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  • CAN 2023

« Je sentais que ça posait problème à mon club de me voir partir à la CAN »

Par Adel Bentaha

La Coupe d'Afrique des nations disputée en hiver (du 13 janvier au 11 février cette année) affole souvent les clubs européens, privés de certains de leurs éléments pendant plusieurs semaines en pleine saison. Mais pour les joueurs concernés, cette coupure internationale, aussi belle soit-elle, s'avère-t-elle aussi problématique ?

(231117) -- ALGIERS, Nov. 17, 2023 (Xinhua) -- Players of Algeria celebrate their goal during the Group G match between Algeria and Somalia of FIFA World Cup CAF Qualifiers in Algiers, Algeria, Nov. 16, 2023. (Xinhua) - Photo by Icon sport
(231117) -- ALGIERS, Nov. 17, 2023 (Xinhua) -- Players of Algeria celebrate their goal during the Group G match between Algeria and Somalia of FIFA World Cup CAF Qualifiers in Algiers, Algeria, Nov. 16, 2023. (Xinhua) - Photo by Icon sport

Casting :

Guy Demel (Côte d’Ivoire, 31 sélections) : a participé aux CAN 2006 (finaliste) et 2010.

Boukary Dramé (Sénégal, 15 sélections) : a participé à la CAN 2006.

Ousmane Coulibaly (Mali, 26 sélections) : a participé aux CAN 2012 (troisième place), 2013 (troisième place), 2015 et 2017.

Mohamed Amoura (Algérie, 19 sélections et 5 buts) : a participé à la CAN 2021, convoqué pour la CAN 2023.


Est-il nécessaire de se préparer individuellement pour une CAN en janvier ?

Demel : En 2006, j’avais fait appel à un préparateur physique et un kiné personnel, oui. C’était ma première CAN, donc je voulais être sûr de ne pas trop me surcharger en arrivant en Égypte. Dans ces cas-là, l’erreur que font certains joueurs, c’est de s’entraîner non-stop pour ne pas perdre le rythme. Le problème, c’est que vous vous surmenez et qu’une fois passé les deux premiers matchs de groupe, vous êtes déjà épuisé.

Dramé : De mon côté, j’ai préféré rejoindre la sélection directement à Saly, au Sénégal pour la préparation collective. Je n’ai pas forcément ressenti le besoin de faire une prépa individuelle. On a rejoint l’Égypte le plus tard possible. De mon expérience, plus vous commencez votre compétition tard, mieux c’est. Si vous arrivez trop tôt sur le lieu du tournoi, vous risquez de perdre en énergie mentale et d’être blasé avant même d’avoir commencé.

Coulibaly : Pareil, sur les quatre tournois auxquels j’ai participé, je me suis toujours préparé avec le groupe et non individuellement. Et je suis complètement d’accord sur le fait de rejoindre le pays organisateur au dernier moment. En 2012, on avait passé deux semaines au Togo et nous étions arrivés au Gabon à quelques jours seulement du début de la compétition. Psychologiquement, ça nous a galvanisés.

Quelle importance accordez-vous au changement de température ?

Amoura : Une fois que tu enchaînes les sélections, la température n’est plus un problème. Tu sais à quoi t’en tenir en arrivant sur le continent africain et tu n’y prêtes même pas attention. Il faut simplement veiller à ne pas se claquer en cherchant à faire trop d’efforts immédiatement.

Coulibaly : Comme le disent les autres, au bout de deux ou trois jours, ton corps s’y fait. Et même, des fois, tu ne ressens même pas ce changement. En 2013, je pars de Brest pour rejoindre l’Afrique du Sud, et le climat était quasi similaire. À Port Elizabeth, il ne faisait pas du tout chaud, mais très doux. Le Gabon et la Guinée équatoriale, ça nécessitait par contre une certaine adaptation, parce que l’humidité rend fou.

Demel : J’ai fini la première partie de saison avec Hambourg sous des températures négatives, mais heureusement qu’en Égypte, il ne faisait pas si chaud que cela. C’était à peine le début du printemps au Caire. En 2010 par contre, le taux d’humidité était assez élevé en Angola, et il a fallu qu’on arrive sur place deux semaines avant le début de la compétition pour s’y habituer.

