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  • SO FOOT #128
  • Spécial Johan Cruijff
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Johan Cruijff, le business man volant

Par Nicolas Jucha et David Sfez
Johan Cruijff, le business man volant

« Je gagne plus que ce que je dépense… Mais combien je dépense ? Aucune idée. » L'argent a toujours été un moteur dans la vie de Johan Cruijff, de ses débuts à l'Ajax à 16 ans jusqu'à sa reconversion réussie comme entrepreneur. Analyse de sa courbe de vie à la lueur du contenu de ses comptes bancaires.

1947

Le 25 avril, le petit Hendrik Johannes Cruijff né à Amsterdam. À poil, au sens propre comme au figuré, dans une famille de commerçants modestes dont le magasin de légumes s’appelle « Cruijff Pommes de terre » .

1959

Cruijff senior rend l’âme suite à une crise cardiaque. La mère doit prendre un poste de femme de ménage à l’Ajax d’Amsterdam, où elle inscrit Johan. Pour lui, c’est le début d’une psychose à propos de l’avenir. Persuadé qu’il faut assurer ses arrières, car une blessure ou une maladie sont vite arrivées, il devient un vrai roi de la négociation. « Très tôt, j’ai dû apprendre à me défendre seul » , dit-il dans L’Équipe en juin 2014.

1963

Il signe son premier contrat pro à l’Ajax, à 15 000 florins annuels (moins de 7000 euros aujourd’hui). Un an plus tard, alors qu’il accède à l’équipe première, il tape du poing sur la table : « On voulait me donner le même salaire que celui que je gagnais en juniors. Je leur ai dit : « Je vais travailler autant que les autres, qui vont gagner dix fois plus que moi ? Pas question. » » Ses dirigeants se couchent.

1967

Les frères Du Buy, propriétaires des droits de distribution de Puma aux Pays-Bas, parviennent à signer Cruijff pour 1500 florins (680 euros) par match et entraînement. Problème : le Hollandais volant est mal dans ses pompes. La marque teutonne lui envoie 40 modèles différents dont un sur mesure. Sans succès, l’affaire est portée devant les tribunaux.

1968

Affaire Puma toujours, Cruijff est finalement condamné à sortir les sous de sa propre poche. L’ardoise est effacée quand il signe un nouveau contrat à 25 000 florins l’année (11 344 euros) sur trois ans pour la griffe féline. Reste qu’il se fait griller par son sponsor dans De Telegraaf avec des Adidas. La même année, il se marie avec Danny Coster et engage son beau-père Cor Coster comme agent, le début d’une collaboration fructueuse.

1969

En plein stage avec la sélection nationale néerlandaise, il interpelle le secrétaire national sur la question des assurances. Quelques jours plus tard, c’est une petite révolution : tous les internationaux sont couverts pendant leurs déplacements avec l’équipe nationale. Johan Cruijff aurait fait un excellent syndicaliste.

1971

Joueur clé de l’Ajax, il arrondit ses fins de mois en faisant de la pub pour le magasin d’articles sportifs de son frère et le magasin de chaussures italiennes de sa femme. Alors que la négociation pour sa prolongation à Amsterdam traîne, il se dit prêt à partir à l’étranger, et notamment en Amérique du Sud car « on y gagne beaucoup d’argent, on y joue du beau football » . Mais surtout, « on y paie moins d’impôts » . Pendant qu’il négocie – l’Ajax propose de doubler ses émoluments -, un groupe de supporters ouvre une épargne afin de provisionner une pension de retraite pour Cruijff. Finalement, cela ne dépasse pas les 5000 florins, que Cruijff offre à des œuvres caritatives. Officiellement.

1972

Puma est obligé de s’associer avec le Cop Sportif qui habille l’Ajax, pour prolonger JC 14 en échange de 150 000 florins (68 000 euros). Le prix de la fidélité.

1973

Il signe au Barça pour un contrat record (360 000 euros annuels selon Diario Gol) et malgré une offre légèrement supérieure du Real Madrid. Il aurait accéléré son départ d’Amsterdam en raison de la perte du capitanat.

