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  • Sur les traces de la famille Métatarse

La famille Métatarse, un drame en chair et en os

Par Théo Denmat
La famille Métatarse, un drame en chair et en os

Ils sont cinq, soit un de plus que les Dalton, mais présentent un sacré point commun avec les bandits de Morris : dans la famille Métatarse, le plus petit est aussi le plus dangereux. Et alors que celui qu'on appelle le cinquième concentre actuellement toute la lumière, ses frères, eux, souffrent en silence de son exposition. Récit d'un drame familial auprès de types qui l'ont dans l'os.

Il est pendu là depuis 8h30, tintinnabulant au gré des bourrasques qui s’infiltrent dans la salle de classe en même temps que la vingtaine de gamins qui reviennent de la cantine. L’air s’emplit rapidement d’une odeur de sueur, celle qui suit les footballs de récréation, au bon temps où elles duraient vingt minutes. Le petit village de Tendon, niché dans les montagnes des Hautes-Vosges, a beau ne compter que 514 habitants (au recensement de 2014, le prochain est en cours, indique-t-on sur place), on y trouve au 2 place de la Mairie un luxe : une école élémentaire et maternelle. Un bâtiment de murs blancs où, au fond de la classe des CE2 rouge, première porte à droite à l’entrée, travaille depuis maintenant cinq ans Métatarsien, premier du nom. L’accueil est plutôt froid, l’homme est sur la défensive : « Sur ma carte d’identité, c’est marqué « Métatarsien », mais tu vas m’appeler « Métatarse », comme tout le monde, grommelle-t-il d’une voix rauque. Tu connais Dominique Alderweireld ? Non ? C’est Dodo la Saumure. Voilà, bah c’est pareil. »

Le bonhomme s’est caché là pour qu’on ne vienne pas l’y trouver, mais accepte tout de même de répondre à quelques questions pendant un examen de mathématiques, à condition d’éteindre le micro. « L’Éducation nationale ? Ouais, ça m’est venu comme ça, ça paye pas trop mal et je termine à l’heure du goûter. Je suis métatarse d’un squelette sympa dans une classe de primaire, les enfants font de jolies frises et la femme de ménage me nettoie tous les soirs à la peau de chamois. Le temps coule doucement, ici. Il fait beau 300 jours par an. Mais t’as amené ta saleté de pluie parisienne avec toi. Tout est nuageux là-bas, même l’âme des gens. Les flashs et les paillettes, toutes ces conneries, ça n’a jamais été pour moi… Pas comme lui. » Il congédie dans la foulée, la rencontre a été brève. Suffisamment longue, toutefois, pour s’apercevoir que si la presse mondiale ne parle que d’un « trait de fracture » visible sur le désormais célèbre cinquième métatarse du pied droit de Neymar, la vraie cassure est avant tout familiale. Dans la fratrie de cinq, le premier Métatarse, le grand frère, a coupé tous les ponts avec les autres, et surtout « lui » . Trop d’histoires. Trop de rancœurs. Au moment de partir et de serrer la poigne, Oscar, le squelette, souffle un dernier conseil : « Il a perdu pied, mais tout n’est pas fini pour les autres. J’en suis sûr. Si vous voulez trouver III, cherchez en Italie. »

Tomber sur un os

Vingt régions réparties sur 300 000 km², 61 millions d’habitants. « Cherchez en Italie » , qu’il disait. L’expression « chercher une aiguille dans une botte de foin » n’a jamais été aussi juste. Le moteur de la Renault Koléos louée à Genève tombe en rade à Turin, noyé par la pluie en plein centre-ville. Le remorqueur annonce qu’il pourrait éviter pas mal de frais en échange de quelques heures de travail et d’un billet dans la poche, et conseille de faire un tour au musée égyptologique de la ville en attendant. D’où cette question existentielle : faut-il se fier aux hommes en salopette ?

Sur place, la pièce maîtresse est la tombe de Khâ et Merit, découverte en 1906 à Deir-el-Médineh. Autour, des masques, des sarcophages, et quelques momies finement enrubannées. En passant devant l’une d’elles, une voix émane d’un socle de verre : « Psst, vous êtes journaliste ? » Le timbre est étouffé, il provient du pied d’une momie : « Mon frère m’a parlé de vous. Je suis Métatarse III, comment vous m’avez trouvé ? » L’homme explique avoir atterri là à la suite d’un rêve américain déchu, un spectacle pourri jusqu’à la moelle : « Le concept, c’était de tout baser sur les jeux de mots, explique-t-il. On avait monté un duo d’humoristes avec un pote : Métroitarse & Fred Phalange. Une comédie musicale,Hakuna Matatarse, avec des déguisements et tout. On a essayé de s’exporter ici, dans le Piémont, pour jouer la carte pédestre à fond. Mais ça a foiré à cause de la barrière de la langue. Mes potes disent qu’on n’avait pas assez de « talon » …(Rires.)Tu l’as ? Talon… » Depuis cet échec, il travaille ici, enchaînant les CDD sur des squelettes incomplets, sautant de momie en momie en compagnie de types qui ont déjà un pied dans la tombe. La fratrie, explique-t-il, est en réalité divisée en deux. Depuis que IV, l’avant-dernier, gère les intérêts du benjamin, le cinquième Métatarse cartonne. « Il a beau être le plus petit de nous tous, il ne peut pas s’empêcher de faire parler de lui. Déjà gamin, il adorait se planter dans les coins des meubles, ça agaçait tout le monde. » Et désormais : l’un trouve les victimes, l’autre se charge du reste.

