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Karim Benzema, cœur de Lyon
Le 800e match professionnel de Karim Benzema s'est déroulé à 7,5km et une grosse demi-heure de bus de là où il a pris sa première licence. Avec tout le chemin parcouru entre le stade Léo-Lagrange de Bron et le Groupama Stadium de Décines qu'il découvrait ce mardi, le Madrilène pourrait presque considérer que la boucle est bouclée.
C’était son moment. Un moment pour dire « bonjour » , « au revoir » , « vous m’avez manqué » , mais surtout « merci » . Quand Karim Benzema laisse derrière lui ses coéquipiers, qui semblent se mettre volontairement en retrait après leur victoire contre la Finlande (2-0), quand il s’avance seul pour saluer chacun des virages du Groupama Stadium et retire le bandage de son poignet pour mieux se frapper le cœur, certains supporters doivent retenir leurs larmes. L’enfant du pays est enfin là, devant eux, lui qui n’a connu ce Grand Stade qu’à l’état de vague projet. En janvier 2016, lorsque le formidable outil de Jean-Michel Aulas est inauguré, le quadruple champion de France est déjà devenu champion d’Europe avec les Blancs de Madrid. Lorsque l’équipe de France y est venue affronter l’Irlande à l’Euro 2016 ou les États-Unis sur la route du Mondial russe, Karim Benzema ne pensait peut-être pas retrouver les joies de la sélection et encore moins dans cette enceinte. Ce jour a fini par arriver.
Quelle émotion de vivre ce match de qualification et cette victoire à la maison 69. Merci pour ce moment, merci pour votre confiance et merci pour la force que vous que vous me donnez au quotidien. On lâche rien !! #alhamdulillah #Nueve #vamonos #EDF pic.twitter.com/0L1W6zy2Qb
— Karim Benzema (@Benzema) September 7, 2021
Par deux fois, le Nueve était revenu sur ses terres pour affronter lors de joutes européennes son Olympique lyonnais. Mais c’était à Gerland. Ce mardi, il n’y avait qu’à compter le nombre de maillots floqués Benzema — qu’ils soient bleus d’avant 2015, bleus de 2021 ou blancs de l’époque lyonnaise — pour comprendre pourquoi chacun de ses pressings, chacun de ses dribbles ou chacun de ses corners obtenus étaient accompagnés d’une clameur. « Je m’y attendais, car moi et Lyon, c’est une histoire d’amour, confessait la vedette du soir. Je suis très content et fier. C’est une de mes plus belles émotions ce soir, et en plus il y a la victoire. »
« On sait que c’est un mec simple »
La parenthèse internationale fermée, Benzema a ensuite filé dans la nuit. Certainement pour parcourir les sept bornes qui le séparent de Bron, ville de l’agglomération lyonnaise collée à Décines-Charpieu (localisation du Parc OL) où vivent encore ses parents. Mercredi matin peut-être, avant de filer à Madrid, il ira passer une tête au club-house du stade Léo-Lagrange. C’est à la place du synthétique tout neuf du SC Bron-Terraillon que tout a commencé pour lui à l’âge de 9 ans. « À l’époque, il habitait dans cette maison, la plus proche du terrain », renseigne Christophe, trésorier du club de district, en désignant le lotissement de l’autre côté du parking. Le chauffeur-routier n’a pas été convié au stade pour les retrouvailles de KB9 avec le peuple lyonnais. Au programme ? « Devant la télé, avec ma femme. Ne vous avisez pas de dire du mal de Benzema devant elle, c’est sa plus grande fan », enchaîne-t-il en étrennant la nouvelle machine à café offerte par un sponsor au club de district.