1974

Jan van Beveren, portier du PSV et meilleur gardien du pays, se fait dégager au profit de Jan Jongbloed. La raison ? Il aurait demandé à ce que tous les internationaux touchent la même rémunération alors que la KNVB avait prévu de donner une grosse partie à ses stars Cruijff, Neeskens ou encore Keizer. En fait non, Cruijff n’aurait jamais pu être syndicaliste…

1978

Après avoir refusé de participer au Mondial malgré le forcing de sa Fédération, Cruijff veut ranger les crampons. Le 7 novembre, c’est jour de fête avec son jubilé lors d’un Ajax-Bayern qui n’a d’amical que le nom. Deux cadeaux pour le 14 : une montre en or et un téléviseur couleur expressément demandé par sa femme Danny. Faut dire qu’avec un patrimoine estimé entre 6 et 10 millions d’euros à la – première – fin de sa carrière, il n’a pas les moyens de s’en payer une lui-même. À part ça, le Bayern en met 8 à l’Ajax.

1979

L’associé Michel-Georges Basilevitch se barre avec la caisse de l’entreprise d’élevage porcin Ganadera Cataluna. Cruijff et Neeskens y avaient investi leurs billes. Un an après l’arrêt de sa carrière, Cruijff est donc ruiné et dans le collimateur du fisc espagnol. Ce qui le pousse à accepter de rechausser les crampons en NASL, mais pas pour le Cosmos New York, avec qui il s’engage initialement et qui proposait 5 millions d’euros sur trois ans, mais avec les Los Angeles Aztecs et un salaire annuel à 1 million d’euros. Le tout en lançant à Barcelone sa marque de pompes « Cruijff Classics » , avec le concours du designer italien Emilio Lazzarini. Mais le Batave ne change pas et fait une scène à sa femme qui a acheté des décorations murales chinoises un peu trop chères pour décorer leur nid américain. « Johan got mad ! » explique Danny au magazine People

1980

Il dispute trois matchs amicaux avec le club de D2 hollandaise DS79 alors que c’est la trêve aux States, où il joue aux Washington Diplomats pour 500 000 dollars annuels. DS79 lui aurait filé 50 000 florins (23 000 euros) pour sa pige, mais il n’en déclare que 20 000 au fisc et doit donc s’expliquer à la barre. Histoire de se refaire, il dispute un tournoi amical avec le Milan AC en mai, mais se blesse et rate la saison de NASL.

1981

En difficultés financières, les Washington Diplomats ne peuvent assumer son salaire. Retour en Europe où Leicester croit ferrer le poisson avec un salaire de 4000 livres par match joué – onze sont prévus -, mais Cruijff préfère le challenge sportif de Levante en D2 espagnole, où on lui offre plus de 180 000 euros pour disputer la seconde partie de saison. Il ne jouera que dix petits matchs.

1983

Il quitte l’Ajax, rejoint deux ans plus tôt et où il touche 1,5 million de dollars annuels, refuse une belle offre de Lucerne où, pourtant, on ne paie pas trop d’impôts, pour signer à Feyenoord. Avec un contrat particulier : une rémunération à l’intéressement sur l’affluence au stade. Rien en dessous de 22 000 spectateurs à domicile, 5 florins sur chaque place au-delà, pour les affiches européennes, 25% de toute la billetterie. Dans une interview pour France Football, il estime que « les joueurs moyens sont trop chers » , quant aux meilleurs qui gagnent encore plus, « c’est normal, il n’y en a qu’un ou deux par pays. »

1984

« Je suis un idéaliste, et non un chasseur de fric. » (Foot Magazine)

1985

Il retourne à l’Ajax comme entraîneur et s’adjuge une Coupe des coupes trois ans plus tard, peu de temps avant de démissionner. La reconversion est bien lancée.

1988

Il est nommé coach du Barça avec un salaire annuel estimé à 600 000 euros, costaud. Il avait également dans les mains une offre imposante d’Heerenveen.

1991

Alors qu’il doit renouveler son contrat en Catalogne, Cruijff déclare « honteuses et absurdes » certaines sommes évoquées dans la presse. Oui, il sera augmenté, mais en fonction de l’inflation assure-t-il.

1995

Il invite Ginola, Roche et Kombouaré à un tournoi de golf organisé par sa Fondation Cruijff, fondée récemment et qui va devenir l’un des piliers de sa vie post-football. En près de 20 ans, elle a permis de construire plus de 200 terrains de sport dans des quartiers défavorisés d’une vingtaine de pays.

1996

Il est viré du Barça avec un chèque de 1,2 million d’euros, soit deux ans de ce qui était son salaire initial.

1999

La première université Cruijff ouvre à Barcelone, et lance ainsi un business de l’enseignement pour le monde du sport. L’idée : offrir à des sportifs de haut niveau un cadre pour leur reconversion, ce dont Cruijff estime avoir manqué étant joueur.

