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  • Fusion des championnats belge et néerlandais

La BeNeLigue, mariage de raison ou réelle passion ?

Par Douglas de Graaf, Maxime Renaudet et Adrien Mama Okéné.
La BeNeLigue, mariage de raison ou réelle passion ?

Dans les cartons depuis plus de 20 ans, le projet de fusion entre la Ligue néerlandaise (Eredivisie) et sa consœur belge (Jupiler Pro League) a été ardemment relancé au cours des dernières semaines. Mais si cette BeNeLigue n'avait jamais connu un stade aussi avancé, les points d'interrogation et les divergences d'opinion restent nombreux.

« On est en train de créer avec les Pays-Bas une ligue qui peut réduire notre écart avec le Big 5. Le championnat devrait comprendre dix-huit clubs, dont huit belges. Cela peut aller vite. Si ce n’est pas pour la saison prochaine, sans doute dans les deux suivantes. » Le 22 octobre, juste avant de recevoir le PSG en Ligue des champions, c’est une petite bombe qu’a lancée le président du FC Bruges Bart Verhaeghe au quotidien Le Monde. Une ligue commune entre les meilleurs clubs néerlandais et belges d’ici trois ans, vraiment ? Au Plat Pays et dans celui des tulipes, toutefois, la nouvelle n’a pas fait ciller grand-monde : cela fait presque 25 ans que le projet ressort régulièrement des cartons, sans que rien ne se concrétise. Cependant, face à la menace d’une réforme de la C1 qui pourrait mettre hors jeu les deux championnats, le G5 belge (FC Bruges, Genk, La Gantoise, Anderlecht, Standard de Liège) et le G6 néerlandais (Ajax, PSV, Feyenoord, AZ Alkmaar, Utrecht, Vitesse Arnhem) ont récemment réactivé la piste. Avec pour ambition de devenir le « 6e championnat européen » et d’obtenir une place qualificative automatique pour la prochaine C1. Problème : de nombreux paramètres complexifient l’équation, laissant encore pléthore de questions en suspens.

Une chimère à deux têtes

À l’origine du projet il y a 22 ans, un homme : le manager d’Anderlecht Michel Verschueren, déjà conscient de l’écart sportif et économique avec les gros championnats. Belle idée, mais infaisable à réaliser, lui avait-on répliqué. Une douche froide équivalente à celle que les Pays-Bas lui ont réservée, eux qui n’ont jamais été convaincus de la plus-value que pourrait leur apporter leur voisin. Mais depuis, la donne a changé. Vers la fin de la décennie 2000, Ajax, PSV et Feyenoord ont amorcé leur déclin et l’Eredivisie, ultradépendante de son trio, a coulé avec. Au point de trébucher à un indigne 14e rang au coefficient UEFA il y a deux ans, ce qui la plaçait par exemple derrière la Tchéquie. La Belgique, de son côté, a suivi la courbe inverse. Les clubs du G5 sont devenus plus fiables en faisant évoluer leur modèle économique et le championnat s’est réinventé grâce à son système de playoffs, qui rebat fréquemment les cartes entre les cadors. Naturellement, les résultats ont suivi : la Belgique trône aujourd’hui au 8e rang du coefficient UEFA – juste devant les Pays-Bas – et aligne deux représentants en C1 cette saison (le FC Bruges et Genk) contre un pour la nation oranje avec l’Ajax.

Michael van Praag, président de la KNVB et instigateur de la BeNeLigue.

Ce nouveau rapport de force, les Pays-Bas en ont bien pris conscience. Alors que les clubs du G6 avaient balayé d’un revers de main l’hypothèse d’une étude de faisabilité de la BeNeLigue proposée par la Fédération néerlandaise (KNVB) en 2009, ce sont eux qui ont repris l’initiative il y a quelques mois, répondant aux appels du pied insistants du G5 belge.

De nombreuses entreprises néerlandaises s’intéressent déjà à cette passerelle transnationale et s’installent dans les Flandres.

Entamées en mars, les discussions se sont prolongées à trois reprises lors de réunions au Philips Stadion, auxquelles ont été associées les fédérations des deux pays. Et cette fois, l’étude à nouveau proposée par la KNVB a reçu un accueil favorable de toutes les parties. Cette étude – conduite par le cabinet Deloitte – ayant révélé le séduisant potentiel économique supposé du projet, une deuxième phase a été immédiatement ordonnée. Où il sera notamment question de formats de compétition envisageables.

