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La belle épopée des U19 de la Jeanne d’Arc de Drancy

Par Matthieu Darbas, à Drancy
La belle épopée des U19 de la Jeanne d’Arc de Drancy

Les U19 de la Jeanne d'Arc de Drancy, club amateur de la banlieue parisienne, sont actuellement deuxièmes de leur groupe, devant de nombreuses écuries professionnelles et juste derrière le Paris Saint-Germain. Le Havre, Lens, Lille, Caen, Amiens, Valenciennes ou encore Orléans, tous subissent la loi d’une écurie aux moyens limités, invaincue depuis dix matchs de championnat. Comment tenir tête à de telles institutions ? Enquête en terre drancéenne, où un visage, celui de l'entraîneur Nassim El Abdi, incarne cette réussite.

La Pucelle d’Orléans n’avait rien demandé à personne, et pourtant, ce dimanche 5 décembre 2021, c’est bien sa mémoire qui est ravivée lors du « Jeannedarc-ico » qui se joue au stade Paul-André. Les U19 de l’US Orléans, honnêtes 6es (sur 14) du groupe A, rendent visite à la Jeanne d’Arc de Drancy, qui pointe à une impressionnante 2e place, juste derrière le PSG. L’enjeu est simple pour les locaux : consolider cette bluffante position de dauphin. Un objectif qui a poussé Nassim El Abdi à convoquer ses joueurs plus tôt pour cette 14e journée. « Aujourd’hui, c’est pas Caen, c’est pas Chambly(les deux dernières victimes de Drancy, NDLR), non c’est du costaud, mes p’tits gars : c’est Orléans », clame d’entrée l’entraîneur. Conscient qu’il a moins de marge de manœuvre que ses concurrents professionnels, le club amateur de la banlieue parisienne située entre Bobigny et Aulnay-sous-Bois n’a pas l’intention de prendre à la légère ce match. « Quoi qu’il arrive, au coup de sifflet final, vous serez sur le podium. Mais moi, ce que je vous demande, c’est un dernier effort avant les vacances. Je vous le dis : le gâteau, vous l’avez mangé ! Vous avez mangé toutes les miettes ! Il ne vous reste que la cerise », salive Nassim, pointant du doigt Orléans dans le classement affiché sur son Power Point, où il a pris soin d’inclure une tête de mort à la place du logo du club du Loiret. Meilleur club amateur de la saison, la JAD bouscule la hiérarchie. Quelques heures plus tard, Nassim verra ses joueurs célébrer une victoire autoritaire (2-0) et entamer la phase retour avec 30 points, soit seulement 7 de moins que le PSG de Xavi Simons. Dans le ventre mou, les références de la formation française que sont Lille (7e, 22 pts), Le Havre (8e, 20 pts) et Lens (9e, 17 pts) tirent la langue. La simple lecture de ce classement invite à se poser une question : comment cette bande d’amateurs de Seine-Saint-Denis a-t-elle réussi son coup ?

« Au bout de quatorze matchs, si vous êtes deuxièmes, il n’y a pas de hasard », assure David Le Moal, entraîneur des U19 d’Orléans, alors défaits sur le synthétique du stade Paul-André, avant d’expliquer qu’il est « un peu surpris de voir Drancy sur le podium week-end après week-end, mais pas tant que ça finalement parce qu’à chaque fois qu’on joue contre eux, ils montrent des choses intéressantes ». Pas la peine de se balader du côté d’Orléans pour deviner que les conditions d’entraînement y sont pourtant meilleures qu’à Drancy. Direction la commune dionysienne, donc.

