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Gastien : « Psy, c'est un métier d'avenir dans le foot »

Propos recueillis par Clément Gavard
Gastien : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Psy, c'est un métier d'avenir dans le foot »

À 35 ans, Johan Gastien peut enfin dire qu'il a le niveau Ligue 1. Le milieu de terrain de Clermont, de retour de blessure, parle de jeu, de plaisir, et raconte comment il a vécu « la pire expérience » de sa carrière cet automne.

Après 25 journées, Clermont est en milieu de tableau avec 10 points d’avance sur la zone rouge, malgré une mauvaise série en cours. Comment expliques-tu la première partie de saison réussie pour un club qu’on ne cite plus trop comme un candidat à la descente à l’heure actuelle ?

C’est déjà une bonne chose si on ne nous voit plus trop descendre, car en début de saison on fait toujours partie des équipes annoncées comme condamnées. (Rires.) C’est le lot des petites équipes, c’est normal. On sait que le travail n’est pas encore fini, loin de là, on a encore le temps d’avoir le feu au cul. Notre solidité défensive fait qu’on a ramené beaucoup plus de points, avec un changement de système qui nous permet d’être plus costauds. La saison dernière, on jouait bien et on recevait plein de compliments, mais derrière on prenait aussi beaucoup de branlées. Cette année, c’est notre efficacité qui fait notre force. On en a pris cinq contre le PSG en début de saison, mais le reste du temps, c’est serré avec beaucoup d’équipes.

La saison dernière, vous aviez affiché dans le vestiaire les pronostics de personnalités du foot vous annonçant relégable dans France Football. À quel point ça peut être un moteur pour une équipe ? 

On les ressortira encore en fin de saison en cas de maintien. (Il se marre.) Ce n’est pas du tout une revanche, ce sont des pronostics, c’est tout. De notre côté, ça nous fait aussi avancer, ça nous donne envie de prouver qu’on a le groupe pour se maintenir en Ligue 1. Puis, ça nous enlève un peu de pression, même si elle n’est déjà pas très grande à Clermont parce que les gens sont toujours derrière nous.

Tu parlais de votre solidité défensive, vous êtes une équipe un peu moins joueuse que la saison passée. Qu’est-ce qui a motivé ce changement d’approche ?

Ça vient aussi du recrutement, on a pris de très bons joueurs défensifs : Mateusz Wieteska qui a fait la Coupe du monde, Maximiliano Caufriez venu du Spartak Moscou, Alidu Seidu… Ça nous permet d’avoir une très bonne assise défensive. On a tous envie de gagner des matchs et on sait que ça passe aussi par là. Peut-être que la saison dernière, on pensait que ça passait surtout par le jeu et c’est vrai qu’il y avait moins de sécurité. On était aussi dans la continuité de la Ligue 2. On a appris de nos erreurs, on n’avait pas envie de revivre la même chose.

En Ligue 1, tu ne peux pas faire que du beau jeu quand tu es promu, c’est impossible.

Est-ce que c’est utopiste de penser qu’un petit club avec l’un des plus petits budgets du championnat peut se maintenir en proposant un jeu offensif ?

Attention, on jouait bien, mais on avait aussi un groupe très solidaire. On n’aurait jamais pu jouer à cinq derrière pour être plus costaud la saison dernière, ce n’était pas envisageable avec des latéraux beaucoup plus offensifs. J’ai très bien connu Jean-Marc Furlan, j’ai vu comment il faisait jouer Auxerre, et pourtant… Il faut aussi rappeler qu’en Ligue 2, on était la meilleure défense, on prenait très peu de buts. En Ligue 1, tu ne peux pas faire que du beau jeu quand tu es promu, c’est impossible, il faut un supplément d’âme. Il faut autre chose, et on l’a tous compris au club.

Est-ce qu’il y a eu un déclic en particulier pour cette évolution ? Comme la lourde défaite infligée par le PSG à Gabriel-Montpied lors de la première journée, par exemple.

Honnêtement, on savait comment ça allait se passer contre Paris. Ils étaient bouillants, ils venaient de corriger Nantes au Trophée des champions. Le déclic, c’est peut-être Reims la journée suivante : on est menés 2-0 à la pause, on était complètement à l’ouest. On s’est dit que si on continuait comme ça, la saison allait être très compliquée. Le coach a fait des changements, il y a eu un carton rouge pour Reims, et on a gagné 4-2. Mais on a compris que le beau jeu ne nous réussirait pas du tout et qu’on voulait vivre une saison moins dure mentalement. On change de système peu de temps après contre Lorient et on n’a plus changé depuis.