En grandissant, le cinquième Métatarse voit plus large, et commence à œuvrer à la chute de joueurs mineurs de football, assez lucratifs pour le faire vivre, assez inconnus pour ne pas le faire repérer. Puis, en octobre 2012, il signe coup sur coup les deux exploits qui font connaître son nom aux oreilles du monde : Marcelo et André-Pierre Gignac. Stambouli tombe en décembre suivant, Xabi Alonso en août 2013, Uroš Spajić en 2014, Maxime Baca, Pierre Lees-Melou… « La bête lui a échappé, se désole Méta III dans un craquement. On ne pouvait plus l’arrêter : James Rodríguez, Gabriel Jesus, Mkhitaryan, De Rossi… I, II et moi, on a arrêté de lui parler quand il s’en est pris à Neymar, c’était trop. Maintenant, il fait le guignol à la télé, tous les médias montrent nos photos de famille. J’ai entendu un touriste brésilien parler de ce qui est arrivé là, contre Strasbourg. C’est terrible, il s’acharne. Je vais vous confier un truc : je savais qu’il recommencerait. Ce type est un danger. Un danger incontrôlable. Un jour, il va briser la carrière de quelqu’un. » Il nous raccompagne à la porte, l’air franchement désolé. Aux uns la lumière, aux autres les ténèbres d’un sous-éclairage muséal. « Salut belle plante ! » , crie-t-il en levant la diaphyse.

Bouc et viscères

Le portrait est maintenant plus clair. I est la victime, III l’artiste, IV le cerveau et V le génie. Mais qui est II, dans tout ça ? Alors que la Koléos ronronne doucement sur le parking gelé du centre pénitentiaire de Sandal, au Nord de l’Afghanistan, on se dit que la guêtre est décidément une invention formidable. Le directeur de la prison a été clair : cinq minutes au parloir, pas une de plus. La pièce est vide, froide, silencieuse, mais progressivement emplie du bruit mat des pas d’un os en approche. II ouvre la porte, un homme lui ôte sa muselière. Il est de taille moyenne, il ne dispose plus que de deux incisives frontales, comme un rat de laboratoire. Il sent le bouc. Cela ne fait pourtant que deux mois qu’il est là, depuis ce 12 novembre 2018 où il a été pris en flagrant délit de crime : ce jour-là, le deuxième métatarsien s’est brisé dans le pied gauche de Breel Embolo, joueur de Schalke 04. Le procureur a évoqué au tribunal les termes de « radicalisation » et « d’endoctrinement familial » pour qualifier la situation du prévenu, qui confie dans un grognement que « c’est un complot » .

Il enchaîne : « V n’a pas supporté que je veuille mener ma carrière solo. Je n’aurais jamais dû lui parler de mon projet, jamais… Il a fait en sorte qu’on m’attrape en flagrant délit, et j’ai sauté dedans à pieds joints. D’après lui, il n’y a la place que pour l’un d’entre nous dans ce métier. » À la barre, au fil des discussions, le sujet du petit frère est évidemment arrivé au cœur des débats : « Ils ont essayé de me faire cracher son adresse, raconte-t-il, mais je ne suis pas une balance. D’ailleurs, vous feriez mieux de laisser tomber, vous ne les atteindrez jamais. Dites-donc, c’est un joli panard que vous avez là… » L’atmosphère devient glauque. Le regard est lubrique. Le réveil sonne, l’entrevue est close. Avant d’être de nouveau muselé, Métatarse II louche une dernière fois sur les chaussures du gardien, des Victoria rouges achetées sur Spartoo. Elles sentent la fraise. Dans un soupir, il glisse : « Ici, j’ai déjà un pied dans la tombe. Dites-donc, vous n’avez pas moyen de me faire passer de la lecture en douce ? Autrement, je vais me tirer une balle. Mon bouquin préféré, c’est Orteil et Préjugés. »

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Ceci est évidemment une fiction, toute personne prétendant relater des faits similaires doit immédiatement être présentée aux autorités psychiatriques.

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