« On a une galère : Draman est coincé dans les transports »

Quelques jours plus tôt, les Drancéens étaient à l’entraînement sur un vieux rectangle vert glissant et abîmé par la vie. Les maisons du quartier bordent le terrain. Pour accéder au stade Maurice-Baquet, il faut traverser le pont qui surpasse la gare du RER B, située à quelques mètres de là. Le trafic des trains toutes les cinq minutes conduit fatalement Nassim à hausser la voix pour donner ses consignes. « On ne subit rien ! Allez les gars ! » crie le coach au moment d’entamer un travail de récupération avec plus d’une trentaine de joueurs. La raison de cette affluence ? Ce terrain d’entraînement est le seul dont dispose le club. De fait, comme chaque semaine, les U19 le partagent avec les U17 nationaux et les filles, dont les fins de séance chevauchent celle des U19. Chacun son bout de pelouse, jusqu’à ce que tout le pré n’appartienne plus qu’aux gars de Nassim. Ce lundi, le coach veille à ce que tout le monde joue le jeu lors du travail d’endurance. « Pas de tricheurs, ne trichez pas ! » reprend-il quand certains tentent de ne pas aller au bout de la ligne.

Passé par les U17 de Drancy et désormais professionnel à Valenciennes, Aeron Zinga est du genre positif : « Ils sont toujours à Maurice-Baquet ? Ah oui… Honnêtement, tu ne peux jouer sur ce terrain le week-end. Il est vieillissant, et même pour s’entraîner, c’est difficile. Après, quand tu t’y entraînes tous les jours, tu peux facilement jouer partout ! » L’attaquant de 21 ans se rappelle qu’« à l’époque, il y avait déjà les filles à gauche, nous à droite et les U19 qui venaient ensuite ». Pour lui, ce terrain est l’exemple parfait pour illustrer l’impossible comparaison avec les centres de formation : « C’est incomparable. À Valenciennes ou dans les autres centres de formation, tu ne te retrouveras jamais avec des buts mobiles, qui se rétractent, et des coupelles pour faire les autres cages. »

Le problème pour la JAD, c’est que ce terrain synthétique bancal n’est pas le seul obstacle à surmonter. À une poignée de minutes du coup d’envoi de la réception d’Orléans, au moment d’annoncer l’équipe qui démarrera la rencontre, Nassim soupire : « Bon, on a une galère : Draman (Kanouté)est coincé dans les transports à Vincennes. Il ne pourra pas venir, donc Elie(Sakala) va le remplacer. » Un couac comme un autre quand on n’a pas le luxe de prendre ses joueurs par la main du lever au coucher. « Si je te refais l’histoire de ce match, il y a encore plus fou que l’absence de Draman, reprend l’éducateur, qui avait très peu dormi la nuit précédant le match, une sale nouvelle l’obligeant à revoir sa tactique. Le samedi à 23h, j’ai appris le forfait de mon défenseur axial droit, Guillaume(Obermeister), qui avait 40 de fièvre… »

Flunch, Léo Messi et Isabel Marant

À titre de comparaison, du côté d’Orléans, ce n’est pas la même mayonnaise lorsqu’il s’agit de parler de préparation. « Nous, à chaque fois que l’on se déplace, le midi, on mange au Flunch, raconte David Le Moal. Ça fait longtemps qu’on fonctionne comme ça. C’est la facilité. On peut manger rapidement avec un choix varié. Donc je fais un plateau standard – entrée, plat, dessert –, et mes joueurs ont le choix entre la viande et le poisson. Ensuite, on envoie la liste au Flunch la veille pour les tenir au courant qu’il faudra faire cuire tant de steaks. » À ce niveau-là, le club francilien fonctionne de la même manière que son homologue orléanais. Dans les faits, une fois les joueurs arrivés dans le restaurant, on n’a pourtant pas la même notion de la nutrition ou des gains marginaux. « Chez nous, il y a toujours un joueur qui essaye de prendre du fromage, un peu plus de sauce, souffle Nassim. Un jour, un de nos joueurs a pris un kilo de pâtes avec de la sauce qui débordait de l’assiette. Il me dit :« Non, mais t’inquiète Nassim, j’ai l’habitude, j’ai toujours fait ça. »Lors du match, il n’a pas mis un pied devant l’autre. À la mi-temps, j’ai pris le paquet de chasubles bien humides avec lesquelles ils s’étaient échauffés et je lui ai jeté à la gueule. Depuis, il ne met qu’une petite cuillère de pâtes dans l’assiette. » Une petite cuillère de pâtes pour le joueur, mais une grand victoire pour le management de Nassim.

