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La mémoire courte du football colombien

Par Ruben Curiel
La mémoire courte du football colombien

Après la démission de Luis Bedoya, président de la Fédération colombienne, José Pékerman pourrait le suivre et quitter son poste de sélectionneur. Critiqué après la débâcle en Uruguay, l’entraîneur argentin voit sa cote baisser. La Colombie perdrait le meilleur entraîneur de son histoire. Et ne semble même pas s’en soucier.

« Pékerman ne va pas finir ces éliminatoires. Il est en train de perdre tout crédit. Il s’est trompé sur plusieurs joueurs qui n’ont pas le niveau de la sélection. Surtout ceux du football local. » Dans les colonnes d’El Mercurio, Faustino Asprilla, légende et ancien international, s’est adonné au petit jeu pratiqué par la sphère du football colombien ces derniers temps : remettre en cause José Pékerman. Si les résultats récents et le jeu pratiqué par la sélection cafetera le permettent, les critiques reçues par l’entraîneur argentin semblent totalement démesurées. Et outre les soucis sportifs, Pékerman doit désormais affronter les suites de la démission de Luis Bedoya, président de la Fédération colombienne pendant neuf ans. Ce dernier évoque des motifs personnels, tandis que les médias locaux avancent une implication dans le FIFAGate. Si une ère se termine, la Colombie pourrait aussi voir son avenir se troubler : ce départ remet directement en cause l’avenir du sélectionneur José Pékerman à la tête des Cafeteros.

Pékerman perd un allié

Entre Bedoya et Pékerman, les liens sont forts. L’ancien président est à l’origine de la venue de l’ancien sélectionneur de l’Argentine en Colombie. Il est celui qui a exclusivement négocié avec son agent les détails d’une prolongation de contrat qui a fait polémique au pays. L’ancien chauffeur de taxi réclamait un salaire conséquent de 5,5 millions de dollars, et la gestion et supervision de toutes les équipes de jeunes de la sélection colombienne. Surtout, malgré des couacs à répétition pendant sa présidence, Luis Bedoya a su ramener de l’ordre dans la maison.

En 2010, après le scandale provoqué par Hernán Darío Gómez (condamné pour avoir frappé une femme) alors sélectionneur, il a su reconstruire une équipe décimée, où l’indiscipline régnait. Juan Manuel Santos, président de la Colombie, avait même demandé à Bedoya d’engager un entraîneur étranger pour remettre de l’ordre au sein de la sélection. José Pékerman est arrivé, avec son staff et ses exigences conséquentes, et a su refaire de la Colombie une équipe respectable. Et l’entraîneur argentin pourrait voir tous ses plans remis en cause. Avec Bedoya à la tête de la Fédération, Pékerman avait exigé la construction d’un centre sportif (sorte de Clairefontaine moderne), à Baranquilla. Bref, s’il décide aussi de démissionner, la Colombie perdrait là le meilleur entraîneur de son histoire.

Un simple bâtisseur ?

Pourtant, en Colombie, la nouvelle ne semble pas inquiéter le monde du football. Les mauvais résultats ont semble-t-il affaibli le natif de Villa Domínguez. Surtout, la débâcle contre l’Uruguay (défaite 3-0 à Montevideo) a montré les limites du système imposé par le sélectionneur. En cause, sa volonté acerbe de promouvoir le championnat colombien, en s’obligeant à convoquer dix joueurs qui évoluent au pays. Alors les critiques fusent. Mais les Colombiens semblent avoir la mémoire courte. Comme si Pékerman n’était pas celui qui a rappelé aux yeux du monde entier que la Colombie était une nation de football. Comme s’il n’avait pas emmené la Colombie au Mondial brésilien, seize ans après la dernière participation. Comme s’il n’avait pas fait de Falcao une légende au pays. Comme si, au Brésil, il n’avait pas produit avec ses troupes le jeu le plus séduisant d’une Coupe du monde plutôt terne en football esthétique. Comme s’il n’avait pas fait de James Rodríguez l’un des cinq meilleurs joueurs du monde, lui confiant les clés d’une équipe déréglée par l’absence de Falcao.

Comme s’il n’avait pas fait de la Colombie une nation qui se place désormais parmi les huit meilleures mondiales. Comme s’il n’avait pas axé son travail autour de la formation, découvrant de jeunes pépites comme Cardona, Santos Borré, Fabra ou encore Murillo. Bref, la liste est longue. Mais aujourd’hui, le football colombien prend ses airs d’enfant gâté. Car l’équipe de Pékerman ne pratique plus le football déployé au Brésil, car Falcao n’avance plus, car son crédit d’entraîneur étranger semble s’étioler. Désormais, Pékerman doit prouver que sa Colombie n’est pas en fin de cycle. Il doit aussi prouver qu’il est plus qu’un bâtisseur, qu’il peut enfin tourner la page de ses échecs (on lui rappelle souvent ce mauvais changement à la Coupe du monde 2006, lorsqu’il sortait Riquelme contre l’Allemagne alors que l’Argentine devait garder le ballon). Avant d’affronter le Chili et l’Argentine – rien que ça –, Pékerman a bénéficié du soutien du nouveau président de la Fédération, Ramón Jesurún : « Je veux qu’il continue. Il a tout notre soutien, et la reconnaissance du comité exécutif. » À lui de s’occuper de l’amnésie collective du pays. Une belle mission pour Don José.

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