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Kaba Diawara : « L’Europe dénature le foot africain »

Propos recueillis par Grégory Blasco.
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Kaba Diawara a joué dans 17 clubs en 18 ans de carrière. Autant dire que le jeune retraité, passé par le PSG, Marseille ou Arsenal, a pas mal bourlingué durant sa vie de footballeur. Consultant chez Canal depuis le début de la CAN, l'ancien international guinéen pose aujourd'hui un regard aiguisé sur une compétition qu'il connaît bien et durant laquelle il dit « s'emmerder ». Entretien.

Le jeu est loin d’être flamboyant durant cette CAN…C’est vrai. Le problème, c’est que ces dernières années, il y a une « européanisation » du foot africain. Il y a de plus en plus de joueurs qui évoluent en Europe et de plus en plus d’entraîneurs européens qui débarquent à la tête des sélections. Et, forcément, le jeu s’en ressent, notamment d’un point de vue offensif. Avant, la CAN c’était des prouesses techniques, des grands gestes défensifs, des frappes de loin… Là, on s’emmerde un peu. Même au premier tour, il y a eu plein de matchs nuls… C’est pas fameux, quoi.

Donc, selon toi, l’Europe nuit au foot africain ?L’Europe dénature le jeu des joueurs africains. Aujourd’hui, en Afrique, le jeu est complètement stéréotypé. Les joueurs ont perdu leur joie de vivre, leur football. Les équipes qui sont venues à la CAN sont là pour défendre. C’est trop serré, trop tactique. Et ça, ce n’est pas le foot africain qu’on aime voir.

« J’aurais aimé que Drogba gagne une CAN »

Mali-Nigeria et Burkina Faso-Ghana. Ce n’est pas forcément les demi-finales qu’on attendait au début de la compétition, non ?Ils ont mérité leur place en demies. Il n’y a pas eu de tricherie, pas de vol manifeste. Après, c’est sûr que j’aurais préféré voir des équipes qui pratiquent plus de spectacle. Des équipes qui attaquent. On aurait pu s’attendre à mieux de la Côte d’Ivoire par exemple. J’aurais aimé que Drogba gagne une CAN, c’est dommage.

Justement, qu’est-ce qui a manqué aux Ivoiriens pour aller au bout ?Ce soupçon de folie qu’ils avaient avant. Par exemple, Gervinho, qui était très fort au premier tour, s’est complètement éteint en quart de finale. C’est souvent lui qui apporte l’étincelle en sélection, mais contre le Nigeria (défaite 1-2, Ndlr), il s’est contenté de défendre dans son couloir, il est resté dans un schéma beaucoup trop tactique. Moi, je voulais le voir mettre le feu. Et puis il y a le cas Drogba, aussi. Il revenait tout juste de Chine et il n’était pas forcément au meilleur de sa forme. Le coach (Sabri Lamouchi, Ndlr) a dû se sentir obligé de l’aligner puisqu’il s’agit probablement de sa dernière CAN…

Finalement, la génération dorée des Éléphants n’aura jamais rien gagné…Certains ont déjà dit qu’ils allaient continuer avec l’équipe nationale donc attendons de voir… Mais, quoi qu’il en soit, c’est décevant. C’est une équipe qui a participé deux fois de suite à la Coupe du monde et ça, ce n’est pas rien. Ils ont peut-être manqué de caractère. C’est dommage pour de tels joueurs de ne pas soulever un titre avec la sélection en tout cas.

Parlons des forces en présence. Le Burkina Faso est la surprise de la compétition. Tu les sens capables de rééditer l’exploit de la Zambie en 2012 ?Pourquoi pas. Le problème, c’est qu’ils sont peut-être trop dépendants d’un joueur comme Pitroipa. Derrière, ils sont moins rassurants. La blessure d’Alain Traoré est un coup dur aussi. Avec Pitroipa, c’est l’un des seuls joueurs capables de faire la différence. Maintenant, ils sont là, en demies, et ça reste ouvert. Ils ne sont qu’à deux matchs du sacre donc… Et puis si la Zambie l’a fait, pourquoi pas eux ?

Pour beaucoup, le Ghana est le grand favori…Honnêtement, ça me fait peur. Je ne veux pas voir une équipe qui ne pratique pas un beau football l’emporter. Ça me ferait penser aux Allemands d’avant ! Et puis, ce serait dommage qu’ils gagnent sans les frères Ayew, non ? (Rires). Non, sérieusement, la Côte d’Ivoire n’est plus là, il manque d’autres grandes nations comme le Cameroun ou le Sénégal donc les Ghanéens ont une belle opportunité, c’est vrai. Après, il y a le Nigeria et le Mali aussi. Les Maliens bénéficient d’une belle cote de popularité avec tout ce qui se passe dans leur pays. Ils jouent pour une cause, à l’image des Zambiens l’an dernier. Et puis, avec Seydou Keita, ils ont un grand leader. Il a 33 ans, il arrive à maturité. C’est un patriote dans l’âme, on le voit a la fin des matchs quand il prend le drapeau de son pays. C’est beau de voir l’amour que ce mec a pour sa sélection alors qu’il a joué dans un club comme Barcelone. Symboliquement, c’est très fort, vraiment.

