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Le coût du résultat à tout prix

Par Markus Kaufmann
Le coût du résultat à tout prix

La phase de poules est terminée, mais on croirait que le tournoi n’a pas vraiment commencé. Notre équipe de France est invaincue, mais on croirait qu’elle n’a encore rien gagné. En raison d’une hécatombe d’absents et des choix du sélectionneur, le football français semble avoir pris le risque de jouer la victoire finale coûte que coûte, au prix d’un mois de football attentiste et calculateur. Une occasion manquée de faire sourire le football français ? Et de regarder vers l’avenir ? Et si la France avait trop besoin de gagner cet Euro pour prendre le temps de le jouer ?

Le torse bombé balle aux pieds, Adil Rami pousse le ballon une fois, deux fois, et continue à avancer. Le public français est enthousiaste, les Bleus sont enfin sous ses yeux. La tête timidement levée vers l’avant, Rami marque finalement un temps d’arrêt et se résout à tourner le dos au jeu pour choisir l’option Kanté, sur sa gauche. Au centre du terrain, l’ex-Caennais contrôle, regarde devant lui et arme son pied droit pour préparer une passe entre les lignes. Mais non, Payet est trop loin ou trop marqué, tandis que Griezmann joue son rôle de renard à l’autre bout du terrain. Sage et appliqué, Kanté la remet à Pogba, qui conserve miraculeusement la balle entre quatre pieds adverses, se retourne vers sa droite – ne voit personne – et se voit obligé de transmettre à Sagna, en retrait. Contrôle, passe, le ballon revient finalement dans les pieds de l’inévitable Adil Rami. Cette fois-ci, Kanté ne viendra plus réclamer le ballon. Koscielny l’acceptera seulement pour le lui rendre, tout comme Matuidi et Évra. Et Pogba est bien trop difficile à atteindre pour la précision de l’Andalou.

L’aveu d’échec est total, Rami n’a plus à hésiter : long ballon pour Giroud, qui se bat des épaules avec des défenseurs plus vigoureux que talentueux. Le ballon est-il conservé ? Parfois, oui. Mais le plus souvent, il est rendu. Voilà le tableau de l’utilisation du ballon par les Bleus face à la Roumanie et l’Albanie. Là, alors que les Bleus ont les atouts pour mettre en place une pression collective intense – Griezmann, Matuidi, Pogba, Kanté, Koscielny –, l’initiative est abandonnée. Les Bleus mettent en place un dispositif tactique étudié, un bloc passif mais compact, à la Lippi, le mentor. Seulement, le Stade de France et le Vélodrome ont vite troqué l’enthousiasme pour l’impatience, voire l’ennui : sans pressing, difficile d’offrir de l’intensité à son public.

Pour la joie de jouer, ou pour la joie de gagner ?

Après 85 minutes d’attente, Deschamps ramènera tout de même les trois points à la maison : exploits de Payet, Rami et Griezmann, puis encore Payet. Les gagnants peuvent-ils avoir tort ? Non, tant qu’ils continuent à gagner. Mais comme le match contre la Suisse l’a démontré, cette équipe de France a tiré un trait sur le slogan de sa Fédération : « Pour la joie de jouer » devrait être remplacé par un « Pour la joie de gagner » au goût transalpin, voire turinois. Un jeu dangereux si les Bleus finissent par répéter devant leur public le schéma entrevu lors du Mondial 2014 : l’attente d’une potentielle montée en puissance interrompue par une défaite amère contre les voisins allemands. Un 0-1 et un retour à la maison sans souvenir. La France ferait-elle mieux avec un Pep Guardiola débordant de schémas innovants ? Là n’est pas la question : il serait aberrant de critiquer le travail réalisé par le sélectionneur jusqu’ici. Didier Deschamps a dessiné une stratégie cohérente depuis ses premiers jours, fidèle à sa vision du jeu, son identité et le reste de sa carrière. Et le groupe semble plus que jamais lancé et uni.

D’une part, le projet mis en place par Deschamps s’est fait miner par la malchance : l’absence de Benzema et surtout la disparition éclair du trio qui « tenait la baraque » , trois joueurs sur qui tout le circuit de la relance bleue – et donc de la possession – se reposait, à savoir Lass, Varane et Sakho. D’autre part, les grands sélectionneurs sont rarement des créateurs, et encore moins à la tête des plus grandes nations. Joachim Löw, Vicente del Bosque ou encore Roy Hodgson ont été engagés pour autre chose : mener un vestiaire vers un projet avec l’expérience et le sens du jeu et de la communication pour faire les meilleurs choix. Mais dans leurs sélections respectives, ceux-là n’ont pas eu besoin d’inventer quoi que ce soit. De toute façon, ils n’auraient jamais eu le temps : impossible d’exiger d’une sélection l’entente retrouvée chez les meilleurs clubs de Ligue des champions.

Quelles bases pour le futur des Bleus ?

En revanche, ces sélectionneurs ont su maximiser deux ressources précieuses à l’heure de donner une identité de jeu à leurs sélections en un temps record : un choix cohérent des qualités des joueurs et une capacité d’adaptation face aux logiques collectives créées en club. D’une part, les qualités des joueurs sélectionnés dictent la nature du jeu envisagé, mais les individualités ne déséquilibrent jamais le collectif : le système n’est pas le roi, les talents non plus. L’histoire récente de la Mannschaft le démontre à merveille, avec un changement de style notable entre le Bayern vertical de Heynckes en 4-2-3-1 et le Bayern possessif de Guardiola, tout en conservant le même sélectionneur. D’autre part, les sélectionneurs utilisent le travail réalisé en club pour en tirer des automatismes tout frais. Malheureusement, l’équipe de France ne peut compter sur un club assez performant avec une ossature de jeu 100% française, même si certaines hypothèses peuvent inviter à la réflexion. Et si Koziello et Ben Arfa avaient pu évoluer ensemble ? Et si Umtiti, Gonalons, Fekir et Lacazette avaient formé la structure des Bleus, décorée par Griezmann, Pogba, Lloris ? Une réflexion à ranger pour le futur, peut-être.

Peut-être, parce que l’interrogation que crayonne l’équipe de France aujourd’hui est la suivante : quel est l’objectif à long terme du projet de Deschamps ? En lisant entre les lignes de l’histoire récente de la FFF, une logique s’impose de façon claire : mettre en place le plus vite possible un projet sportif attractif pour un public exigeant et frustré, et puis, si possible, remporter l’Euro à la maison. Mais qu’en est-il du projet de construire un projet de jeu pour emmener ces Bleus vers une décennie de succès internationaux, à l’allemande ou à l’espagnole ? Le talent est là. Mais pour le moment, l’enjeu a tué le jeu, et la solution à l’italienne est privilégiée, par urgence – les blessés – ou par goût pour la victoire – l’ADN de Deschamps. Et dans ce contexte, mieux vaut gagner.

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Par Markus Kaufmann

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