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« L’avenir du foot tunisien, et africain, passera par la formation »

Propos recueillis par Benjamin Laguerre
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Bertrand Marchand avait quitté la France en 2004 après deux années diamétralement opposées à la tête de l’EAG : septième la première saison avec le duo Malouda-Drogba, puis dans la charrette pour la Ligue 2 l’année suivante. Depuis, le globe-trotter Marchand s’est fait un nom au-delà de nos frontières hexagonales (Tunisie, Qatar, Maroc). Discussion de l’autre côté de la Méditerranée avec l’ancien sélectionneur de la Tunisie, époque Révolution de jasmin.

Après une deuxième expérience marocaine, avec le Raja en 2007 et la RSB la saison passée, quel regard portez-vous sur le foot marocain ?Le foot marocain est aujourd’hui celui qui met le plus de moyens pour développer ses structures professionnelles et sa formation. Il y a un programme à la Fédération royale marocaine bien défini pour faire progresser le football ici, chaque club aura son centre de formation à court terme. Après, les centres de formation, comme pour les écoles, ce ne sont pas les murs qui en font la beauté, mais plutôt la valeur des professeurs et de ce qu’on y enseigne. Mais je pense que le foot marocain est sur la bonne voie. Il y a un esprit d’ouverture, avec par exemple la venue de formateurs et de préparateurs physiques français dans le programme de la Fédération, et une vraie volonté de réussir.

À quel niveau se situe la Botola pro (la première division marocaine) par rapport aux autres championnats africains ?Pour moi, le championnat marocain est le deuxième en Afrique, derrière le championnat égyptien. L’Égypte est encore au-dessus avec des clubs structurés et des moyens financiers importants, l’Égypte c’est quand même environ 90 millions d’habitants et Le Caire environ quinze millions. Les clubs égyptiens sont les plus riches d’Afrique malgré les événements de ces dernières années. Le fossé avec les autres championnats africains a donc été réduit, mais le foot égyptien reste encore la référence. Après, juste derrière, on retrouve le championnat marocain, et pas loin le championnat algérien.

Et la Tunisie alors ? La révolution a-t-elle changé le football tunisien ?En 2010, quand j’étais sélectionneur, j’ai pris conscience du malaise qui existait dans la société tunisienne. Avant, en tant qu’entraîneur de clubs tunisiens, j’étais focalisé sur le jeu et sur le terrain, pas sur ce qu’il pouvait se passer autour, dans le stade. Mais en tant que sélectionneur, en tribune officielle pour les matchs de championnat tunisien, je voyais des supporters qui ne venaient plus pour encourager leurs équipes, mais pour insulter et taper sur les policiers… Beaucoup de jeunes entre dix-huit et vingt-deux ans qui venaient exprimer leur malaise, leur mal-être… Tout ça m’a interpellé et j’ai alerté les ministres qui étaient avec moi en tribune officielle de la possibilité que ces manifestations sortent de l’enceinte du stade. On m’a répondu que tout était sous contrôle… Trois mois après, on a vu ce que ça a donné…

L’Équipe m’avait appelé et m’avait félicité en me disant que j’étais le premier entraîneur français à remporter une Ligue des champions.

Avant votre départ pour l’étranger en 2004, votre expérience française a été assez brève, et on vous connaît finalement assez peu en France.C’est vrai que si je me promène à Paris, je passe incognito, alors que dans des villes comme Tunis ou Le Caire, on me reconnaît plus facilement. En France, je n’ai entraîné que l’EAG en pro. Avant, à Rennes, j’étais venu pour faire de la formation (génération Darcheville, Dabo…) à la demande du président René Ruello, puis j’avais été l’adjoint de Christian (Gourcuff). Et avant Rennes, j’avais passé quinze ans à Thouars et on était passé de la DH à la troisième division. Après mes deux ans à Guingamp, je n’avais qu’un seul souhait : continuer à entraîner en première division, quel que soit le pays. Voilà comment a commencé mon périple loin de la France.

Et depuis vous changez de club presque tous les ans. C’est un choix volontaire ? Par défaut ?Pour dire vrai, de façon générale en Afrique, il y a un manque d’anticipation sur le long terme. Un manque de continuité. La vision à court terme l’emporte trop souvent, et donc moi aussi, je m’adapte à ce mode de fonctionnement. J’ai des propositions et je n’attends pas forcément le dernier moment pour choisir et anticiper le futur. Que ce soit dans les pays arabes ou en Afrique, j’ai des références, donc ça aide aussi.