Au-delà de l’aspect sportif, cette BeNeLigue est donc censée réduire le problème du gouffre économique qui sépare l’Eredivisie et la Jupiler Pro League du top 5 européen. Cela tombe bien, l’essence du projet est aussi de remplir les caisses des clubs et des ligues concernées. Selon une étude de l’université d’Anvers, la BeNeLigue doperait tout simplement les revenus des clubs concernés de 30%. « En s’alliant, les deux ligues créeraient une économie d’échelle et fusionneraient leur marché de consommateurs (28 millions de clients potentiels au lieu de 11 et 17 millions) » , explique Trudo Dejonghe, économiste du sport et professeur à l’université de Louvain. Bien que plus nuancé, Jean-Michel Waroquier, expert en marketing sportif et spécialiste du marché belge, met lui le doigt sur un autre aspect juteux : les sponsors. « Le bénéfice visé : dépasser le marché local pour s’ouvrir à un marché international en matière de sponsoring. De nombreuses entreprises néerlandaises s’intéressent déjà à cette passerelle transnationale et s’installent dans les Flandres : regardez AFAS, sponsor principal de l’AZ Alkmaar, qui s’est installé à Malines et est devenu un partenaire important des Yellow Red. D’ailleurs, les stades des deux clubs ont été renommés AFAS Stadion. » Plus d’argent (de quoi attirer de meilleurs joueurs et renforcer les investissements au sein des clubs), un potentiel d’attractivité accru, un championnat spectaculaire… Alors le compte est bon ?

Des obstacles à la pelle

On en est loin. L’échappée de onze clubs sait pertinemment qu’entre le schéma de la compétition, les règlements, les volets commerciaux et financiers, ou la communication, de nombreux points d’interrogation demeurent. Le premier n’est autre que l’UEFA, qui interdit historiquement les fusions. Lors de sa nomination en 2016, le président Aleksandr Čeferin a d’ailleurs déclaré qu’il considérait les nouvelles compétitions transfrontalières comme un ajout au calendrier et non comme un remplacement des compétitions nationales. Reste aussi à savoir comment attribuer un coefficient UEFA à l’OVNI BeNeLigue. Une pondération du coefficient de chacun ? Le classement du plus avancé des deux ? L’addition des points des cinq meilleurs clubs des deux pays ?

  Aujourd’hui, en Belgique, la concurrence entre les opérateurs c’est zéro, car ils se sont entendus entre eux pour acheter les droits non exclusifs.

Pour l’heure, personne n’a la réponse à ces questions. Pas plus pour celles concernant les équipes qui auront le droit de participer à la C1. Si le top 5 de la BeNeLigue venait à être trusté par des clubs néerlandais, le premier représentant belge aurait-il droit à la C1 ? Il en est de même pour la relégation, à la condition première qu’il ne s’agisse pas d’une ligue fermée : qui condamner au purgatoire ? Le dernier club belge et le dernier néerlandais, même si ce dernier finit quatorzième ?

Un obstacle bien plus réel se situe aussi au niveau des droits TV, ce que ne manque pas de rappeler la KNVB : « Le contrat TV des Belges expire en 2020 alors qu’aux Pays-Bas, il expire dans bien plus longtemps. C’est pour ça qu’il n’y a pas d’urgence pour nous. » Mais en Belgique, il y a le feu au lac, et les clubs voient dans la BeNeLigue une occasion en or de négocier un contrat beaucoup plus rentable. D’ailleurs, pour certains connaisseurs du dossier, si le président du FC Bruges a évoqué la BeNeLigue dans son interview au Monde, l’objectif était surtout de mettre la pression sur les diffuseurs belges, pas disposés à augmenter la valeur du contrat. Explications de Pierre Maes, consultant indépendant dans la négociation des droits TV : « Aujourd’hui, en Belgique, la concurrence entre les opérateurs c’est zéro, car ils se sont entendus entre eux pour acheter les droits non exclusifs. Si les opérateurs décident ensemble de payer 60 millions d’euros au lieu des 80 actuels, les clubs pourraient être tentés de vendre leurs droits dans leur coin. Car en Belgique, aucune loi ne dit que les droits TV doivent être vendus collectivement par la ligue. » De quoi miner l’argument que le nouveau marché de 28 millions de clients engendrerait automatiquement plus d’argent. « Ce n’est pas le nombre de personnes qui détermine la valeur des droits TV, mais la concurrence entre les opérateurs. Et aux Pays-Bas, ce n’est pas franchement mieux qu’en Belgique. C’est un peu le mariage de l’aveugle et du paralytique » , souffle Pierre Maes, ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique.

