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Jupp Heynckes, un gagneur si discret

par Ali Farhat
Jupp Heynckes, un gagneur si discret

C'est l'histoire d'un homme qui a beaucoup prouvé en tant que joueur et en tant qu'entraîneur, mais qui a toujours souffert d'un manque de reconnaissance. Aujourd'hui, cet homme est sur le point de prendre sa retraite sur un (probable) fabuleux triplé. Et il se pourrait que le football le regrette.

Lorsque le Bayern Munich a tiré le FC Barcelone en demi-finales de la Ligue des champions, d’aucuns ont pensé à l’homme qui a marché sur l’Europe avec le club catalan et qui atterrira la saison prochaine en Bavière. Pas le dernier à tenir sa langue, Jürgen Klopp s’est mêlé de l’affaire et a « parié[son]cul que le Bayern appellerait Pep Guardiola » pour avoir des conseils. Du coup, certains journalistes malheureux ont osé formuler la question à Joseph « Jupp » Heynckes en conférence de presse. Lequel est resté très solennel. « Respectez-moi, ainsi que mon travail, s’il vous plaît. De toute ma carrière, je n’ai jamais consulté qui que ce soit pour avoir des informations concernant l’adversaire. Ça, je le fais tout seul. »

L’homme le plus sous-estimé du football

S’il est resté très calme, on peut facilement deviner la colère de Don Jupp suite à une telle question. Et on peut aussi la comprendre. On parle tout simplement du mec le plus sous-estimé du football mondial. Un mec qui a gagné des tas de titres et qu’on oublie systématiquement de mentionner. En tant que joueur, déjà. Alors, il est vrai qu’à l’époque de Beckenbauer, Netzer, Breitner, Müller et Overath, Jupp Heynckes n’était pas le plus charismatique, mais on parle quand même d’un type qui a inscrit 220 buts en 369 matchs de Bundesliga, soit le troisième meilleur total derrière Klaus Fischer (268 buts) et Gerd Müller (365). L’attaquant du Borussia Mönchengladbach (et un peu de Hanovre, aussi) a quand même été 4 fois champion d’Allemagne (71, 75, 76, 77) à l’époque où la Bundesliga était le meilleur championnat d’Europe, deux fois meilleur buteur dudit championnat (74, 75), vainqueur de la Coupe d’Allemagne (73), vainqueur de la C3 (75), quatre fois meilleur buteur de la compétition européenne où il était engagé (de 73 à 76). Un mec qui est également champion d’Europe (72) et champion du monde (74). Peu nombreux sont ceux qui peuvent prétendre avoir un tel palmarès.

C’est pas pour autant qu’il se la ramène, celui qu’on appelle « l’enfant de la Bundesliga » . Aussi, il ne dira rien quand, après avoir remporté deux fois de suite le Meisterschale avec le Bayern en 89 et 90 et fini 2e du championnat en 91, il se fera virer sans ménagement par le board munichois. Par la suite, Uli Hoeness dira que l’éviction de Heynckes sera « (l’une, sinon la) plus grosse erreur de sa carrière » . « Don Jupp » ne dira rien non plus quand il se fera virer comme un malpropre du Real Madrid en 98 après avoir ramené une C1 qu’on n’avait plus vue depuis 32 ans du côté de la Maison Blanche. Et il en dira encore moins suite à son retrait de son club de cœur, le Borussia Mönchengladbach, 215 jours après être arrivé, lors de la saison 06/07. Ce n’est que quelque temps plus tard que l’on apprendra qu’il avait été menacé de mort à plusieurs reprises.

Intransigeant, mais respecté par ses joueurs

Clairement, Jupp Heynckes est un mec qui, en dépit de tout ce qu’il a accompli, s’est beaucoup écrasé. Bon après, faut pas le prendre pour un con non plus. Il lui est arrivé de perdre ses nerfs et de descendre ses joueurs en flammes. Exemple à Francfort en 1994, où les stars de son équipe décident de bâcler leur entraînement. Du coup, Heynckes envoie Anthony Yeboah, Jay-Jay Okocha et Maurizio Gaudino courir dans la forêt. Les trois joueurs décident de se rebeller et prennent un congé maladie la veille d’un match important face à Hambourg. Heynckes décide de les virer du groupe jusqu’à la fin de la saison, avant de revenir sur sa décision concernant Jay-Jay Okocha, qui avait avoué ne pas être au top mentalement.

Toutefois, de l’Allemagne au Portugal en passant par l’Espagne, Jupp Heynckes a laissé l’image d’un homme adorable, avec le cœur sur la main surtout. Quand Uli Hoeness lui demandera de venir filer un coup de main pour le reste de la saison 08/09 après le catastrophique mandat de Jürgen Klinsmann, il accepte, parce que Hoeness est son ami. Et qu’importe si le président du Bayern Munich l’ait mis en difficulté en annonçant n’importe comment la signature de Pep Guardiola pour l’an prochain. Heynckes est toujours resté concentré sur ses objectifs, et ses joueurs le lui ont bien rendu. « Gagner le championnat avec un entraîneur comme Jupp Heynckes, c’est quelque chose d’unique » , a avoué Bastian Schweinsteiger. Reste encore une Coupe d’Allemagne et une Ligue des champions à aller chercher. Après quoi, Jupp Heynckes pourra partir tranquillement à la retraite. Et qu’importe si les rumeurs l’envoient au Real Madrid, au FC Barcelone ou encore à l’Athletic Bilbao. Il les enverra chier, s’il en a vraiment envie. Et quelque part, on est en droit de le comprendre.

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