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L’appel de Londres
Les considérations tactiques de cet Angleterre-France de ce soir à Wembley attendront demain matin. Le retour de Cabaye, la titularisation de Ben Arfa, le maintien de Sagna, Martial, Coman... Passons. Car le sportif s’efface forcément derrière la symbolique d’un match dont les enjeux sont ailleurs.
Fallait-il jouer cet Angleterre-France ? Non. On ne « joue » pas quand le cœur n’y est pas. Des deux côtés, chez les Bleus et même chez les Three Lions, la peine est trop immense. Lass Diarra a perdu sa cousine dans les attentats, et la sœur d’Antoine Griezmann est une survivante miraculée du carnage du Bataclan. Le long confinement des Bleus à Clairefontaine a ensuite été plombé par le flux terrifiant d’images diffusées par les chaînes d’infos en continu. Et les deux déflagrations entendues pendant le France-Allemagne résonneront encore longtemps dans la tête de certains joueurs présents au Stade de France. De ce que l’on sait, les entraînements du camp français ont été légers à Clairefontaine et à Londres. Et puis la réalité angoissante se rappelle au quotidien des Bleus par des signes impitoyables. Leur existence est d’habitude constamment jalonnée par des acronymes sécurisants : FFF, PL, L1, PSG, OM, MU, le CFC de Canal +, les TAB. Depuis vendredi soir, d’autres sigles au caractère renforcé escortent l’équipe de France : SAMU, RAID, GIGN, PFP (pour Pray for Paris)…
L’autre match de ce soir, Allemagne-Pays-Bas (un grand classique européen), aura finalement bien lieu. Mais là aussi, « jouer » quand le cœur n’y est pas s’avère délicat. Presque impossible. C’est en substance ce qu’a déclaré Joachim Löw, lui qui aurait souhaité multiplié les tests et qui a donc remisé les enjeux purement sportifs de la rencontre : « Ce match sera un message pour la liberté et la démocratie ainsi qu’un signe de solidarité avec nos amis français. Le résultat sera sans importance. » Pour rappel, les joueurs de la Mannschaft terrorisés par les événements de vendredi soir (en plus de l’alerte à la bombe à leur hôtel l’après-midi) ont passé la nuit de samedi au Stade de France. Pour des raisons de sécurité, le Belgique-Espagne de ce soir a été carrément annulé. Voilà pour le tableau général qui, on le voit, n’accable pas seulement les Bleus, mais aussi les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Belges…
Au paroxysme de l’affaire Benzema, passée soudainement vendredi soir au second plan, il fut rappelé avec fermeté les devoirs et servitudes auxquels tous ceux qui portent le maillot tricolore devaient s’astreindre. Mais on parlait là simplement de l’exigence de « discipline » et « d’exemplarité » . C’était un simple rappel au règlement. Mais depuis samedi, une nouvelle charge, encore plus lourde, s’est abattue sur les Bleus. Une mission sacrée, même : « jouer » pour la nation, même et surtout quand le cœur n’y est pas. Alors que l’horreur les a frappés deux fois pendant qu’ils jouaient, justement. À ce propos, désormais, on s’y reprendra à deux fois avant de fustiger nos Bleus, ces « millionnaires pourris gâtés » qui ne respectent rien ni personne. Eux viennent de subir la terrible épreuve du feu, une expérience éprouvante pour laquelle ils n’étaient pas plus préparés que tous leurs concitoyens… Alors on ne « jouera » pas ce soir, même si le ballon qui roule sur le billard de Wembley ravivera un peu la pulsion de vie et la passion du jeu. Les Bleus ne « disputeront » pas non plus une rencontre sde football. Les mots de Joachim Löw valent aussi pour le match de Wembley : « Le résultat sera sans importance. » Alors les Bleus « participeront » . En assumant symboliquement leur rôle de consolateurs de la nation. Moment fort de la résilience en marche, la Marseillaise devrait être reprise à Wembley paré de bleu-blanc-rouge par les supporters français et anglais au moment des hymnes. Avec la minute de silence, ce seront les deux sommets de la soirée qui passeront avant le match en lui-même. Les Bleus n’ont en fait qu’un grand moment de communion à offrir à la nation, un message de courage et d’unité. Comme celui du général de Gaulle en juin 1940, à Londres, déjà…
Demain matin, le foot reprendra ses droits. Il y aura bien une fiche de match, avec le score final, les compos d’équipes, le nom des buteurs (s’il y a des buts), les changements opérés, les pourcentages de possession de balles et de tirs cadrés, ainsi que d’autres stats de performances. Les trucs banals du foot, quoi… Sauf que c’est justement aussi à travers ces petits « trucs banals » d’une simple fiche de match que la vie reprend peu à peu son cours. Comme un convalescent peut se lever de son lit, marcher péniblement pas à pas jusqu’à la fenêtre et contempler le monde en mouvement pendant quelques secondes. Se relever, remarcher, se tenir à nouveau debout, puis courir, shooter, sauter, exulter…
Par Chérif Ghemmour