Marc Coucke, propriétaire d’Anderlecht, et Pierre François, CEO de la Pro League, lors de Belgique-Pays-Bas en 2018.

La question des droits TV met également en lumière des dissemblances au niveau de la législation. « Le plus difficile entre les deux pays, ce sont les lois qui régissent ces championnats. Sur certains points, elles sont différentes : je pense notamment au nombre de joueurs extra-communautaires ou aux impôts » , précise l’économiste belge Trudo Dejonghe. Contrairement à leurs voisins d’Eredivisie, les acteurs de la Pro League font partie du top 5 des joueurs les moins taxés d’Europe. Si le député Egbert Lachaert a récemment proposé une loi visant à supprimer ces avantages fiscaux, la Pro League a aussitôt suggéré d’élever le plafond de taxes et de faire davantage cotiser les joueurs les mieux payés. Une mesure qui pourrait rapprocher Belges et Néerlandais en matière de fiscalité. Reste la question des joueurs extra-communautaires : si les deux championnats n’ont pas de restriction concernant leur nombre, aux Pays-Bas, en fonction de leur âge, ils doivent gagner au minimum 150% du salaire moyen. Le contraire de la Belgique, où le salaire minimum de ces joueurs est d’environ 80 000 euros. Autant de différences pratiques qui compliqueront forcément les négociations d’un mariage dont le volet émotionnel reste aussi un immense obstacle.

À prendre ou à laisser

Car en Belgique et aux Pays-Bas, deux mots reviennent fréquemment pour s’ériger contre le projet : tradition et identité. Si Youri Mulder, ancien international oranje et consultant pour un diffuseur néerlandais et un média belge, estime que « l’identité de jeu des deux championnats se ressemble beaucoup » , ce n’est pas l’avis d’Edouard Duplan.

Un Emmen-Groningen attire plus de monde, plus de sponsors et plus d’émulation locale qu’un Heerenveen-La Gantoise.

Pour l’ailier français passé par le Sparta Rotterdam, Utrecht et ADO Den Haag, « le football ici est facilement identifiable : c’est le football total, celui de l’Ajax. Un football où ils comptent aussi beaucoup sur leurs centres de formation. Dans le cadre d’une fusion, il se pourrait que cette vision soit édulcorée et que cela freine l’éclosion des talents locaux, donc je comprends qu’ils cherchent à se protéger. »

Des inquiétudes que l’on retrouve aussi chez les supporters des deux pays, qui perdraient des rendez-vous auxquels ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux : les derbys. « Pour nous, le derby limbourgeois contre Saint-Trond est le match le plus important » , confie un ultra de Genk. « Si nous perdons ce match, nous sommes vraiment tristes et les habitants de Saint-Trond penseront que leur équipe est la meilleure du monde. » Même son de cloche au nord de la frontière où Rick, supporter de l’AZ Almaar, affirme carrément que ses camarades « s’intéresseront toujours plus à un déplacement chez Waalwijk (actuel dernier d’Eredivisie, N.D.L.R) qu’en Belgique » . Au-delà de l’aspect émotionnel, les derbys sont même une nécessité économique selon Youri Mulder : « Un Emmen-Groningen attire plus de monde, plus de sponsors et plus d’émulation locale qu’un Heerenveen-La Gantoise » . Manque de rivalité et d’histoire commune entre les clubs, coûts et distances de déplacements souvent accrus, importance du football régional et national… Chez les supporters, la tendance est claire : la BeNeLigue, personne (ou presque) n’en veut.

Tifo de l’Alkmaar « Ben-Side » lors de la réception de Manchester United le 3 octobre dernier en Ligue Europa.

