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Kassim Oumouri : « Les joueurs ont mes commentaires en sonnerie de téléphone »

Propos recueillis par Jérémie Baron
Kassim Oumouri : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Les joueurs ont mes commentaires en sonnerie de téléphone<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

La sélection des Comores touche du doigt une historique première qualification pour la CAN, et il en est la mascotte : Kassim Oumouri, commentateur des matchs des Cœlacanthes pour la télévision nationale (ORTC), a crevé l'écran dimanche lors de la victoire des siens face au Kenya (2-1). Échange avec un amoureux d'Omar da Fonseca et de Youssouf M'Changama.

Ton commentaire sur le but d’El Fardou Ben Nabouhane face au Kenya a beaucoup fait parler. Tu peux nous expliquer ce coup de folie ?À ce moment-là, j’ai repensé à la construction de cette équipe : avant, on n’avait que des jeunes de quartiers, des joueurs de Marseille. On n’a été affilié à la FIFA qu’en 2005, on avait juste une équipe de locaux avant 2014, on prenait quatre à zéro contre Madagascar… Et les joueurs évoluant à l’étranger n’avaient pas confiance pour venir jouer ici, il n’y a que Nadjim Abdou, Kassim Abdallah et Mohamed M’Changama qui avaient accepté de venir pour les jeux des îles de l’océan Indien en 2007… Je n’ai jamais cru qu’un jour, on se qualifierait. Je ne pensais pas non plus qu’un jour je commenterais de grands matchs comme ça, contre le Cameroun, le Ghana… Et là, j’ai eu la chance de commenter un match lors duquel les Comores se qualifient presque pour la CAN.

Tu finis par dire plusieurs fois « Je t’aime » à ce joueur. Qu’est-ce qui t’a pris ? C’était une joie exceptionnelle, je n’ai pas les mots pour l’exprimer. J’aime mon pays, et c’est le moment où tout le monde va le connaître. À ce moment-là, je me suis dit qu’on avait posé le pied au Cameroun. Je dis « je t’aime », car El Fardou est mon préféré avec Youssouf M’Changama. J’aime les joueurs de la diaspora, car ce sont des joueurs qui ne connaissent pas les Comores et viennent les découvrir. Ces joueurs, ils passent avant tout, c’est ma vraie famille, j’ai un lien particulier avec eux. On parle beaucoup ensemble, on rigole avant et après les matchs… Ils ont gardé mes commentaires sur leurs téléphones, et même en sonnerie !

Tu commentes depuis longtemps les matchs de la sélection ?Depuis 2014, quand on a repris les qualifications pour la CAN (les Comores avaient déclaré forfait pour la CAN 2012 à cause de soucis financiers et n’ont pas joué pendant deux ans, N.D.L.R.). Je n’ai jamais raté un match de l’équipe nationale depuis. Avant, je commentais pour des radios privées basées en France, et depuis un an je suis à la télé. Le directeur de la télévision nationale m’a contacté en me disant qu’il avait besoin de moi, surtout pour les matchs de l’équipe nationale. Je fais des va-et-vient pour chaque match.

À chaque match, je pleure à la fin. Je ne peux pas tenir 90 minutes sans pleurer. Il y a trop d’émotion. Ces joueurs, je les considère comme mes enfants.

Tu as vu grandir cette équipe. Comment a-t-elle fait pour devenir compétitive ?Il n’y a pas forcément de grands joueurs. Mais quand ils viennent en sélection, on voit une équipe soudée. Les joueurs ne jouent pas de la même manière qu’en club. Kassim Abdallah, qui joue à l’Athlético de Marseille, ou Rafidine Abdullah, quand tu les vois en équipe nationale, il y a une grande différence. Le sélectionneur (Kassim Abdou) a construit un groupe comme une famille. Depuis 2014, je peux citer douze ou quatorze joueurs qui sont tout le temps là, même s’il y a des jeunes qui intègrent le groupe et des changements qui se font : contre le Kenya, il n’y avait pas Chaker(Alhadhur), (Faïz) Selemani, Fouad Bachirou. Les cadres de cette équipe, ce sont Ben El Fardou, M’Changama, Chaker, Bendjaloud, Ali Ahamada. Ce qui fait la force de cette équipe, c’est la solidarité du groupe, la solidarité du staff, surtout le staff étranger qui vient bénévolement. Et c’est aussi le peuple comorien, parce que voir la foule à Moroni, ce n’est pas quelque chose que les joueurs oublieront. Ça t’arrive souvent de t’enflammer comme ça ?J’ai toujours un peu commenté les matchs de cette manière. À chaque match, je pleure à la fin. Je ne peux pas tenir 90 minutes sans pleurer. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, c’est pareil. Il y a trop d’émotion. Ces joueurs, je les considère comme mes enfants, c’est pour cela que je dis ça ! À la fin du match, ils m’ont pris, ils m’ont fait des bisous, c’est incroyable avec eux. Le peuple comorien me désigne toujours homme du match. (Rires.) Et quelque chose qui me touche beaucoup : si l’État ou la Fédé n’ont pas moyen de m’intégrer au groupe, les joueurs sont prêts à se cotiser pour me payer un billet d’avion et l’hôtel. Je connais tellement bien les joueurs que le onze de départ, je le fais avant le match et j’ai toujours bon, le coach me demande comment je fais !