Tu connais très bien le coach qui est aussi ton père, est-ce que tu es surpris de le voir adopter une approche un peu moins romantique pour être un peu plus pragmatique ?

Ce n’est même pas devenir pragmatique. Quand on parle de jouer à cinq derrière, les gens pensent que c’est forcément défensif, mais en l’occurrence, c’est surtout une question de sécurité par rapport aux espaces qu’on pouvait laisser quand on attaquait la saison dernière. Il n’a pas perdu cette envie de jouer. Je pense que le plus dur, ça a été pour nous au milieu : on peut moins décrocher, il a fallu trouver des repères. Pour le coach, le foot passe par le jeu, mais il est comme moi, il a envie de gagner des matchs. L’objectif est de prendre le moins de vagues possibles. Puis, il y a de très bonnes équipes en face, on aimerait bien avoir le ballon contre des formations du haut de tableau, mais c’est super compliqué.

Là, on est en train de confirmer qu’on n’est pas une surprise, si je suis là, c’est que je dois avoir le niveau Ligue 1, non ?

En janvier 2019, tu nous disais que tu étais un « un bon joueur de Ligue 2 » et que tu étais conscient de ne pas avoir le « niveau Ligue 1 ». Est-ce que ça a changé aujourd’hui ? 

Sans prétention, je pense avoir le niveau Ligue 1. Pas celui des superstars, c’est une évidence. Mais si on est à cette place et dans ce championnat, c’est qu’on a le niveau. La saison dernière, c’était différent parce qu’on découvrait tout ça. Là, on est en train de confirmer qu’on n’est pas une surprise, si je suis là, c’est que je dois avoir le niveau Ligue 1, non ? Je sais d’où je viens, j’ai passé énormément de temps en Ligue 2, mais je crois que je me suis pris au jeu et si je pouvais arrêter ma carrière dans l’élite, ce serait avec un très grand plaisir. Honnêtement, j’aurais du mal à redescendre au niveau inférieur.

Prends-tu autant de plaisir en Ligue 1 sur le terrain ?

L’année dernière oui, je touchais énormément de ballons, c’était plus facile de participer au jeu. C’est un peu plus compliqué cette saison. (Il rit.) Je ne vais pas te le cacher, on court beaucoup plus, mais je prends du plaisir parce que j’aime gagner des matchs, et on en gagne plus que la saison précédente. On prend du plaisir autrement.

Quelles sont les différences marquantes entre les deux championnats ?

Pour moi, c’est la qualité individuelle des joueurs. Quand tu perds un ballon bêtement, tu vas mettre deux ou trois minutes à le récupérer. En Ligue 2, c’était beaucoup de transitions avec des séquences de 30 secondes, c’est pour ça que je dis qu’on doit courir énormément aujourd’hui. La deuxième division, c’est aussi un championnat plus agressif, tu as toujours un joueur sur le dos. En Ligue 1, les équipes laissent un peu plus jouer. Puis, bien sûr, il y a les stades remplis, la médiatisation, tout ça change pas mal de choses.

As-tu déjà ressenti une forme de syndrome de l’imposteur en te retrouvant sur le même terrain que des stars comme Messi ou Mbappé, ou même des joueurs beaucoup plus forts ?

Oui, c’est déjà arrivé. Quand j’ai regardé Marseille-Nice ou même Rennes-Lille, putain ça allait à 2000 à l’heure, il y avait de l’intensité tout le temps, tu n’as pas l’impression de jouer dans le même championnat. C’est pour ça qu’on peut parfois se sentir comme un petit Poucet, mais quand tu es 11-12e de Ligue 1, c’est que tu mérites d’être là. Depuis la montée, on a gagné à Marseille, à Lyon, on a battu Rennes deux fois à domicile… C’est pas mal, quand même. Après, c’est le foot : quand tu passes au travers, tu te demandes ce que tu fous là.

Ressens-tu plus de pression en tant que joueur de Ligue 1 ?

Plus de pression, non. Je ne me suis jamais pris la tête, peu importe le championnat. Je veux prendre du plaisir. Je suis avant tout là pour faire du foot, ça peut faire vieux con, mais c’est une passion à la base. Après, ça fait toujours plaisir d’être reconnu ou de recevoir des compliments quand tu vas au stade. Ce qui change vraiment, c’est la médiatisation, on l’a vu avec mon histoire avec Slimani… Je ne suis pas fan de tout ça.

On a l’impression d’être en garde à vue. Je n’avais pas envie de retourner au stade ni de rejouer au foot, j’avais peur du regard des autres sur les terrains.

