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La sixième dimension de la Juve

Par Adrien Candau
La sixième dimension de la Juve

Voilà, c'est fait. En dominant Crotone ce dimanche, la Juve a conquis son sixième titre de champion d'affilée. Un record absolu en Italie, où toutes les plus grandes formations de l'histoire de la Botte n'avaient jamais pu aller au-delà de cinq succès de rang en championnat. Retour sur les ingrédients d'une saison mémorable.

La Juve du quinquennat d’or des années 30. Le Grande Torino des années 40. L’Inter de Mancini et Mourinho des années 2000. Autant d’équipes qui dominaient le temps et l’espace de la légende du football italien en partageant un format commun, en cinq arcs majeurs, pour cinq titres de champion consécutifs. Puis Antonio Conte et Massimiliano Allegri ont déboulé à la tête de la Vieille Dame. Et les Bianconeri ont pulvérisé les repères d’hier pour conquérir une sixième dimension. Où ils sont désormais les seuls à régner.

Certitudes et mutations

Un exploit que la Juve a construit sur un savant mélange de tradition et d’innovation, en réinventant habilement la formule qui a fait son succès. Au mercato d’été 2016, la Vieille Dame commence par maintenir ses bonnes vieilles habitudes, en opérant des dépenses finalement plutôt raisonnables au vu de ses ventes. L’achat pharaonique de Gonzalo Higuaín est globalement couvert par le montant encore plus gargantuesque de la vente de Pogba, la venue de Pjanić pour 32 millions d’euros est compensée par le départ de Morata, que le Real rapatrie pour une somme équivalente, tandis que la venue du jeune espoir croate Marko Pjaca pour 22 millions est en partie remboursée par la cession de Roberto Pereyra à Watford. Surtout, la Juve est fidèle à sa réputation de grand club malin sur le marché des transferts en récupérant Daniel Alves, jugé indésirable à Barcelone, pour zéro kopeck.

Reste que les nouveaux venus, à l’image des débuts difficiles de Pjanić, doivent encore s’adapter au style des Bianconeri. Alors, Massimiliano Allegri, également confronté à l’absence ponctuelle de cadres comme Barzagli, Chiellini ou Dybala pour blessure, expérimente : défense à trois puis à quatre, système à deux pointes avec Higuaín et Dybala en fer de lance de l’attaque, Pjanić essayé au poste de trequartista… Le Mister juventino alterne les schémas et les joueurs, dans l’optique de trouver l’équilibre idéal de cette Juventus cuvée 2016-2017. Une métamorphose subtile et progressive, que la Juve paie forcément sur le pré : fin décembre, les Bianconeri comptent déjà trois revers en Serie A. Soit déjà autant que lors de la saison 2014-2015. Rien de foncièrement affolant néanmoins, alors que la Vieille Dame est sur le point d’achever sa mutation.

Formule magique

C’est une nouvelle défaite contre la Fiorentina à la mi-janvier qui fait office d’électrochoc. Allegri convoque ses cadres historiques, Buffon, Bonucci, Chiellini, Barzagli et Marchisio, qui remobilisent les troupes. Dans le même temps, le coach trouve enfin sa formule magique tactique : un 4-2-3-1, qui doit permettre aux siens d’exprimer leur plein potentiel. Un système où il réinvente avec succès Mario Mandžukić, reconverti en ailier tout terrain et laisse plus de liberté à Dybala derrière Higuaín afin que la Joyapuisse faire parler sans contrainte sa créativité. Il installe également Pjanić devant la défense aux cotés de Khedira, dans un rôle de meneur reculé qui sied à l’ancien Romanista.

C’est en adoptant ce schéma que la Juve brille en C1, humiliant le Barça 3-0 au Juventus Stadium mi-avril dernier, avant de repasser à trois derrière pour dominer sans trop se fatiguer Monaco en demi-finale. En Serie A aussi, la Vieille Dame, avant sa défaite indolore contre la Roma dimanche dernier (avec une équipe largement remaniée, voire carrément bis) n’avait plus perdu un match depuis la 20e journée, cumulant onze victoires pour quatre nuls. Un rythme intenable. Elle conquiert ainsi logiquement sa sixième couronne nationale consécutive, malgré les nouvelles saisons remarquables de la Roma et de Naples, qui ont déjà tous les deux dépassé la barre des 80 points. Un record, couplé à une seconde finale de Ligue des champions en trois saisons, qui achève de convaincre du degré d’excellence atteint par cette Juventus-là.

Le meilleur club au monde ?

Une progression vertigineuse pour un club qui, rappelons-le, s’extirpait tout juste de l’enfer de la Serie B il y a dix ans tout rond (la promotion en Serie A avait été décrochée le 19 mai 2007). Pourtant, aujourd’hui, c’est bien la Juve qui a « dix ans d’avance sur ses concurrents » selon Arrigo Sacchi. Économiquement d’abord, puisqu’elle devient le premier grand club italien à posséder son propre stade, avec l’inauguration du Juventus Stadium en 2011. Sportivement ensuite, où, outre les innovations tactiques successivement apportées par Antonio Conte et Massimiliano Allegri, les Bianconeri ont pu s’appuyer sur un directeur sportif hors du commun en la présence de Giuseppe Marotta.

Débarqué en 2010 à Turin, « Beppe » enchaîne depuis les coups de génie au mercato. Parmi ses plus grosses prises, on peut citer les transferts gratuits d’Andrea Pirlo, Sami Khedira, Daniel Alves ou de Fernando Llorente, alors en fin de contrat. Mais aussi les recrutements pour des prix ridiculement bas d’Andrea Barzagli (500 000 euros), Paul Pogba (1 million), Patrice Évra (1,5 million) et même Arturo Vidal (10 millions, vendu près de quatre fois plus cher au Bayern Munich en 2015). De quoi se demander si la Juve n’est pas parvenue à devenir purement et simplement le club le mieux géré au monde entre-temps. Pour couper court à tout débat, elle peut déjà prouver qu’elle a mis sur pied la meilleure équipe du continent, face au Real Madrid en finale de C1, le 3 juin prochain. Histoire de retrouver une dimension souveraine en Europe qui, elle, lui file entre les doigts depuis plus de vingt ans.

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