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Le Brexit, ce faux ami

Par Eric Carpentier
Le Brexit, ce faux ami

Et si un Brexit dur, limitant la possibilité de recrutement de joueurs étrangers en Angleterre, était le meilleur allié de la sélection anglaise dans son objectif de conquérir le monde ? Pas si simple. Voire même un peu simpliste.

Les deux nouvelles se suivent dans la boîte mail. D’abord une newsletter, détaillant le processus de votes en cours en Angleterre entre rejet de l’accord négocié par Theresa May, report de la date limite du processus de sortie et hypothèse d’un No Deal. Juste en dessous, c’est au tour de l’excellent Observatoire du football, du Centre international d’étude du sport (CIES), d’apporter des chiffres du monde, choisissant avec à-propos de se pencher sur le temps de jeu en Premier League des joueurs ayant grandi en Angleterre.

Et de faire ce constat : jusqu’en 2012, ceux-ci ont toujours disputé au moins 40% des minutes de jeu. Ce chiffre a baissé, pour atteindre un record négatif de 35,2% au 15 février de la saison en cours. A contrario, les joueurs de pays membres de l’UEFA, hors Grande-Bretagne, totalisent sur la dernière période 45 % du temps de jeu. Conclusion de la lettre de l’Observatoire du football ? « Dans le contexte du Brexit, une limitation éventuelle des possibilités de recrutement international(…)pourrait même renforcer (la compétitivité) de la sélection nationale. » Dans l’argumentaire, une jeune génération anglaise brillante, championne du monde U17 et U20 en titre, et l’idée de lui laisser le temps de jeu nécessaire à son développement. Mais est-ce vraiment si simple ?

FA vs PL, le choc

C’est en tout cas la position de la Football Association, qui se bat historiquement pour encadrer les ambitions des recruteurs. Taux de présence en sélection nationale pour une recrue hors UE, limitation du nombre de joueurs étrangers à 17 sur un groupe pro de 25… La FA poursuit un objectif, celui de faire de la place pour les Anglais. Elle a d’ailleurs sauté sur la perspective d’un Brexit dur pour proposer, en novembre dernier, une réduction à 12 joueurs étrangers maximum dans les effectifs (au prorata au-delà de 25 joueurs) en échange d’un assouplissement des règles de recrutement pour les joueurs non communautaires, qui s’appliqueraient de facto à tous les joueurs non Britanniques. Un raisonnement simple, dans lequel le joueur étranger remplace le plombier polonais.

La Premier League, qui poursuit des buts différents, a rétorqué en deux temps. D’abord en constatant que des règles existent et suffisent, en témoignent la demi-finale russe et les titres U20 et U17. Puis en sortant l’argument du poids économique des clubs anglais. Au-delà de la pertinence du dernier argument (qui, si on le suit, conduit tout droit à des pseudo-super ligues fermées), on peut effectivement rejoindre la Premier League dans son constat… mais en tirant des conclusions inverses, celles du CIES : au vu des générations à venir, une limitation des possibilités de joueurs entrants pourrait, d’un point de vue sportif, n’avoir qu’une incidence limitée sur le niveau global de la Premier League. En d’autres termes, en faisant éclore Benjamin Chilwell, Demarai Gray, James Maddison ou Harvey Barnes, Leicester n’y perdrait pas forcément par rapport au recrutement de Riyad Mahrez ou de N’Golo Kanté. Deux joueurs qui, à l’époque de leur transfert, ne remplissaient pas les critères applicables aux extra-communautaires – et demain, potentiellement, à tous les joueurs hors Grande-Bretagne.

La richesse, c’est la jeunesse

Mais cela aurait-il vraiment une influence sur le niveau des Three Lions ? Y-a-t-il un lien direct entre temps de jeu à la maison et rayonnement international ? Que le pays obtienne ses meilleurs résultats depuis 20 ans au moment où le temps de jeu de ses natifs est le plus faible ne plaide pas en faveur de cette idée. Pas plus que la composition des trois sélections devant lui en Russie (Belgique, Croatie, France), dans lesquels la proportion de joueurs évoluant dans le championnat domestique est proche d’être nulle. Évidemment, le schéma est différent, puisque ce sont là des pays où les joueurs se lancent, avant de passer au niveau supérieur – l’étranger – si leur niveau le permet. Mais la force de ces sélections réside aussi dans ce qu’ont appris leurs joueurs au contact de l’étranger. Un domaine dans lequel le joueur anglais, à propos duquel parler de « casanier » reste un euphémisme, est largement en retard. Avec ou sans intégration européenne.

Pourtant, l’Espagne ou l’Italie ont pu le montrer, il est tout à fait possible de gagner avec des joueurs évoluant à la maison. À condition qu’ils jouent, donc. Ou à condition que les grands clubs, les fameuses « locomotives » , jouent le jeu. Quand l’Espagne s’impose en Afrique du Sud, 50 % de sa sélection lui sont fournis par ses deux géants. En Angleterre ? Arsenal est une Internazionale londonienne, Chelsea et City ont été construit à coups de mercatos tous azimuts. Seuls Manchester United, Liverpool et Tottenham ont encore, dans une bien moindre mesure que par le passé, une coloration british. Ces clubs seront-ils touchés par un Brexit étendant les règles actuellement valables pour un Brésilien ou un Argentin à tous les pays d’Europe continentale ? Non : ils recrutent déjà des joueurs confirmés, entrant largement dans les critères les plus restrictifs.

Aujourd’hui comme demain, si les Three Lions parviennent à montrer les crocs, ce sera uniquement grâce à la mise en place et au développement d’un système de formation performant, qui produira des jeunes fauves aux dents longues, et surtout talentueux. Des gamins qui profiteront de l’avantage comparatif, toutes choses égales par ailleurs, dont ils bénéficient sur des joueurs étrangers. En résumé, des gamins qui auront pris le pouvoir sans attendre que des règles d’affirmative action leur fassent une place. À quoi cela tient-il ? À la part de richesse réinvestie dans la formation, le synonyme d’éducation en terme sportif. Tout le reste n’est que spéculation.

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