils capillaires à Sidney Govou. Ou Snoop Dogg.

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