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La régulation du football, ce serpent de mer

Par Nicolas Kssis-Martov
La régulation du football, ce serpent de mer

Réguler le football. Cette idée est régulièrement ressortie des placards dès que les transferts explosent. Seulement, le fameux krach de la bulle spéculative du ballon rond n'est toujours pas survenu, malgré les Cassandre. Alors quels peuvent être la raison et les moyens d'assumer cette fameuse régulation qu'apparemment, ni les clubs ni les puissances régaliennes ne semblent pressés d'installer, sans parler de la FIFA ou de l'UEFA ?

Nous venons de fêter un an d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Le président de la République s’est pour l’instant peu penché sur la planète foot, trop focalisé sur les Jeux olympiques de 2024. Les rares décisions de son gouvernement qui peuvent l’affecter concernent surtout le monde amateur, avec par exemple la suppression progressive des emplois aidés (et en attendant de voir comment sera appliqué le volet sport du plan Borloo sur les banlieues). De petites avancées sont en cours, par exemple du côté des supporters (un dossier pas si négligeable quand on apprend par exemple que la fréquentation des enceintes de la L2 a perdu 12 %) ou encore dans la lutte contre l’homophobie ou le sexisme, mais cela demeure pour le moins timide et friable, d’autant plus que la refonte de la gouvernance du sport qui s’annonce va encore un peu plus rogner sur les petites compétences du ministère de Laura Flessel en faveur d’un CNOSF pour qui, en grande partie, le foot relève des affaires étrangères. Nous arrivons surtout, conjoncturellement, dans une phase un peu sensible. Les négociations pour les droits TV débutent dans un contexte économique tendu pour des clubs tricolores en grande dépendance vis-à-vis de cette source de revenus. En outre, le PSG attend avec fébrilité les décisions au sujet du fair-play financier, et pas besoin d’avoir fait médecine pour savoir que quand Paris s’enrhume, c’est toute la Ligue 1 qui tousse.

L’État pour principal levier

Pourtant, malgré tout, l’État s’avère encore le principal levier pour changer un peu la donne, ou du moins l’espérer. « Bien sûr, la régulation doit passer, directement ou indirectement par les États, confirme l’économiste Pierre Rondeau. Les grandes constructions et évolutions ont toujours été le fruit d’une intervention d’un État ou d’une institution européenne comme l’arrêt Bosman, décision de la Cour européenne de justice. Même le fair-play financier, bien qu’émanant de l’UEFA, résulte d’une demande de la commission européenne, après 2008 et la crise dessubprimes. Donc pour avancer, le sport a besoin des États, a besoin de l’action et de l’intervention publiques. »

La situation du football demanderait donc sûrement une plus grande prise en compte de la part de l’État, et de l’Europe, ce qui devrait interpeller aussi le fervent défenseur de l’UE que prétend être notre leader jupitérien. Il y a surtout un grand nombre de sujets dans l’ombre qui restent toujours non traités et qui pourtant nécessiteraient d’être abordés : les « travailleurs » du football restent toujours dans une éternelle précarité, dans leur immense majorité bien loin des caprices à six zéros d’un Neymar, le suivi des jeunes laissés pour compte des centres de formation demeure insuffisant, sans oublier la problématique de la gestion des stades ou encore les formes de solidarité entre les pros et les amateurs, de plus en plus étranglés par la baisse des subventions publiques et les difficultés des collectivités.

Petites mesures et grande indifférence

Le député UDI Michel Zumkeller avait soumis une proposition de taxe, rejoint par François Ruffin, en ce sens, en vain. Preuve que même les petites mesures de bon sens qui ne coûtent pas grand-chose se heurtent à l’indifférence, voire à un front du refus fort souterrain et cependant très majoritaire. « Il faut bien comprendre, nuance Pierre Rondeau, que la régulation n’est pas une attaque faite au football existant. Ce n’est pas un discours teinté d’idéologie anti-capitaliste pour critiquer les « milliardaires en short ». Au contraire, c’est un moyen de défendre et de protéger notre football, notre sport chéri. Au contraire même, la régulation réduit l’incertitude et renforce l’équilibre, elle attire les investisseurs et maintient l’équité sportive. »

Ce qui impressionne en fait surtout, c’est l’immensité du chantier de la régulation, surtout au regard du nombre d’acteurs, aussi bien institutionnels qu’associatifs concernés. Et soyons clairs, il s’agit évidemment de réforme, pas de révolution. Le capitalisme sportif peut dormir tranquille. « Il s’agit de favoriser la pérennisation et la solvabilité économique des modèles footballistiques, lutter contre l’augmentation de la dette et du déficit, réduire les écarts économiques et sportifs, renforcer l’équité sportive et l’intensité compétitive, augmenter le suspense et l’enjeu, insuffler une« randomisation du champion », soutenir les acteurs, réduire les déséquilibres sociaux, la précarité et l’incertitude, améliorer la solidarité et l’entraide » , continue Pierre Rondeau.

La menace d’une Superligue

De facto, l’une des principales pierres d’achoppement est que les diverses formes de régulation établies par le passé ont souvent eu des effets pervers, en tout cas davantage pesé sur les « faibles » que sur les « forts » . La DNCG a une longue liste de victimes qui ne se situent pas franchement dans le « big five » hexagonal, demandez du côté de Luzenac. Le fair-play financier a surtout permis de fossiliser des positions dominantes sur le Vieux Continent, pendant que la Premier League continuait tranquillement son processus de « NBAisation » . Alors existe-t-il un cercle vertueux de la régulation, même à la sauce keynésienne ?

« Les outils existent, défend Pierre Rondeau, comme un salary-cap européen, une taxe sur le luxe, un mercato harmonisé, un retour à des quotas de formation, une contribution Coubertobin, etc. Certes, certains acteurs alertent sur un risque d’une trop grande régulation, avec la menace de la création d’une Superligue européenne. Le discours répété est « si vous en faites trop, si vous nous contraignez trop, nous allons partir et créer notre compétition privée ». Mais à plus ou moins long terme, comment feront les grands clubs sans législation, sans l’aide à la formation, sans une politique de redistribution, sans aucun intérêt sportif, sans le soutien des supporters et des spectateurs, sans aucune solidarité entre les acteurs ? » En gros, sauvons le foot pro malgré lui…

De fait, le problème se révèle bien plus large dans un environnement politique guère favorable. La sacralisation du privé conduit de plus en plus à réduire la marge d’intervention de la puissance régalienne. La difficulté à instaurer un vrai contrôle du travail des agents au niveau d’un marché mondialisé illustre aussi les faiblesses de nos lois domestiques devant la mobilité de ces « commerçants » d’un nouveau genre. Les entreprises du foot entretiennent l’illusion qu’elles ne doivent rien à personne, tout en exigeant de plus en plus un statut « hors sol » , par exemple en matière fiscale ou, pour le cas français, de jolis stades clés en main. Et pourtant, « prenons l’exemple d’un stade de foot, conclut Pierre Rondeau. D’aucuns disent qu’il faut privatiser et laisser faire les acteurs privés, les clubs, à construire leur enceinte. Soit, mais qui va s’occuper des routes, des aménagements urbains, des transports, des services publics de proximité pour faire venir les supporters dans le stade, pour créer de la vie autour de l’enceinte ? Le privé ne peut pas vivre sans le public. » Aulas, on va tout réguler chez toi…

Dans cet article :
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Par Nicolas Kssis-Martov

Lire : Pierre Rondeau & Richard Bouigue Le foot va-t-il exploser ? Pour une régulation économique du football (éditions de l'Aube / Fondation Jean Jaurès)

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