Dramé : Le corps s’habitue au changement de température au bout de quelques jours, donc pas de problème. Ce sont surtout les virus qui sont craints. C’est là où il faut être vigilant, que soit la fièvre jaune ou le paludisme. Nous, en 2006 déjà, notre staff avait déjà des traitements bien avancés et nous informait précisément des risques qu’on encourait avec ces maladies. C’est un travail pédagogique essentiel.

C’est frustrant de voir que seule la CAN suscite autant d’interrogations. Les Sud-Américains, par exemple, disputent souvent la Copa América jusqu’à la mi-juillet, donc ça repousse leurs vacances et leur présaison en club. Pourtant, je n’ai jamais vu de débat là-dessus.

Guy Demel, ex-international ivoirien

Comment appréhendiez-vous la CAN avec vos clubs ?

Coulibaly : Dans les clubs où j’ai joué, je n’ai jamais eu le moindre problème. Les coachs ont toujours été très clairs avec moi, CAN ou pas. Au Panathinaïkos en 2017, le staff m’a même encouragé à tout défoncer avec le Mali pour faire une meilleure deuxième partie de saison. Et c’est ce qu’il s’est passé. J’ai probablement fait la meilleure saison de ma carrière.

Demel : Au HSV, je n’ai jamais eu le moindre souci. Que ce soit Bruno Labbadia en 2006 ou Thomas Doll en 2010, ils ont toujours pris le temps de discuter en début de saison. C’est rassurant, car tu ne vis pas dans l’expectative. Là où j’ai ressenti un peu de réticence, c’est au Borussia Dortmund, quand je leur ai annoncé ma volonté de représenter la Côte d’Ivoire. Et à West Ham aussi, un peu plus tard. Je sentais que ça leur posait problème de me voir partir régulièrement en sélection.

Dramé : Les championnats français sont les principaux pourvoyeurs de joueurs, donc les clubs savent à quoi s’en tenir. Ce problème de calendrier est arrivé assez récemment, j’ai l’impression. Depuis la multiplication des matchs. Avant, les joueurs partaient un mois et revenaient sans trop de problèmes. Même les blessés ne suscitaient pas de polémique.

Demel : C’est frustrant de voir que seule la CAN suscite autant d’interrogations. Les Sud-Américains par exemple, disputent souvent la Copa América jusqu’à la mi-juillet, donc ça repousse leurs vacances et leur présaison en club. Pourtant, je n’ai jamais vu de débat là-dessus.

Vu les nœuds de jambes, Guy Demel porte mal son nom.
Vu les nœuds de jambes, Guy Demel porte mal son nom.

Comment gérez-vous vos débuts de saison, les années de CAN ?

Dramé : Quand on évolue dans un club qui joue la coupe d’Europe, c’est sûr qu’on a un rythme suffisant. En 2006, je n’avais pas beaucoup de matchs dans les jambes avec le PSG, c’est pour cela que j’ai décidé de rejoindre directement mes coéquipiers au Sénégal, pour commencer rapidement. Et la CAN peut même être un boost. Quand vous n’êtes pas titulaire en club, mais que vous faites une bonne CAN, vous relancez complètement votre saison.

Demel : La première partie de saison est une préparation suffisante pour la CAN. Ensuite, tu n’as plus qu’à t’adapter au système de ton sélectionneur. Le plus compliqué, c’est de switcher psychologiquement de la sélection au club. En 2006 par exemple, je rentre du Caire avec le moral dans les chaussettes parce qu’on a perdu la finale de la CAN aux tirs au but, contre l’Égypte justement. Mais en club, on faisait une saison exceptionnelle, où l’on a terminé troisièmes de Bundesliga et été qualifiés pour la Ligue des champions.

Amoura : Jouer tous les trois jours facilite les choses. C’est mon cas à l’Union saint-gilloise, et j’en ressens clairement certains bienfaits, pour ce qui est du rythme et des automatismes. En arrivant en sélection, tout ce qu’il me faudra, c’est retrouver la connexion avec le système du sélectionneur. Les jambes, elles, sont déjà prêtes.