Malgré ces aléas, la Jeanne D’Arc continue son bonhomme de chemin dans son championnat, et ses meilleurs éléments sont naturellement et régulièrement convoités. « Certains joueurs partent à l’essai à Toulouse ou à Sochaux, d’autres montent en N3 avec l’équipe première du club », se réjouit l’entraîneur Nassim. Reste que ce type de scène du quotidien, ainsi que le budget restreint et les infrastructures précaires avec lesquelles doit jongler Nassim, impressionnent son confrère David Le Moal. L’entraîneur d’Orléans s’étonne de voir les joueurs de Drancy et son staff « répondre aux exigences des U19 nationaux dans ces conditions ». La passion pour le football de Nassim est plus forte que tout. Elle déborde d’ailleurs de ses fonctions d’éducateur. Pour preuve, ce jeune papa a glissé une référence au septuple Ballon d’or dans le nom de son fils qui a aujourd’hui huit mois. « Ma femme voulait l’appeler Jessim, mais moi j’avais envie de lui rajouter « Léo » devant, parce que je suis fou de Léo Messi, alors on l’a appelé Léo-Jessim », sourit-il fièrement. En marge de ses activités sportives à Drancy et de celles de père de famille, le jeune homme de 30 ans fait des études de droit afin de passer le concours d’avocat. « Je suis inscrit au CRFPA(Centre régional de formation professionnelle des avocats, NDLR), donc je bosse comme un fou à la maison pour les écrits et les oraux qui auront lieu en juin. J’ai bossé dans le prêt-à-porter à Isabel Marant pendant quelques années, mais je ne voulais pas vendre des vêtements toute ma vie. À 23 ans, j’ai eu ce déclic, alors j’ai commencé cette carrière d’éducateur. En parallèle, j’ai repris mes études. Mon investissement dans le football et la manière d’apprendre à mieux m’organiser ont affecté positivement ma scolarité », confie Nassim qui, posté à son bureau, bosse autant sur des lois sociales que sur l’évolution de son 3-5-2.

De sacrées journées et donc des nuits courtes pour Nassim El Abdi, qui peine par ailleurs à boucler les fins de mois. Heureusement, il y a Chahira, son épouse. « Ma femme est opticienne. Elle gère grave parce que je ne peux pas nourrir la famille. Parfois, elle me dit« t’es trop foot foot foot. » » Si Nassim voit bientôt le bout du tunnel concernant les études, il garde aussi l’espoir de réussir dans le football professionnel. « Le jour où ça sera possible de vivre uniquement de ça, je le ferai. Mais pour le moment, ce n’est pas le cas », assure l’entraîneur qui ne touche que de petites indemnités, inférieures à la moitié d’un SMIC. Qui sait, une structure professionnelle ouvrira peut-être un jour les yeux sur le fait qu’un homme est en train de faire des miracles avec les U19 de la Jeanne d’Arc de Drancy. En attendant d’en arriver là, Nassim trouve son bonheur dans le côté familial de cette aventure. « Beaucoup viendraient chez nous et diraient :« Mais c’est quoi ce cirque ? »Chaque déplacement me rappelle qu’on ne vit pas dans le même monde que nos adversaires. Mais on est une vraie famille ! Par exemple, j’ai déjà pris le volant de la navette parce que mon adjoint utilise souvent sa voiture dans le cadre de ses fonctions professionnelles, mais il n’a pas envie de perdre des points… » Les U19 de Drancy aussi détestent perdre des points.

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