Johan Gastien au moment des accusations de racisme de Slimani
Justement, le 23 octobre dernier après Clermont-Brest, Islam Slimani t’a accusé de racisme en assurant que tu l’avais traité de « sale arabe », avant de changer sa version en « sale blédard ». Comment l’as-tu vécu ? 

Je ne vais pas te cacher que c’était la pire expérience de ma carrière. Il y a eu une retombée médiatique très importante, beaucoup de menaces envers ma famille et mes proches, mes coéquipiers… C’était très dur. On a la chance au club d’avoir un psy, j’y suis pas mal passé. Je savais très bien ce qui avait été dit, et ça a été un soulagement quand la commission m’a blanchi après trois ou quatre semaines (la commission de discipline de la LFP a décidé qu’il n’y avait pas lieu de sanction et a classé le dossier, faute de preuves probantes, le 16 novembre, NDLR). Pendant ce temps-là, on a l’impression d’être en garde à vue. Je n’avais pas envie de retourner au stade ni de rejouer au foot, j’avais peur du regard des autres sur les terrains. Le match suivant, à Nantes, j’avais une énorme appréhension. C’est une expérience de vie que je ne souhaite à personne.

Est-ce que tu as cherché à prendre contact avec Slimani après cette histoire pour avoir des explications ou simplement en discuter avec lui ?

Non, absolument pas. On m’a appris récemment qu’il était parti dans un autre club, c’est très bien, on n’aura pas à se revoir sur le terrain. Je n’ai pas envie de parler à cette personne. Le racisme est un sujet très grave, et la victimisation n’aide pas non plus. Je t’en parle là, mais ça me fait encore mal aujourd’hui. Il y a beaucoup de choses qui se disent sur le terrain et je ne suis pas le plus gentil, ils le savent bien à Brest où j’ai joué, mais je n’ai jamais dépassé les bornes comme ça. J’ai pensé à porter plainte pour diffamation, mais je ne voulais pas remettre une pièce dans la machine et me lancer dans une procédure qui aurait pu durer longtemps. C’est derrière moi, maintenant. J’ai eu de la chance. M. Bastien, l’arbitre à Nantes après cet épisode, m’a beaucoup aidé en venant me parler. Il m’a raconté qu’eux aussi pouvaient vivre des lynchages sur les réseaux. Les adversaires n’ont jamais joué avec ça non plus, c’est cool de leur part. Ça restera gravé dans ma mémoire, les gens n’oublieront pas non plus… Ça m’a au moins permis de couper avec les réseaux, notamment Twitter, où c’était un torrent d’insultes et de menaces. La police passait même tous les jours devant chez moi pour voir s’il n’y avait pas de problèmes. Ma petite fille avait seize mois, j’avais peur.

C’est un sujet parfois tabou dans le foot, mais tu as parlé du psy mis à votre disposition à Clermont. Quel est son rôle ?

C’est avant tout un préparateur mental, il est là deux fois par semaine pour nous aider quand ça ne va pas, nous préparer, nous donner quelques clés. Pendant ma blessure, j’ai pu aller le voir pour en discuter. Le club et le coach ont voulu instaurer ça, et j’aurais aimé avoir ce genre de choses quand j’étais jeune. Avec l’expérience, on apprend à se calmer avant un match. Tout le monde a des problèmes, on reste une petite entreprise. Les gens ont du mal à comprendre notre monde, ils ne voient que par l’argent, on doit toujours avoir le sourire, mais on est aussi des personnes lambda. Aujourd’hui, tous les joueurs sont rapides et costauds, sauf moi. (Rires.) C’est sur le mental qu’il y a des choses à travailler. Psy, c’est un métier d’avenir dans le foot.

À 35 ans, commences-tu à penser à la retraite et à ce que tu feras après ta carrière ?

La retraite ne me fait pas peur. J’ai énormément profité du foot, je profite encore. Si ça peut durer encore quatre ou cinq ans, je ne crache pas dessus. Tant que le corps peut, pas de souci. Quand tu as passé quinze ans dans le foot pro, il y a des coups de moins bien. Par exemple, les préparations physiques tous les étés, ça reste pesant. Pour l’après-carrière, je vois venir la question : est-ce que je vais suivre les traces de mon père ? Ce n’est pas ce que je veux, je vois la pression que c’est et l’impact sur la vie de famille. Je veux profiter de ma fille, ma femme et mes proches. Mais bon, quand tu fais des matchs à treize kilomètres parcourus, tu te dis que tu en as encore un peu sous le pied. Je me vois mal descendre en National pour finir, j’ai envie de rester le plus haut possible. Et si le haut niveau finit par me dire stop, je laisserai ma place.

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