Ton style rappelle celui des Sud-Américains. Tu t’inspires d’autres commentateurs ?Mon inspiration, c’est Omar (Da Fonseca). Et aussi Avi Assouly. J’essaie de regarder les matchs du Barça pour écouter Omar. On voit la différence entre les commentateurs français et ceux d’Amérique du Sud.

El Fardou Ben Nabouhane est le meilleur buteur et la vedette de la sélection. Est-ce que tu aurais fait la même chose pour n’importe quel joueur, ou bien celui-ci est spécial ?Je l’ai déjà fait avec Youssouf M’Changama et Selemani, mais ce dimanche, c’était vraiment exceptionnel. Vous avez peut-être vu la vidéo sur laquelle je danse à la fin du match. (Rires.) Les joueurs sont venus vers moi et ont commencé à danser.

Tu t’es aussi retrouvé à échanger avec Alonzo sur Instagram C’est important pour moi. Ces gens, ce sont des stars comoriennes, et je n’ai jamais eu la chance de discuter avec eux ou de les rencontrer. Quand j’ai vu qu’Alonzo m’appelait… J’étais dans le même état que pendant le match. Soprano aussi m’a envoyé un message.

Beaucoup de joueurs de cette équipe ont connu la Ligue 1 et la Ligue 2, et la communauté comorienne est très forte en France. En cas de qualifications, on doit se préparer à voir de grosses festivités en France ?C’est sûr ! Quand on a vu ce que ça a donné quand l’Algérie joue, ça va être pareil ! La plupart des joueurs, leurs familles habitent à Marseille, ou Paris. La plus grosse fête, ce sera à Marseille. J’y habite, mais ce jour-là je n’y serai pas, je serai sur place avec les joueurs. (Rires.) Je ne sais pas comment je vais commenter ce match en mars, je m’y prépare dès maintenant.

Tu étais présent le jour de l’envahissement de terrain à Moroni après le nul contre l’Égypte, il y a un an. Qu’est-ce que tu as ressenti ? C’était la première fois que les supporters descendaient sur la pelouse. Ici, on n’avait jamais vu ça, c’était la folie ! L’Égypte est l’équipe la plus titrée à la CAN, c’était une grande joie pour le peuple comorien.

Pour l’histoire des Comores, il y a deux dates importantes : l’indépendance et ce dimanche 15 novembre. Avant, quand on parlait des Comores, on parlait juste de Bob Denard. Maintenant c’est pour le football.

Cette équipe revient de loin.Il y a eu un long chemin, il a fallu la confiance des joueurs : je me souviens du jour où le sélectionneur est venu à Marseille en 2014 avant la rencontre face au Burkina Faso, j’étais sur place, il y avait le président de la Fédération. Quand il a fait son groupe, il a contacté Ali Ahamada et Djamel Bakar, ils étaient invités, et même sans jouer, ils étaient venus dans les vestiaires. La joie qu’il y a eu lorsqu’on a fait match nul face à l’Égypte qui avait été championne d’Afrique… C’est là que ça a commencé. À ce moment-là, le président avait dit au vestiaire « on va le faire ». Et aujourd’hui, c’est la réalité.

Qu’est-ce que représente le football aux Comores ?Je dis que pour l’histoire des Comores, il y a deux dates importantes : l’indépendance (en 1975), et ce dimanche 15 novembre. Quand on voit que l’opposition du président (Azali Assoumani), alors qu’ils sont en bagarre, appelle la chaîne nationale pour le féliciter… C’est incroyable. Avant, quand on parlait des Comores, on parlait juste de Bob Denard. Maintenant quand on parle des Comores, c’est pour le football, c’est la joie. Les Comores sont médiatisées. Par exemple, je ne pensais jamais me faire interviewer, j’écrirai ça dans mes mémoires ! Ce week-end, on a vu que les médias français étaient à fond, ça m’a fait plaisir. En rentrant chez moi à une heure du matin, ma femme et moi avons pleuré. En France, il y a des concerts, des manifestations, des théâtres, il y a de la vie. Ici aux Comores, il n’y a rien ! Là, il va falloir attendre jusqu’à mars, pour voir l’équipe nationale. Quand tu arrives à l’aéroport, les gens commencent à te parler de ça. Le président de la République a reçu les joueurs et le staff, et il a dit au sélectionneur Amir Abdou « Viens prendre ma place et je prends la tienne, parce que toi, les gens t’acclament, moi ils me sifflent. »

Quelle est ta plus belle émotion avec l’équipe des Comores ?Avant dimanche dernier, il y avait le jour où le Ghana est venu jouer ici (le 13 novembre 2015). C’était la première fois que j’avais un micro et que j’interviewais un joueur international professionnel : c’était André Ayew. Avant le match, il pensait venir ici faire du tourisme, on a fait 0-0 et à la fin de la rencontre, il a refusé de parler. Il n’avait jamais pensé qu’il ferait un jour match nul aux Comores. À la suite de ça, il avait dit beaucoup de bien des Comores.

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