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Julien Rantier : « Face au coronavirus, on est dans une guerre invisible »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
Julien Rantier : « Face au coronavirus, on est dans une guerre invisible »

Confiné à son domicile en Italie, Julien Rantier vit comme toute la Botte un moment critique face à la pandémie du coronavirus. L'attaquant de 36 ans, installé depuis 20 ans en Italie et passé par l'Atalanta, le Hellas, Piacenza ou Pérouse raconte une situation que les Français vont bientôt subir.

Salut, Julien. Peux-tu nous décrire la situation dans laquelle tu te trouves aujourd’hui en Italie ?La situation est dramatique. On est cloîtrés à la maison, on n’a plus le droit de sortir… Je vis dans les alentours de Piacenza (Plaisance, en VF) qui a été placée en zone rouge très rapidement, parce qu’on est au cœur de l’épidémie. Tout le monde est en quarantaine, il n’y a que les pharmacies et les supermarchés qui sont ouverts. Pour y aller, il faut un papier indiquant la raison de ton déplacement et qui prouve que tu ne fais pas juste une balade. Moi, j’ai la chance de vivre dans la campagne, à quelques kilomètres de la ville, donc on peut profiter du jardin pour respirer un peu d’air et de se défouler avec les enfants. J’ai pu aussi aller courir tout seul sur les petits chemins, mais rien n’est évident.

Pour les courses, ça se passe comment ? Il y a des pénuries ?C’est compliqué, tu dois faire la queue avec une distance de deux mètres avec les gens autour de toi. J’avais fait le plein avant d’être placé en quarantaine lundi dernier, je devrais pouvoir y retourner bientôt. J’avais anticipé, mais je ne pensais pas qu’on en arriverait là aussi vite.

Comment ça s’est passé dans ton club, le Vigor Carpaneto ?Nous étions forcément préoccupés dès le début. Dans un vestiaire ou sur un terrain, tu es toujours en contact avec tes coéquipiers et toutes les autres personnes du club. Au début, on a arrêté le secteur jeune (il est le responsable de la formation, N.D.L.R.). On a ensuite décidé de s’entraîner à huis clos, avant de tout arrêter. Quelques jours après la décision gouvernementale, on se retrouvait dans un parc tous ensemble pour continuer de s’entraîner. Mais les parcs ont ensuite été fermés et ce n’était pas forcément bon pour notre sécurité. Aujourd’hui, le staff nous transmet un programme individuel et personnalisé à suivre à la maison et on s’envoie des messages avec les autres joueurs pour prendre des nouvelles. On est chanceux, pour le moment, aucun joueur de mon équipe n’a été contaminé.

As-tu des proches qui ont été touchés par le virus ?Tout le monde connaît quelqu’un qui a été contaminé. Au début, on nous disait que les jeunes ne craignaient pas grand-chose, qu’il n’y avait que les personnes les plus fragiles qui devaient se méfier.

Tout le monde est menacé par le coronavirus. La preuve : ici à Piancenza, un « jeune » de 39 ans qui était très en forme, sportif et tout, est dans un état très inquiétant.

Mais ce n’est pas vrai. Tout le monde est menacé par le coronavirus. La preuve : ici à Piancenza, un « jeune » de 39 ans qui était très en forme, sportif et tout, est dans un état très inquiétant. J’ai entendu aussi que 15 000 personnes étaient asymptomatiques, mais portaient le virus sans que personne ne puisse le savoir. Ils se portent très bien, mais peuvent le transmettre à quelqu’un qui en souffrira. C’est pour cela qu’il faut absolument rester chez soi. De ce que je vois, vous vivez en France ce que nous vivions en Italie il y a deux semaines environ. Mon frère et ma mère sont de l’autre côté de la frontière, je les sens préoccupés, mais pas plus que ça. Du moment où ça ne touche pas la ville où tu es, tu ne te rends pas compte de la gravité des choses et des conséquences que ça peut avoir. Au début, on avait du mal à comprendre ce confinement. Et à force de répéter que c’était pour le bien commun, l’Italie a fini par comprendre que c’était la seule chose à faire.

J’imagine que tu as vu mercredi dernier les supporters du PSG célébrer la qualification devant le stade, avec les joueurs…C’était inconscient de faire ça. Les gens ne se rendent pas compte de la gravité de ce virus. Mais j’ai pensé la même chose en voyant l’Atalanta aller jouer à Valence ou les supporters de l’Atlético aller à Liverpool. C’est fou de faire ça aujourd’hui, c’est de là que tout part et que tu peux filer le coronavirus à plein de personnes. Mais tant qu’on ne met pas de barrière, les gens ne comprennent pas.

On prend le temps pour faire des choses qu’on ne fait pas d’habitude. Moi, je me suis remis au bricolage, on s’est occupé du jardin, on a rangé le garage…

Tes journées ressemblent à quoi aujourd’hui ?Pour te dire la vérité, d’habitude, je cours toujours de droite à gauche, sept jours sur sept. Entre le ballon, l’école, le boulot… Finalement, ça ressemble à des vacances forcées. Ça te permet de te retrouver avec tes proches. On en profite pour se retrouver un peu, en famille, de prendre le temps pour faire des choses qu’on ne fait pas d’habitude. Ma femme travaille dans les assurances et bosse depuis la maison, mais ce n’est pas facile parce que toute l’activité est plus qu’au ralenti. Moi, je me suis remis au bricolage, on s’est occupé du jardin, on a rangé le garage… C’est ça qui permet de positiver et de se dire que les choses vont finir par s’arranger.

Est-ce que ça permet aussi de relativiser en se disant, par exemple, qu’il y a des choses plus importantes que le foot ?Bien sûr ! Déjà la santé et la famille ont toujours prédominé. On vit des moments forts, qui nous permettent de prendre conscience que la vie peut vite changer. Face au coronavirus, on est dans ce que j’appelle « une guerre invisible » : notre ennemi, on ne le voit pas.

Est-ce que ce n’est pas dans ces moments qu’on mesure la force collective de nos sociétés ?Absolument. Je trouve que l’Italie a réagi collectivement. On obéit bien aux règles, on reste soudés et c’est comme ça qu’on s’en sortira, tous ensemble.

Est-ce que tu perçois des signaux qui indiqueraient que l’Italie s’apprête à sortir de cette crise ?Nous sommes actuellement au pic de la crise, d’après ce que les spécialistes affirment. Vendredi, il y a eu 15 morts à Piacenza. Jeudi, il y en avait 13… Ça commence à faire. Mais on espère que nos efforts permettront que l’épidémie ralentisse. Mais ça ne s’arrêtera pas du jour au lendemain. Je pense et j’espère qu’on retrouvera notre quotidien à la normale prochainement, mais il y a encore pas mal de précautions à prendre. Ça sera dur de repartir, mais on repartira plus fort qu’avant.

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