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Entêté comme Mateta

Par Lucie Lemaire et Julien Faure, avec Enzo Leanni

Après trois saisons compliquées à Crystal Palace, Jean-Philippe Mateta a enfin explosé ces derniers mois dans la banlieue sud de Londres. Au point d’être récompensé par Thierry Henry et d’être sélectionné pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Un premier accomplissement majeur pour l’attaquant de 27 ans, qui est sans doute à un moment charnière de sa carrière.

Entêté comme Mateta

Si avec ce parcours et ce prénom, il n’inspire pas un remake d’un film avec Fabrice Luchini… En tout cas, le personnage en vaut le détour. Depuis six mois, Jean-Philippe Mateta fait les beaux jours de Crystal Palace. Mais le nom de l’attaquant français de 27 ans reste finalement peu connu de notre côté de la Manche. Il faut dire que le numéro 14 des Bleus olympiques est un homme de peu de mots, mais il ne manque pas d’ambition. « Les gens parlent, je ne les écoute pas, je baisse la tête, je travaille et on verra ce que le travail va m’amener », confirme d’ailleurs le principal intéressé. Un premier constat partagé par son préparateur physique, Fabien Richard, dans son livre Dans les coulisses du succès des footballeurs : « Je crois que Jean-Philippe Mateta est le joueur le plus singulier à qui j’ai eu affaire. Jamais beaucoup de mots. Jamais beaucoup de phrases. »

Fils de Philippe Mateta, ancien pro au Congo, Jean-Philippe a grandi à Sevran. S’il a toujours titillé la balle dans la rue, notamment avec les grands de son quartier, son père ne l’a jamais poussé à embrasser une carrière pro, loin de là. « Il ne voulait pas que je touche au foot. Tout ce qu’il a vécu, il ne voulait pas que ça m’arrive », se rappelait-il auprès de France Football en 2020. Prudent, le paternel ? À raison sans doute : les débuts de Mateta sont loin d’être simples. « Ça a pris du temps, mais je continuais d’y croire. Je n’ai jamais lâché. » De Sevran à Londres, en passant par Drancy, Châteauroux, Lyon, Le Havre et Mayence, tel était le cap pour un parcours qui n’a rien de linéaire. Le tout sans avoir été en centre de formation. Encore une fois, c’est peut-être Fabien Richard qui en parle le mieux, alors qu’ils ne collaborent que depuis son passage en Allemagne : « Mon Peter Pan franco-congolais, né dans le 93, qui cheminait un peu tout seul dans ce monde bizarre du football de haut niveau, qui se battait pour trouver sa place. »

Petit Bambi deviendra monstre

Chez les jeunes, ses éducateurs l’imaginent difficilement devenir pro. « Ce n’était pas une bête d’entraînement. On pouvait même penser qu’il allait se contenter de ses points forts sans se faire violence », déclarait en 2016 à So Foot Alain Bimon, qui l’a coaché à Drancy. Pour son ancien entraîneur en U13 à l’Olympique de Sevran, Tama Dramé, « sa force, c’est qu’il n’a jamais cessé de progresser ». Et qu’il a commencé à travailler. Le déclic ? Une grave blessure au ménisque qui l’éloigne des terrains pendant six mois à l’été 2019. « J’ai vu à quel point faire du bien à son corps, bien manger, aller à la salle, tout ce qui est fait pour que tu sois bon sur le terrain, était important », avoue-t-il encore aujourd’hui.

Jean-Phi, c’est un mec qui voue sa vie, je n’exagère pas, au football. Il ne pense qu’à ça.

Fabien Richard, préparateur physique de JP

C’est à ce moment-là qu’il engage un préparateur physique. « Jean-Phi, c’est un mec qui voue sa vie, je n’exagère pas, au football. Il ne pense qu’à ça, confie Fabien Richard, qui le décrit comme un « monstre » physiquement. Sur son frigo, il a une fiche sur laquelle sont écrits ses objectifs personnels. » Une habitude qui le suit encore. « Il y a toujours de nouveaux objectifs. Ça parle de tout, t’inquiète pas. Des grands objectifs », rigole-t-il. Jamais rassasié, il envoie même « ses statistiques après chaque match, ce que peu de joueurs font », révèle Richard dans son livre.

Vrai bosseur travaille ses points faibles, et Mateta l’a bien compris. S’il rigole encore à l’évocation de son surnom Bambi chez les jeunes, Alain Bimon, lui, se souvenait dans les colonnes de So Foot d’un joueur « assez embêté par rapport à sa grande taille, ce qui laissait apparaître une certaine nonchalance ». À l’époque simple caractéristique physique – « Il était au-dessus des autres… mais seulement de la taille ! », ironisait Laurent Cadu, ancien directeur du centre de formation de la Berri en 2016 –, son mètre 92 est devenu un axe de travail à part entière. « Je suis quelqu’un qui bosse pour tout, pied gauche, pied droit, tête, mais oui, marquer plus de buts de la tête, ça serait pas mal », complète celui qui ne compte qu’un seul but dans le domaine, sur 19 inscrits la saison dernière.