2000

Un cheval de course du nom de Johann Cruijff, propriété d’un Honkongais, se retire après trois saisons de courses et 12 millions et demi de dollars de gains cumulés. Comme quoi s’appeler Cruijff peut rapporter. Figo passe chez l’ennemi madrilène pour 60 millions d’euros, Cruijff s’auto-congratule : « Figo est le dernier cadeau que j’ai laissé au Barça en héritage. Je l’ai acheté 2 millions d’euros et je l’ai vendu 60. C’est une bonne affaire. »

2002

« Dans mon cas, depuis que j’ai 40 ans, je touche 50 000 euros par an » , reconnaît Cruijff dans sa biographie Me gusta el fútbol, à propos d’un accord trouvé avec le trésor public néerlandais pour que les footballeurs locaux puissent placer une partie de leur revenus dans un fonds de pension et ainsi s’octroyer une rente et une assurance vie. À l’aise.

2003

Nommé conseiller de Laporta à Barcelone, histoire de valider son Doctorat d’économie du sport, option Multinationale du foot. Une fonction qu’il va occuper pendant toute la durée de mandat du président/homme politique. David Beckham est transféré au Real Madrid, au grand dam de JC14 qui s’explique sur la radio Caneda Cope : « En termes d’exposition, Beckham vend mieux que n’importe qui dans le monde. Il n’y a aucun doute sur sa qualité et il aurait pu mettre le Barça là où ils voulaient être. »

2008

Il retourne dans l’encadrement technique de l’Ajax dont il se fera dégager trois ans après en ayant empoché quand même 10 millions d’euros.

2009

Il devient sélectionneur de l’équipe de Catalogne, sa dernière expérience sur un banc, la seule à titre gracieux.

2010

Nommé président d’honneur du Barça, il démissionne quand Rosell arrive aux affaires. Fin de l’époque Unicef pour le Barça pour laisser un peu de place sur son maillot pour Qatar Airways moyennant 30 millions d’euros. « Nous sommes le seul club au monde qui a laissé notre maillot intact. (…) Nous avons mis fin à cette exception pour 6% du budget du club. (…) Cela montre que nous ne sommes pas créatifs et qu’on devient vulgaires » estime Cruijff.

2011

Finalement Qatar compatible, Cruijff devient consultant pour plusieurs médias, dont Al Jazeera, et profite de la victoire du Barça au Mondial des clubs contre Santos (4-0) pour lâcher une punchline gratuite envers Cristiano Ronaldo : « Je ne voudrais pas de lui au Barça. On joue un football différent et lui est toujours en train d’essayer de montrer combien il est bon. »

2012

Il est recruté en février comme consultant technique par le Chivas Guadalajara pour stopper une crise de résultat au club. Un contrat à « mi-temps » de 3 ans avec, selon la presse locale, un salaire entre 3 et 5 millions de dollars annuels. Un beau complément de retraite. Mais il est viré en décembre.

2013

Il réclame à Sandro Rosell 100 000 euros que le Barça doit à sa fondation. Un euro est un euro. Heureusement, l’UEFA chipote moins que la direction catalane et lâche un million à Johan Cruijff pour qu’il construise d’autres terrains synthétiques pour les gosses handicapés.

2014

Il critique publiquement le salaire de Neymar à Barcelone dans les colonnes du Mundo Deportivo : « Vous ne pouvez pas avoir un gars de 21 ans qui touche plus que des joueurs ayant tout gagné. Personne n’est Dieu à 21 ans. » Sauf Johan Cruijff.

2015

La Fondation Cruijff se porte bien avec un bénéfice de 400 000 euros en 2014, grâce notamment à une réduction des coûts administratifs d’environ 60 000 euros sur un budget total de fonctionnement à plus de 5,5 millions. Et le réseau Cruijff Institute, écoles de management sportif basées à Barcelone, Amsterdam, Stockholm, Mexico et Lima ? « On ne communique pas sur nos résultats financiers, mais je peux vous dire que notre nombre d’étudiants inscrits suffit à couvrir nos frais de fonctionnement » admet Dick Scholten, l’un des responsables communication du groupe. À 68 ans, Cruijff est bien au chaud, mais se défend d’avoir beaucoup d’argent… sur lui : « Ça fait longtemps que je n’ai plus d’argent sur moi. Mon nom et ma tête suffisent. »

Le sommaire du SO FOOT #128 en kiosque depuis le 9 juillet, avec 156 pages entièrement consacrées au Flying Dutchman, est à découvrir ici.

Par Nicolas Jucha et David Sfez

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