Surtout que vos débuts ont été réussis avec une victoire en Ligue des champions africaine en 2007.Un beau souvenir. Jean-Michel Rouet de L’Équipe m’avait appelé et m’avait félicité en me disant que j’étais le premier entraîneur français à remporter une Ligue des champions. Je n’y avais même pas pensé… Quand le journal avait donné cette info, coach Vahid avait appelé le siège pour rétablir la vérité, sa vérité. Il avait gagné le trophée avec le Raja quelques années avant et ne comprenait pas que l’on puisse dire que j’étais le premier Français à remporter une Ligue des champions… Je l’avais croisé quelque temps après et on en avait rigolé. Je lui avais dit : « Alors Vahid, tu boudes ? » Il m’avait répondu : « Moi, Vahid. Moi, français aussi. »

Le jeune footballeur français s’exporte bien. Physiquement, tactiquement et techniquement, c’est un produit bien fini.

Et depuis ce premier titre, de nombreux clubs, de nombreuses villes, un changement permanent…Changer, ça permet de casser les habitudes. J’aime ça aussi. Partir de mon premier club (Thouars Foot 79) après quinze ans a été un véritable déchirement. Dans les deux sens. Pour moi et pour les autres. C’est comme un divorce qui se passe mal. Le président, aujourd’hui décédé, n’a plus voulu me parler après mon départ. Il ne comprenait pas mon choix. C’est pour ça peut-être aussi que j’évite de prendre trop d’habitudes depuis…

Comment analysez-vous l’évolution de la Ligue 1 depuis votre départ en 2004 ?J’ai été un des premiers consultants au Qatar pour la Ligue 1, entre 2008 et 2010, pour Al-Jazeera Sports à l’époque. Je faisais trois ou quatre matchs par semaine, plus un magazine pour une chaîne de télévision tunisienne sur le championnat français. Et quand, chez moi, je regardais des matchs des championnats espagnol, anglais ou italien et que dans la foulée, je devais aller commenter les matchs français… je dois dire que notre championnat n’était pas le plus séduisant. Heureusement que le Qatar et beIN Sport sont arrivés. Maintenant, le PSG est une magnifique tête d’affiche, et en même temps, les droits TV ont explosé. Et ce sont, en partie, les droits TV qui font vivre les clubs. Sans le PSG version qatari et l’arrivée de beIN, le foot français aurait sans doute décliné. Il aurait décliné comme le championnat néerlandais ou suisse. La formation a aussi joué un rôle fondamental. Lancée il y a plus de trente ans, la formation française est aujourd’hui reconnue au niveau international. La preuve que le jeune footballeur français s’exporte bien. Physiquement, tactiquement et techniquement, c’est un produit bien fini.

Un produit qui s’exporte aussi dans les sélections étrangères et principalement africaines. En tant qu’ancien formateur, quel est votre avis sur la question des binationaux ?Les binationaux, c’est quelque chose de positif, c’est un rapprochement entre deux pays. Les binationaux français, c’est aussi une valorisation de notre formation et du foot français. Quand je vois les effectifs à la CAN, les Français représentent environ la moitié des effectifs, et cela devrait être une grande satisfaction pour nous.

Les pays d’Afrique du Nord qui n’investissent pas à fond dans la formation dans leur pays ne vont pas pouvoir avoir des résultats dans les années à venir.

Cela ne représente-t-il pas aussi un danger pour les sélections étrangères concernées ?En partie, et je l’avais dit en Tunisie, il y a déjà sept ou huit ans. L’avenir du foot tunisien, et africain, passera par la formation. Il fallait absolument anticiper. Aujourd’hui, le footballeur tunisien ne s’exporte pas et il n’y a pas beaucoup de grands joueurs tunisiens. De plus, la Tunisie compte moins de joueurs binationaux, en nombre, que l’Algérie ou le Maroc. Dans ces deux sélections, la part de binationaux est importante et permet d’avoir des résultats. Mais pour combien de temps encore ? Les pays d’Afrique du Nord qui n’investissent pas à fond dans la formation dans leur pays ne vont pas pouvoir avoir des résultats dans les années à venir.

Justement, comment voyez-vous l’avenir des pays du Maghreb par rapport aux prochaines échéances sportives ?Par rapport aux Coupes du monde 2018 et 2022, je pense que ce sera très compliqué pour le Maroc par manque de moyens humains, sportifs. En club, tu peux acheter les meilleurs joueurs, en sélection tu fais avec les moyens humains dont tu disposes. C’est pour ça que la seule solution, c’est d’investir dans la formation. L’exemple à suivre, c’est sans aucun doute la Belgique ces dernières années. L’objectif du Maroc, c’est d’avoir la Coupe du monde 2026. Il y a déjà les infrastructures ici. Il y a une grosse dizaine de stades qui sont superbes. Pour la Tunisie, ce sera extrêmement difficile de se qualifier pour les raisons évoquées avant. Pour l’Algérie, c’est possible, justement grâce à l’apport des binationaux.

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