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Kanté et l’éloge de la singularité moderne

Par Maxime Brigand
Kanté et l’éloge de la singularité moderne

C'est un cœur à prendre. Convoqué pour la première fois de sa carrière en équipe de France, N'Golo Kanté est aujourd'hui au centre des regards. Car le milieu de Leicester est devenu un homme indispensable avec un profil de jeu unique et absent chez les Bleus. Décryptage d'un joueur moderne porté par des poumons décuplés.

Toujours le même sourire, la même simplicité. La même discrétion aussi. Il a l’impression qu’il ne devrait pas être là, mais tout le monde sait qu’il ne peut plus en être autrement. Coincé dans son ensemble marine, le cœur hybride d’un mètre soixante-neuf hésite, réfléchit et se lance : « Parfois, je réfléchis au lieu où je suis aujourd’hui et c’est vrai que les choses arrivent vite. Ça me donne envie de donner le meilleur à chaque fois.(…)C’est de la découverte, les installations de Clairefontaine, la Coupe du monde 1998 qui est présente sur les lieux. J’ai découvert mes partenaires, qui m’ont bien accueilli, qui m’ont fait des petites blagues. C’était chaleureux. » Comme un anonyme lâché dans un carré VIP. Sauf que dans cet espace, tout le monde le regarde comme si sa présence n’était qu’une évidence. Car elle l’est. N’Golo Kanté est un monstre hors catégorie. Un profil « unique » selon son ancien entraîneur, Patrice Garande. Un milieu moderne jeté depuis huit mois au cœur du jeu d’un futur champion inattendu dans le bal de la Premier League, un relayeur d’un nouveau temps, un casseur de lignes et surtout une grosse tête. Un coffre doré qui ne cesse de briser l’entrejeu dans un Royaume promis aux destructeurs, mais dont il a rénové la fonction de milieu. Au point que son entraîneur, Claudio Ranieri, parle de lui en ces termes : « Maintenant, ça ne me surprendrait pas qu’un jour il fasse un centre et soit lui-même à la réception du centre. Ce gars-là est partout. »

L’homme qui faisait vendre des maillots

Il faut regarder la composition du tableau, d’abord. Leicester est aujourd’hui une bête articulée autour d’un 4-4-2 inamovible. Ranieri n’a jamais bougé les pions de son tableau, et Kanté n’en est quasiment jamais sorti, car il ne peut pas. Pour l’équilibre des Foxes et pour son jeu dessiné autour de l’explosibilité de ses ailiers. En l’absence du milieu français, Mahrez n’est plus le croqueur d’espaces qu’on déguste tous les week-ends. Makelele avait compris ça en son temps en acceptant de jouer pour les autres. Dans l’art de la retenue, dans l’objectif de casser un plan de jeu sans casser les joueurs. On existe pour les autres avant d’exceller pour soi. Dans un entretien donné à France Football en 2009, Claude Makelele avait expliqué que Florentino Pérez l’avait fait partir du Real, car il ne « faisait pas vendre de maillots » . Kanté est de cette catégorie : de ceux qui ne font pas vendre leur maillot, mais probablement ceux des autres. « Ils sont proches, oui. Son style me rappelle davantage celui du milieu français des années 80. À cette époque, chaque pays avait son style. On revient avec lui au véritable style français, celui que l’on n’a plus fabriqué depuis quinze-vingt ans » , analyse l’ancien entraîneur troyen Jean-Marc Furlan.

Dans le Real du début du siècle, Makelele était la pierre angulaire. L’homme à tout faire, le poumon. Aujourd’hui, si Leicester existe moins sans Kanté, Kanté n’est plus aussi tranchant sans Drinkwater, son pendant au milieu. Furlan met l’accent sur la notion de « complémentarité, le football marche par paire. Zagallo me disait « Si tu as une très bonne paire, tu ne perds pas de matchs. Si tu en as deux, tu gagnes tous les matchs. » » Du côté de Leicester, N’Golo Kanté a explosé de cette façon, par sa paire avec Danny Drinkwater – appelé dans le même temps que le milieu français pour la première fois en sélection anglaise, ce qui est tout sauf un hasard. Par la notion de complémentarité où Drinkwater fait ce qu’on appelle « le sale boulot » dans le combat, les airs, avec Kanté dans le rôle de couverture, de gratteur intarissable. L’entraîneur d’Everton, Roberto Martínez, expliquait il y a quelque temps dans les colonnes du Blizzard que « le milieu de terrain était devenu l’emplacement des cerveaux. Les milieux doivent être capables de lire le jeu. Dans d’autres zones, ce n’est pas si crucial. » Deschamps, lui, a déjà tranché : « Je le vois plus dans un rôle de relayeur. »

Prototype d’un milieu moderne

Il est difficile d’avancer le contraire du sélectionneur. Le rôle de Kanté entre dans la catégorie du relayeur moderne, celui qui doit créer là où l’ancien dix s’est éteint au profit du regista. On parle maintenant d’un « réalisateur » , un meneur de jeu reculé qui, devant la défense, a une ouverture d’espaces infinie. Ce que Pirlo décrivait en février 2015 à ABC comme la preuve « qu’on peut gagner sans cynisme, tout en jouant au football.(…)Avant, ils n’avaient qu’une chose en tête : détruire avant de construire. » L’ensemble des occasions offensives de Leicester passe par les pieds de Kanté, comme un créateur, profil qui manque à l’équipe de France et qui doit embrasser parfaitement le 4-3-3 de Deschamps. « C’est ce que va regarder dans les prochains jours le sélectionneur » , détaille Furlan. Son association possible avec Lassana Diarra et Pogba/Matuidi devrait apporter de premières réponses dans un triangle où personne n’est pour le moment indispensable, mais où Kanté pourrait rapidement le devenir car, au-delà de l’aspect défensif, il est devenu un lanceur d’offensives.

La force de Kanté est aussi dans la dynamique. C’est simple : depuis le début de la saison, le milieu franco-malien est tout simplement le meilleur à son poste en Premier League, avec l’étiquette de meilleur tacleur du championnat et de plus grand intercepteur d’Europe. Plus qu’une mode éphémère, l’ancien Caennais sait surtout faire grimper son niveau quand la situation l’exige, comme lorsqu’il faut éteindre Yaya Touré lors d’une victoire à City (3-1). Le tout associé à une capacité à ne jamais perdre le ballon, à jouer avec le rythme d’une rencontre. Comme si, définitivement, il était devenu encore plus fin tactiquement que physiquement. « Il entre dans ce qu’on appelle le milieu moderne, qui sait tout faire et qui assure la transition défense-attaque rapidement, décrypte l’ancien milieu et actuel entraîneur d’Angers Stéphane Moulin. Sa force est là-dedans : en transformant rapidement une situation défensive en une action offensive avec une projection rapide. Ce n’est pas un athlète, pas un homme de conservation, mais un joueur de percussion qu’on n’a pas encore chez les Bleus. » L’homme indispensable.

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