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Kévin Rodrigues : « Ma plus belle surprise, c’est Pepe ! »
Viré du centre de formation de Toulouse après une bagarre avec un coéquipier, Kévin Rodrigues s'est finalement bien rattrapé en se faisant un nom en Liga du côté de la Real Sociedad puis de Leganés depuis l'été dernier. Au point d'être appelé en sélection du Portugal (trois capes). Rencontre.
Après quatre ans à la Real Sociedad, tu viens d’être prêté à Leganés depuis cet été. Madrid doit un peu te changer du Pays basque, non ? C’est sûr. (Rires.) Surtout au niveau du temps, car là-bas, il ne fait que pleuvoir. Et c’est vrai qu’à Madrid, il y a tout et que la vie est sympa. Et puis, tu peux te balader tranquille dans les rues. Bon après, je pense que c’est plus compliqué pour les joueurs du Real Madrid et de l’Atlético. Mais quand tu joues à Leganés, personne ne fait attention à toi. Même si moi, je suis très casanier et je préfère rester avec ma copine à la maison. Quand j’étais à la Real, mes amis de Bayonne venaient me voir ou j’allais chez eux. Là, j’ai forcément moins d’amis, donc je reste plutôt à la maison.
Tu habites où, à Madrid ? Au même endroit que tous les autres footballeurs ? Je vis à Boadilla, dans un quartier un peu éloigné de Madrid. C’est un coin tranquille, il y a beaucoup de footballeurs. Mon voisin, d’ailleurs, est un gars du Rayo Vallecano. En fait, ce qu’il se passe, c’est qu’il y a une dame qui s’occupe de tous les clubs pros à Madrid. Dès qu’un nouveau joueur arrive, c’est elle qui le place. Et elle place quasiment toujours les joueurs vers Boadilla et Majadahonda. Donc du coup, ça fait une zone avec beaucoup de footballeurs.
Tu es né à Bayonne, et tu as joué au foot à l’Aviron bayonnais. Ça se passe comment le football, dans une terre de rugby ? Oui, c’est une vraie ville de rugby, et tous les supporters vont voir les matchs de rugby. Ils sont 15 000 au stade, alors qu’il n’y a que 200 personnes au foot. Après, je ne vais pas te mentir : j’ai essayé le rugby aussi, mais j’ai vite vu que ce n’était pas pour moi. (Rires.) Je n’avais pas vraiment la carrure, et depuis petit, je suis tout le temps avec un ballon de foot à jouer avec mon père. Du coup, j’ai vite choisi le football.
Quand tu as quatorze ans et que tu rejoins le centre de formation de Toulouse, tu t’imagines déjà y signer pro ? Ça te met forcément des idées en tête, mais il faut garder les pieds sur terre, car ce n’est que le début. Surtout que quand tu arrives là-bas, tu vois des gens qui viennent de partout et qui sont tous là pour le même but. Et puis finalement, dans notre génération, il n’y en a pas beaucoup qui ont fini pros. Il y a Hassane Kamara qui joue à Reims, et Kader Bamba à Nantes.
Et il y a cette première en Ligue 1 en mai 2012 au Stadium face à Ajaccio, alors que tu n’as que 18 ans. Qu’est-ce que tu ressens, à ce moment-là ? En fait, je pense d’abord à mon père, car c’est un grand supporter de Toulouse et c’est aussi pour lui que je n’ai pas hésité à aller au centre de formation du Téfécé. Mais j’avais surtout beaucoup de pression, et j’avoue que j’étais un peu perdu. C’étaient vingt minutes assez intenses, et j’avais l’impression de ne pas avoir d’air. Je n’arrivais plus à respirer, on était en train de perdre 2-0. Du coup, je ne faisais que des allers-retours et des contre-attaques. Heureusement que les plus anciens, dont surtout Serge Aurier, m’ont bien aidé. Il est venu me voir, pour me dire de jouer comme je savais le faire.
Finalement, tu te fais renvoyer du centre de formation. Qu’est-ce qu’il s’est passé, exactement ? Disons que j’ai eu une petite altercation avec un autre joueur du centre de formation, qui a mal terminé. Ce qui m’a vraiment foutu les boules, c’est que je devais signer pro un mois après. À ce moment-là, je me dis que j’ai tout gâché. Que le foot est fini, pour moi. Au début, j’ai vraiment tout relâché. Je me disais que ce n’était pas possible, que je n’allais jamais réussir à signer pro alors que j’y étais. Puis, je suis reparti au boulot. Je m’entraînais de mon côté, j’ai fait des tests, et Dijon a bien voulu me prendre une année. Ça m’a permis de retrouver du rythme, car après six mois sans jouer et sans s’entraîner avec d’autres joueurs, c’est un peu dur.