Est-ce qu’un joueur t’a impressionné durant le tournoi ?Le petit Tunisien, Msakni, il est fort. C’est dommage qu’il finisse au Qatar avant même de passer par l’Europe (Msakni s’est engagé avec le club de Lekhwiya en début d’année, Ndlr). Il y a le Platini du Cap-Vert aussi. Il a marqué d’une pichenette, il a fait quelques dribbles intéressants. Il tripote vraiment bien la balle. Sinon, il y a Nakoulma, le Burkinabè qui est entré en jeu contre le Togo en quarts. Il a créé, accéléré… Mais bon, rien de transcendant, non plus. Moi, quand je regarde la CAN, je veux voir du spectacle. Je veux voir des nouveaux Okocha, des nouveaux Feindouno. Et ça, malheureusement, ça manque.

« Ferme ta bouche et travaille »

Quel regard portes-tu sur le foot africain aujourd’hui ? De l’extérieur, on a l’impression que les guerres internes entre les dirigeants et les joueurs pourrissent les sélections nationales. On a beaucoup parlé des cas Adebayor, Eto’o et Taarabt, notamment.Le gros problème, c’est que les joueurs africains se permettent des choses en sélection qu’ils ne se permettent pas avec leurs clubs. Certains ont des ego surdimensionnés. On parle souvent de l’ego des joueurs de basket, en NBA notamment, mais dans le foot, c’est terrible aussi. Et c’est ce qui fait que les sélections africaines n’avancent pas. C’est pour ça que je respecte beaucoup un mec comme Drogba. Lui, il n’a jamais eu de problème. Pourtant, c’est la plus grande star. Même quand il est sur le banc, il est là, il dit rien. Il a vu qu’il n’était pas bien physiquement et il n’a pas rechigné. Il a bossé, il a retrouvé sa place, voilà. Ce genre d’attitude, malheureusement, ça se perd aujourd’hui. Tout se joue dans le comportement. Moi on m’a toujours dit : « Un grand joueur, c’est avant tout un grand comportement » . Tu sais, j’ai joué avec des Zidane, des Bergkamp, des Henry… Ces mecs-là, ils étaient exemplaires. Nous, en Afrique, on starifie trop rapidement les joueurs. On ne leur dit pas assez : « Ferme ta bouche et travaille » . Et si, en plus, on a des dirigeants qui font n’importe quoi au niveau des primes et tout le reste, alors là, c’est fini.

Donc, selon toi, il y a un vrai problème d’investissement de la part des joueurs ?Ils s’investissent mais… c’est compliqué. En même temps, je ne peux pas vraiment les blâmer. J’ai été en sélection moi aussi et j’ai passé beaucoup plus de temps à essayer de régler des problèmes internes qu’à jouer. Quand toute la semaine, tu gères des histoires de primes, de déplacement, c’est compliqué de te concentrer sur ton match. Nerveusement, c’est épuisant. Ces trucs-là, normalement, tu n’as pas à les gérer en tant que joueur. Après, les gens vont encore dire « Oui mais l’Afrique, c’est comme ça » , mais non. Il faut trouver un juste milieu.

C’est quoi la solution alors ?D’abord, il faut que la politique se mette de côté. Aujourd’hui, les dirigeants s’en mêlent mais pas pour les bonnes raisons. Ils le font pour avoir une bonne image, pour l’opinion publique. Il faut laisser la place aux gens qui aiment le foot. Ensuite, il faut faire un gros travail de formation, au niveau des entraîneurs. Il faut que les jeunes soient bien éduqués. C’est important pour l’avenir.

Où en est la sélection guinéenne aujourd’hui ?On est un peu dans le creux de la vague, mais on a une bonne génération de jeunes joueurs qui arrive. Ils évoluent en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Belgique ou en Turquie. S’ils arrivent à jouer dans des championnats majeurs, on repartira de l’avant. Il faudrait mettre l’accent sur la formation pour être bientôt compétitifs. Le problème, c’est qu’il y a des joueurs d’origine guinéenne comme Guilavogui, Pogba ou Koita qui jouent pour l’équipe de France Espoirs. Le défi aujourd’hui, c’est de réussir à les attirer vers la Guinée pour essayer de créer une équipe sympa et, pourquoi pas, se qualifier pour une Coupe du monde.

Tu vas faire quoi après la CAN ?La télé, j’aime bien, c’est une bonne expérience. Je suis pigiste à Canal + donc on m’appelle de temps en temps. J’ai passé mon diplôme de management aussi. Mais bon, si je peux rester à la télé, je ne vais pas me priver, hein.

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Kaba Diawara