Le clip de vacances de Karim Benzema : 50 secondes de « déni » écologique

Cinquante secondes, c’est le temps qu’il a fallu pour que Karim Benzema enflamme la toile. On avait l’habitude des ralentis de l’élimination de Godín, Savić et Giménez à Vincente-Calderón ou bien de la compile de son triplé pour sortir le PSG. En 50 secondes, le Nueve a prouvé qu’il pouvait aussi mettre le feu autrement qu’avec ses talents balle au pied. Durag fixé sur la tête, Tupac sur le T-shirt et Rolex au poignet, le Madrilène a posté une « carte postale » vidéo de ses vacances à Miami, début juillet. Cinquante secondes où l’on voit le favori du Ballon d’or déambuler dans la ville dans différentes voitures de luxe, rejoindre sa villa au bord de l’eau, s’offrir un tour de jet-ski avant de rejoindre son jet privé. Le tout visionné plus de 3 millions de fois sur Twitter.

Bon visionnage… Nueve pic.twitter.com/PlukTeFHO6

— Karim Benzema (@Benzema) July 2, 2022

Un clip anachronique

Un cocktail détonnant qui a très vite été la cible de nombreuses critiques tournant autour d’un thème central : l’écologie. Parmi les 3000 commentaires et 6000 citations du tweet, celui de Sébastien Mabile, membre de l’Union internationale pour la conservation de la nature, met en lumière une partie du problème, la pollution. Celui qui est aussi avocat au Barreau de Paris s’explique : « On a affaire à des gens qui ont un pouvoir d’influence considérable. Karim Benzema est admiré par de très nombreux jeunes, en raison de son talent sportif, et je trouve dommage, voire choquant qu’il se fasse le promoteur d’un rêve d’enfant d’il y a 30 ans, qui ne peut plus l’être aujourd’hui. Jet-ski, avion, grosses voitures, c’est tout ce qui produit des émissions à effets de serre. Il y a une sorte d’inconscience, d’absence de compréhension des enjeux qui est profondément regrettable. » Si l’attaquant du Real Madrid est sa cible numérique, Sébastien Mabile ne le diabolise pas pour autant : « Que Benzema fasse ce qu’il veut, il en a le droit. Mais qu’il fasse la promotion de ce mode de vie complètement insoutenable, c’est ça qui me dérange. Des personnes extrêmement riches qui passent des vacances comme cela, il y en a des millions comme lui dans le monde. Personne ne serait tombé sur Benzema s’il n’avait pas fait ce clip promotionnel. »

Qui saura estimer le poids des émissions de CO2 de ce clip ? Plusieurs dizaines de tonnes à la louche. Autant de budget carbone en moins pour les gueux. https://t.co/n8PwnWuvPT

— Sebastien Mabile (@SebastienM) July 5, 2022

Ce qui inquiète Sébastien Mabile, c’est que « l’inconscience » est collective et démarre tout en haut : « Quand l’équipe de France communique sur un déplacement en avion de Paris à Lille, alors que ça prend une heure en TGV, soit les gens sont hors sol et n’ont pas compris l’urgence climatique, soit ils n’en ont rien à foutre. Mais les deux sont incompréhensibles. » Pourtant, puisqu’il faut parfois être concret pour concerner les gens, le football lui-même en souffrira, notamment dans ses plus bas échelons. « Si on prend l’exemple des pelouses des stades, pourront-elles résister à des épisodes caniculaires comme c’est le cas depuis le début du printemps ? Celle du PSG, oui. Pas celle du petit club associatif de n’importe quelle ville ou village, continue Mabile. C’est la grande masse d’amateurs de foot qui vont subir les effets des changements climatiques. »

« C’est un imaginaire qui favorise la destruction de la planète »

David Cormand, député européen EELV, s’est lui aussi fendu d’une réponse à KB9, mais tempère d’entrée : « Ce n’est pas un jugement de valeur à l’égard de Karim Benzema, je ne suis pas juge des âmes. Les sportifs ne sont pas obligés d’avoir une conduite exemplaire. Selon moi, on attend d’un joueur de foot de haut niveau qu’il joue bien. Le reste, ça lui appartient. Ce qui m’intéresse, c’est moins Karim Benzema que le modèle dont il fait partie. » Ce que le député pointe, c’est une société où le spectacle mène à la surconsommation. « Les footballeurs sont des influenceurs. Les sportifs ont toujours été des inspirateurs, et dans ce sens, ce tweet, c’est du placement de produit. C’est une nouvelle version des cartes postales qui invitent à voyager le plus loin possible, à utiliser les plus grosses voitures possibles, à avoir ce qu’il y a de plus cher possible et de les mettre en avant. C’est un mode de vie, un imaginaire, des valeurs qui favorisent la destruction de la planète. »

Société du spectacle+ société de consommation= société de consummationLes riches défoncent la planète. https://t.co/vP7bfpr5Q1

— David Cormand (@DavidCormand) July 5, 2022

Des joueurs de foot devenus influenceurs, dans un écosystème qui les conforte. « En devenant leur propre marque, ils trouvent un écho dans les clubs dans lesquels ils jouent, développe l’élu européen. Karim Benzema est l’un des meilleurs joueurs du monde et il joue dans le club le plus célèbre du monde. L’un renforce l’autre. » Lui ne voit pas d’irrespect écologique dans ce clip vidéo : « Il ne dit pas« la planète, je t’emmerde ». Ce n’est pas une démarche volontairement irrespectueuse. La vidéo montre un monde qui ignore complètement les conséquences écologiques de ses activités. C’est un déni de réalité sociale. » Un déni généralisé à la planète foot qui pourrait bien faire un stop dans cinq mois au Qatar, où la question de l’écologie (en plus des droits humains) sautera forcément aux yeux des joueurs et des dirigeants. Et si rien ne bouge, alors ce ne sera plus du déni, mais bien fini.