Nota BeNeLigue

Et du côté des clubs ? Côté néerlandais, il se murmure que même le haut du panier ne considérerait la BeNeLigue que comme une option parmi d’autres. Ni trop enthousiastes, ni trop réfractaires, Ajax, PSV et compagnie attendraient simplement de voir si le projet s’avère être une poule aux œufs d’or. Chez les « petits » , l’accueil est logiquement plus glacial, et être tenu à l’écart des discussions n’arrange rien. Même Heerenveen, quasi assuré de faire partie de ce cercle privé, a tempêté pour exprimer son opposition via Cees Roozemond, son directeur général. « On n’est pas du tout fans de ça. C’est une solution extérieure à notre propre territoire et uniquement motivée par l’argent. »

 Si on me dit « Demain, tu vas jouer en D2 car deux championnats fusionnent », ça serait bizarre et injuste, d’autant que ça fait deux saisons qu’on finit avant la 8e place.

S’ils comprennent que les ténors cherchent à améliorer leur compétitivité, les seconds couteaux sont conscients qu’une « première division bis » serait une catastrophe pour eux. « Nous avons déjà des difficultés et nous priver des affiches, ce serait tuer les plus petits clubs » , a réagi officiellement le club de Waasland-Beveren, avant-dernier du championnat belge. « Le stade sera immanquablement déserté, et les sponsors nationaux s’en iront voir ailleurs » , anticipe Jean-Michel Waroquier.

Sur les pelouses, entraîneurs et joueurs bénéficient d’encore moins d’informations, ce qui ne les empêche pas d’avoir un avis – bien souvent lié au standing de leur club. « Si on me dit « Demain, tu vas jouer en D2 car deux championnats fusionnent », ça serait bizarre et injuste, d’autant que ça fait deux saisons qu’on finit avant la 8e place » , avoue Lucas Rougeaux, défenseur du KV Courtrai. Mais pour Francky Dury, entraîneur de Zulte Waregem et ancien directeur technique de la Fédération belge, « c’est pareil avec l’Europe, tu as la C1 et en dessous la C3. Dans le foot, il faut accepter qu’on joue pour être le meilleur, pas pour faire plaisir aux autres clubs. » Un constat que ne partage pas Arnauld Mercier, entraîneur de Waasland-Beveren : « Avant de se tourner vers d’autres pays, laissons peut-être la place à des clubs qui ont la structure et les moyens de pouvoir accéder à l’élite. Aujourd’hui, en troisième division, beaucoup de clubs s’entraînent comme des clubs pros alors qu’il n’y a qu’une place pour la montée en D1B (deuxième division). »

Sur tous les terrains, la BeNeLigue suscite des réactions mitigées et semble minée par les divergences entre les deux pays. Suffisamment pour que Belges et Néerlandais omettent d’inviter leur partenaire historique, le Luxembourg. « Nous avions été contactés il y a peut-être dix ans de cela, mais pas depuis. De toute façon, ça ne nous intéresse pas trop. La politique de la Fédération, ce n’est pas de mettre une équipe dans un championnat étranger, car on sait que nos équipes n’auraient pas le niveau, même Dudelange » , tempère Joël Wolff, secrétaire général de la Fédération luxembourgeoise. En revanche, les autres nations européennes assistent à ce show la bave aux lèvres, et avec une petite idée derrière la tête… L’Autriche et la Suisse, notamment, ont en commun d’être des pays aux populations semblables et aux championnats peu fournis, avec une ou deux formations au-dessus du lot sur la scène domestique, mais sans arriver à s’imposer sur la scène européenne. FC Bâle, Young Boys Berne et Red Bull Salzbourg pourraient bien être tentés d’avoir une petite conversation si le projet de BeNeLigue connaissait une nouvelle avancée. Superligue scandinave, Superligue des Balkans, Superligue d’Europe de l’Est… Voilà à quoi pourrait éventuellement ressembler le football européen si Belges et Néerlandais venaient à lancer le mouvement. Et si la réforme de la C1 était finalement le vrai moteur de la construction européenne ?

Dans cet article :
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Par Douglas de Graaf, Maxime Renaudet et Adrien Mama Okéné.

Tous propos recueillis par DDG, MR et AMO, sauf mentions.

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