Rue Youri-Gagarine, ancien domicile des Benzema
Pour les visiteurs du quartier, rien ne laisse paraître qu’un joueur de classe mondiale y a chaussé ses premiers crampons. Pas de fresque, pas de parc ni de tacos à son nom, rien. Pourtant, ici, tout le monde connaît Karim et en parle avec pudeur et discrétion. Comme si chacun avait intérêt à protéger l’intimité d’un membre de sa famille. Pourquoi ? Parce que le gamin est resté attaché à son coin, parce qu’il a toujours eu des gestes pour ces gens sans rien demander en retour, parce que certains de ses proches ont gardé un lien avec le club (son beau-frère en est le vice-président, NDLR), et parce qu’aussi, il incarne la réussite dans cette zone étiquetée « de sécurité prioritaire » . Autant de choses précieuses au Terraillon.
Stade Léo-Lagrange aujourd’hui, stade Karim-Benzema demain ?
« Moi, j’ai connu Karim quand il portait encore des couches, jure Ahmed, coach des U12. Son ballon, c’était son meilleur ami. Je ne compte plus les heures où on le voyait frapper avec sur un mur. » Si les jeunes qu’il entraîne cette saison étaient à peine nés lorsque l’attaquant a fait ses bagages pour l’Espagne, l’éducateur n’hésite pas à utiliser l’aura de Benzema, comme celle d’Hamza Rafia (autre star locale passée par la Juventus), pour remobiliser ses troupes. « C’est un exemple sur lequel on peut s’appuyer, même lorsqu’il était descendu dans les médias après ses affaires, continue-t-il. Nous, on sait que c’est un mec simple qui s’arrête pour te saluer quand tu le croises en voiture ou quand il va s’entretenir au Fort de Bron. » Christophe, lui, a eu droit à une photo dédicacée du Real pour son fils, après avoir croisé la Benz’ à la sortie de l’école où est scolarisée sa nièce. Mais si ce dernier prie pour qu’il puisse terminer sa carrière à l’OL, comme le souhaitait de ses vœux le président Aulas, Ahmed, lui, n’a pas besoin de preuves de loyauté supplémentaires de la part de Karim. « Franchement, qu’il revienne à Lyon ou pas, qu’il repasse nous voir prochainement à Bron ou pas, nous, on continuera à faire notre travail dans l’ombre, pour que les jeunes d’ici puissent un jour suivre ses traces », rétorque-t-il en replaçant ses lunettes de soleil à l’arrière de son crâne.
Cas d’école
Point positif : au prochain entraînement, l’éducateur pourra décortiquer avec eux la prestation aboutie du numéro 19 des Bleus. En effet, malgré l’émotion naturelle qu’un homme peut ressentir lorsque 57 000 personnes scandent son nom pendant l’échauffement, l’annonce des compositions ou avant le coup d’envoi, Karim Benzema a fait honneur à son public. Léger, clairvoyant, déterminé, il a toujours su se défaire du double marquage que lui ont réservé les Finlandais pour faire profiter ses coéquipiers des espaces. Et c’est surtout la complémentarité avec deux autres bonshommes liés à la région, Antoine Griezmann (fan de l’OL dans sa prime jeunesse) et Anthony Martial (formé à Lyon), qui a marqué les esprits. Notamment celui de Didier Deschamps, au moment d’évoquer la connexion entre les deux joueurs de Liga : « La relation entre Antoine et Karim a été excellente parce que ce sont des joueurs qui parlent le même football. »
La traduction parle d’elle-même : c’est sur une déviation de l’extérieur du pied de Benzema qu’Antoine Griezmann a ouvert le score, et c’est sur un duel gagné par le premier que le second (après un relais avec Léo Dubois, un joueur de… l’OL) a pu doubler la marque. Benzema, lui, n’a pas pu faire trembler les filets. Il y avait toujours une jambe, un mur ou un Lukáš Hrádecký pour l’en empêcher. Mais plutôt qu’un sentiment d’inachevé, le Gone pourra repartir avec celui d’avoir partagé le plaisir d’une belle soirée avec ses partenaires, mais surtout avec ses Lyonnais de cœur.
Par Mathieu Rollinger, à Bron et Décines-Charpieu
Tous propos recueillis par MR, sauf ceux de Benzema par TF1.
Photos : IconSport et MR.