Quand la Real Sociedad vient te chercher, c’est d’abord pour jouer avec la réserve. Tu ne l’as pas pris comme une régression ?En fait, je connaissais déjà un peu le club : il est assez populaire à Bayonne, parce que ce n’est pas très loin de la frontière. J’avais déjà été voir un match là-bas, et mon club avait un partenariat avec la Real. Du coup, on était allé faire des tournois et des entraînements là-bas quand j’étais plus jeune. Finalement, je n’ai pas hésité longtemps avant de signer. Car je savais qu’en cas de bonnes performances, je pourrais jouer avec les pros. Et dès le premier entraînement, j’ai compris que ce n’était pas une régression pour moi. C’était tellement intense, j’ai vomi à la fin de l’entraînement. Je me suis dit que je revenais en arrière, mais que j’allais progresser. Car l’Espagne, ça change tout au niveau de l’intensité et du jeu. Tout va beaucoup plus vite.
Comment tu t’es retrouvé à Leganés, cet été ? J’ai bien commencé, avec la Real. Puis, il y a eu un match en Ligue Europa face à Salzbourg où on se fait revenir à la dernière minute (2-2). Un but qui vient de mon côté. Je ne sais pas si c’est la raison ou pas, mais après ce match, je n’ai plus trop joué. L’année d’après, ils ont pris Theo Hernandez qui venait pour être titulaire, donc j’ai joué lorsqu’il était suspendu. Et cet été, j’ai fait une bonne préparation. Le club m’a dit qu’il comptait sur moi, mais finalement, ils ont ramené Nacho Monreal. Donc, j’étais un peu obligé de partir. Après, j’essaye quand même de regarder les matchs de la Real. Je n’en ai raté qu’un, car on était en déplacement. Ce sont des amis à moi qui jouent là-bas, je parle souvent avec eux, donc je regarde tout le temps leurs matchs.
Ça fait quelques années que tu es en Liga maintenant, qui est l’adversaire qui t’a posé le plus de problèmes ?Sans hésiter, Ángel Correa de l’Atlético. C’est lui qui m’a fait le plus tourner en bourrique : il joue tout en une touche de balle, il est super rapide et ne cherche que des une-deux. Il est super dur à suivre !
Tu as d’abord joué chez les jeunes en équipe de France puis avec le Portugal. Pourquoi ce revirement ? L’équipe de France m’a appelé en U18, donc j’y suis allé. En U19 aussi. Et dès l’Euro U19, le Portugal m’a appelé. Sauf que vu que j’avais fait tout le parcours avec la France, je suis resté avec eux. (La France de Rabiot, Benzia, Martial, Laporte, Hunout avait terminé seconde derrière la Serbie, N.D.L.R.) En U20, la France m’a rappelé pour un tournoi. Sauf que le club ne m’a pas laissé y aller, sans que je sache pourquoi. Du coup, je n’ai plus été appelé derrière. Et quand je suis arrivé à la Sociedad, le Portugal m’a convoqué pour jouer avec les Espoirs. J’ai directement dit oui, car c’est le pays de mes parents. Et puis depuis petit, je suis à fond derrière le Portugal. J’ai bien chambré mes potes, après l’Euro 2016 ! Histoire de me rattraper du Mondial 2006.
Comment tu as appris ta première sélection avec le Portugal, en 2017 ? Cinq minutes avant la liste, un dirigeant des Espoirs avec qui je m’entendais très bien me dit que ce serait bien que je regarde la conférence de presse de Fernando Santos. Je trouve ça bizarre, mais je regarde. Et là, j’entends mon nom. À ce moment-là, je ressens une immense fierté et de l’honneur de jouer pour le pays de mes parents. Ils étaient super fiers de moi, d’ailleurs.
L’intégration n’a pas été trop difficile ? D’autant plus que tu ne parles pas bien le portugais…C’est vrai que je ne le parle pas, mais je le comprends assez bien. Anthony Lopes et Raphaël Guerreiro m’ont aidé, et beaucoup de joueurs parlent espagnol, car ils jouent en Liga. Donc ça s’est plutôt bien passé, surtout que je connaissais déjà Cancelo et Bruno Fernandes depuis les Espoirs. Ma plus belle surprise, finalement, a été Pepe. Ce n’est vraiment pas le Pepe qu’on connaît sur le terrain. J’étais choqué, c’est un super mec et il est adorable. Mon seul regret, c’est de ne jamais avoir côtoyé Cristiano Ronaldo qui n’était pas là lors de mes trois sélections. J’aurais bien aimé jouer avec lui, mais c’est encore possible. En revanche, Fernando Santos a été clair : tant que je ne jouais pas en club, il ne me prendrait pas. Et vu que je ne jouais pas l’an dernier, c’est normal qu’il ne m’ait pas appelé pour la Coupe du monde par exemple.
Propos recueillis par Steven Oliveira, à Madrid