L’AS Ilienne Amateurs vit son rêve de Coupe de France à 4000 km de chez elle

Situé à 30 kilomètres à l’est du Canada, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon abrite 6000 âmes, soit un peu moins que la ville de Guingamp. Si le hockey sur glace y est le sport roi, le football tente d’exister avec son championnat à trois équipes qui s’affrontent à huit reprises de mai à septembre. Mais depuis 2018, une « grosse carotte » fait courir les joueurs saint-pierrais un peu plus vite derrière le ballon rond : les équipes de l’archipel sont intégrées au troisième tour de la Coupe de France avec un voyage en métropole à la clé. Cette année, c’est l’AS Îlienne Amateurs qui a composté son ticket, éliminant aux tirs au but l’AS Saint-Pierre au premier tour, puis l’AS Miquelon au deuxième. Mais derrière ce bonheur de la qualification se cache un véritable périple pour déplacer la délégation de 30 Saint-Pierrais.

Un océan les sépare de l’Hexagone, alors forcément, pas question d’y aller en char à voile. « C’est la Fédération qui gère toute la logistique, balaie d’entrée Mehdi El Ghazouani, taulier de l’équipe. Il y a plusieurs manières de se rendre en métropole, je crois qu’on a pris la plus longue. Pour l’aller, on a eu trois vols : de Saint-Pierre à Halifax(au Canada, province de Nouvelle-Écosse, NDLR), de là on a rejoint Montréal où l’on a attendu huit heures notre dernier avion jusqu’à Paris pour un trajet total d’un peu moins de 24 heures. Pour le retour, on partira de Marseille vers Francfort puis Toronto et enfin Halifax où l’on passera la nuit avant de faire un dernier trajet pour arriver chez nous le lundi matin. » Un voyage forcément exceptionnel pour ces Français d’outre-mer : « Moi, j’y vais peut-être deux à trois fois par an en métropole, mais pour certains, c’est la première fois ! »

Noël Le Graët, Parc des Princes et arbitres de Ligue 1

Une véritable aventure d’une semaine pour laquelle toute l’équipe a pu se rendre disponible. « Les patrons ont été sympas, mais c’était surtout plus dérangeant pour les jeunes qui ont pris une semaine de vacances dès la rentrée. Au pire, on demandera un mot d’excuse à Noël Le Graët », plaisante le latéral des Jaunes, officiant dans la production de contenus numériques dans le civil. Le président de la 3F, les Saint-Pierrais de l’ASIA le connaissent bien puisqu’il les avait accueillis au siège de la Fédération lorsqu’ils avaient gagné leur place au 3^e tour en 2019. Rebelote ce mercredi où ils ont en plus reçu chacun un maillot de l’équipe de France. « On ne peut être que reconnaissant envers la Fédé avec ce qu’ils mettent en œuvre pour un petit club comme nous, pour un si petit archipel, témoigne Mehdi. En 2019, on avait pu faire la visite du Parc des Princes, on nous avait aussi offert les places pour voir les Bleus face à Andorre. »

Le club présidé par Ludivine Quedinet, qui compte environ 300 licenciés, avait rencontré le FC Lyon à l’époque, était logé aux alentours et avait pu s’entraîner à Tola Vologe, l’ancien centre d’entraînement de l’Olympique lyonnais. Cette fois-ci, les Saint-Pierrais sont encore mieux lotis, puisqu’ils sont basés au CNF Clairefontaine. « On est dans les tout nouveaux bâtiments, dans des chambres géniales. Le complexe est ultra propre », confie le joueur. À deux semaines près, ils auraient pu croiser Mbappé, Griezmann et consorts. Mais pas de quoi altérer leur enthousiasme : « On mange avec des tas de gens comme des entraîneurs qui passent leur diplôme. Il y a aussi tous les arbitres de Ligue 1 et Ligue 2 qui sont en formation, on a pu pas mal discuter avec eux. » Le tout sans risquer de prendre un carton. Autre partie du complexe – et non des moindres – dont peuvent profiter les joueurs du coach portugais José Manuel Almeida : les terrains synthétiques. C’est sur cette surface inconnue de tous qu’ils affronteront samedi à 18 heures Luynes Sport, club de Régional 2 situé dans les Bouches-du-Rhône.

Archipel, mais pas archipeur

On l’oublierait presque, mais c’est bien la raison principale de ce voyage malgré le parfum de colonie de vacances qui flotte dans l’air. « C’est dur de rester concentré sur la rencontre tellement on voit de nouvelles choses. Les plus vieux comme moi, on rappelle aux jeunes qu’on a quand même un match à jouer, avertit El Ghazouani, du haut de ses 34 ans. Il peut y avoir des petits sauts de concentration aux entraînements, mais le coach nous recadre aussi. » Cerise sur le gâteau, la formation basée à Aix-en-Provence compte dans ses rangs l’ex-international français Jérémy Mathieu (5 sélections). « Les corners, on va peut-être les jouer au sol. C’est encore une distraction. Toi, t’arrives de Saint-Pierre-et-Miquelon et tu peux affronter un mec qui a fait le quintuplé historique avec le Barça et qui a joué en équipe de France. Mais bon, il ne faudra pas trop l’admirer, mais plutôt le prendre au marquage. »

Ce 3^e tour à Luynes s’annonce forcément compliqué pour le club au trèfle à quatre feuilles. « On s’attend clairement à souffrir. Il y a deux ans, face au FC Lyon qui était monté en fin de saison en R1, on avait perdu 5-1, mais l’addition aurait pu être plus salée, se souvient le défenseur. Physiquement, on avait frappé un mur face à des mecs qui sortaient tout juste de préparation. L’AS saint-pierroise a pris 8-0 à Vertou (N3) la saison dernière. On sait qu’on devra aussi être très rigoureux pour ne pas laisser des espaces. En tout cas, on a à cœur de représenter le football local. » Et c’est presque ça l’essentiel, même si on s’autorise quand même à rêver. « Qui sait ce qui peut arriver ? », lance Mehdi El Ghazouani qui a bien cerné que c’est la coupe de tous les possibles, et n’est pas effrayé par l’idée de devoir retraverser une nouvelle fois l’océan pour le tour suivant.