Coulibaly : En début de saison, tu prends le rythme et surtout, t’as une excitation particulière d’aller jouer avec ton pays. Rien à voir avec ce que tu peux ressentir en club. En 2012, à Brest, c’était d’ailleurs n’importe quoi. (Rires.) Nous étions à quatre à faire la CAN : Moïse Brou Apanga, paix à son âme, avec le Gabon, Ahmed Kantari avec le Maroc, Omar Daf pour le Sénégal, et moi-même. Et on avait fait un concours pour savoir qui rentrerait le premier à Brest. Ils se moquaient tous de moi, en disant que le Mali était trop faible. Finalement, je suis rentré en dernier et avec une médaille de bronze autour du cou.

Les matchs en sélection revêtent une saveur particulière. Le plaisir et la fierté prennent le pas sur tout le reste. Et n’importe quel international africain vous dira la même chose.

Ousmane Coulibaly, ex-international malien

Cet enchaînement des matchs ne constitue-t-il pas un poids psychologique ?

Demel : Les coachs ont un rôle primordial. Au HSV, le coach Thomas Doll était par exemple très attentionné. Avec Timothée Atouba du Cameroun, il nous laissait toujours des jours supplémentaires de repos. En sélection, la préparation peut aussi affecter le résultat. En 2006, Henri Michel nous avait préparés de manière très douce et nous avions atteint la finale. En 2010 par contre, Vahid Halilhodžić nous a tués. (Rires.) On a fait que du physique pendant toute la prépa, sous 30 degrés. Arrivés en quarts contre l’Algérie, on ne pouvait même plus courir et on s’est fait sortir…

Amoura : À titre individuel, le plus important est de rattraper le temps que tu as perdu en club pendant la CAN. Si tu fais un bon début de saison en club, ton départ à la CAN va forcément permettre à tes adversaires de revenir à hauteur. Donc ce qu’il faut, c’est se remettre dedans psychologiquement dès que tu rentres en club.

Dramé : La question de l’enchaînement des matchs ne doit pas se poser. En Angleterre, ils ne font pas de pause en hiver, et les joueurs n’en souffrent pas. Là où nous, on se prépare à une compétition, eux reprennent simplement le chemin de l’entraînement. Et puis, quand les joueurs ne jouent pas assez, ils se plaignent, quand ils jouent beaucoup, ils se plaignent aussi. (Rires.)

Coulibaly : Le temps qu’on passe sur le terrain en hiver, on le rattrape en été en partant en vacances plus longtemps que les autres. Donc finalement, même si c’est peut-être mieux de jouer en été pour satisfaire les clubs, au niveau de la charge mentale, il n’y a aucun problème. Les matchs en sélection revêtent une saveur particulière. Le plaisir et la fierté prennent le pas sur tout le reste. Et n’importe quel international africain vous dira la même chose.

La CAN en janvier est donc tout aussi légitime qu’un tournoi en été ?

Dramé : L’été paraît toujours être la période idéale, car nous y sommes habitués d’un point de vue européen. Mais jouer sous des pluies tropicales ou un air sec, c’est compliqué. Après, il faudrait peut-être réitérer l’exemple de 2019 et voir ce qu’en disent les joueurs. Mais pour l’heure, l’idéal reste le mois de janvier.

Coulibaly : La CAN souffre d’un certain mépris qui fait mal en tant qu’international. C’est notre plus grand tournoi, celui que l’on attend tous les deux ans, et le voir être remis en question pour des histoires de calendrier, c’est un peu pénible. Admettons qu’on la passe en été, combien de pays seront capables de l’organiser, tant au niveau des températures que des infrastructures ? Trois ou quatre ?

Demel : D’un point de vue européen, les gens pensent qu’il s’agit surtout d’un problème d’infrastructures, mais c’est avant tout météorologique. Quand vous avez des pays où en deux jours, il pleut l’équivalent d’un mois en Europe, comment faire ? Pareil au Maghreb, avec des températures qui approchent les 40 degrés. Est-ce qu’en Europe, la Suède organiserait un tournoi en hiver par exemple ? Eh bien en Afrique, c’est pareil.

Par Adel Bentaha

Tous propos recueillis par AB.

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