De l’aveu de son entraîneur à Palace, Oliver Glasner, Mateta est même très demandeur. « Il écrit aux membres du staff en disant ce qu’il voudrait faire avant l’entraînement », soufflait l’Autrichien en avril dernier, alors que l’attaquant confie en faire de même avec le staff olympique : « Comme je suis grand de taille, j’aime bien bosser mes appuis. Je peux progresser sur ça. »

La vie de Palace

Dans une carrière faite de hauts et de bas, on a parfois tendance à ne retenir que les bas pour ne faire des hauts que des événements isolés. Jean-Philippe Mateta ne coupe pas à cela, alors qu’il traîne un passage fantôme du côté de Lyon lors de la saison 2016-2017, où il n’a évolué avec les pros que deux fois. Forcément dans l’Hexagone, ça marque. Surtout avant de s’envoler pour Mayence, comme il le racontait déjà à So Foot en 2019 : « Au début, je voulais rester en France pour prouver, avant de partir. »

Mais depuis la mi-février, le colosse de Sevran a choisi de grimper très haut. Et même s’il a « envie de péter encore plus », ses 16 buts en Premier League cette saison ont fait entrer l’avant-centre dans une autre dimension, la plus exposée de sa carrière. Surtout que depuis l’arrivée de Glasner à Londres, les chiffres sont encore plus parlants. Quand l’Autrichien reprend les rênes de Palace, le 20 février, le remplaçant Mateta, qui vient pourtant d’enchaîner neuf titularisations – une série débutée grâce à la blessure du titulaire Odsonne Édouard – n’en est pas encore à enfiler les buts comme des perles. Avec trois réalisations en 22 matchs, son bilan est bien maigrichon, et ce ne sont pas ses quatre passes décisives en plus qui vont le sauver. La suite, pourtant, c’est 13 buts en autant de rencontres et une fin de saison en boulet de canon.

Une cadence infernale qui l’a hissé jusqu’au neuvième rang des meilleurs buteurs de Premier League. Un accomplissement qui n’en est pas vraiment un pour Mateta, qui aspire déjà à « faire mieux que l’année dernière ». Pour cela, il pourra compter sur Oliver Glasner, « qui a vu en moi le buteur », assure l’attaquant, glissant aussi qu’à la différence des autres, le technicien le « fait jouer ». Un manque de temps de jeu qui n’a pas effrayé l’avant-centre, sûr de lui : « Je bossais de mon côté, je savais qu’un jour, mon heure viendrait. » Une façon de voir les choses qui résume bien ce bosseur acharné qui ne cesse de viser plus haut. Car des objectifs, « l’ancien » comme l’appelait encore récemment Rayan Cherki, en a encore beaucoup à atteindre. Alors qu’il « vise les grands clubs et la Ligue des champions chaque semaine », son vrai rêve est d’un jour porter le maillot tricolore, celui frappé du coq, pas de la flamme olympique. Sans rien jeter de son aventure estivale parisienne, où il ambitionne la médaille d’or et part « pour tout gagner », son but, c’est les A.

L’échec ou Mateta

En pleine bourre dans un secteur de jeu où Olivier Giroud a tiré sa révérence et où ni Marcus Thuram ni Randal Kolo Muani n’ont fait leur trou, Mateta a peut-être une fenêtre de tir, aussi improbable soit-elle. S’il assure être « focus JO » et que « ce n’est pas le moment », il concède tout de même avoir espéré être de la partie en Allemagne. « Je suis un compétiteur, je ne vais pas me cacher, avance-t-il. Je me suis dit : “J’ai pas mal fini, pourquoi pas. On sait jamais.” » Pas de quoi baisser les bras pour autant. « Peut-être que c’est pour plus tard », glisse-t-il d’ailleurs. Pragmatique, Mateta sait ce qu’il lui reste à faire pour venir frapper à la porte de l’équipe de France : « Il faut juste continuer à avoir des résultats et quand le temps viendra, faut être prêt. »

Je ne sais pas si je peux le dire, mais en tout cas, il est grand

Jean-Philippe Mateta sur son plus gros objectif de carrière

Ambitieux, Mateta l’est depuis toujours. Mais s’il a bien appris une chose au cours de sa carrière, c’est que dans le football, tout va très vite. Aussi réussis soient ses six derniers mois, ils n’effacent pas son parcours cabossé depuis 2015 et la Berrichonne, ni ses trois années compliquées à Londres. « Mon passage à Palace, j’ai plus de matchs sur le banc que sur le terrain, rappelle-t-il. Parfois je n’étais pas dans le groupe, c’était incroyable. »

Car aussi étonnant que cela puisse paraître, ses 46 titularisations depuis janvier 2020 sont bien faibles comparées à ses 47 sorties du banc ou les 29 fois où il l’a chauffé jusqu’au coup de sifflet final. Alors oui, si Mateta a récemment marché sur l’eau et est aujourd’hui évoqué, sans être plébiscité, pour le maillot tricolore, il semble à un moment charnière de sa carrière. Celui qui décidera s’il continue son ascension tardive et s’il justifie des ambitions qui pourraient paraître démesurées aux yeux de certains, ou celui qui le renverra à l’alternance de périodes fastes et d’autres d’anonymat. La balle est dans ses pieds. En attendant, il continue de garnir d’objectifs son frigo. Et ne lui demandez pas de quoi relève le dernier, même lui préfère en taire le contenu, il pourrait effrayer les plus pessimistes : « Je ne sais pas si je peux le dire, mais en tout cas, il est grand. Toujours plus haut ! » Pour sûr qu’on peut certainement y trouver deux nouvelles lignes depuis mercredi : marquer contre la Guinée et contre la Nouvelle-Zélande avant, peut-être, une médaille olympique autour du cou.

Par Lucie Lemaire et Julien Faure, avec Enzo Leanni

Tous propos recueillis par JF, LL et EL, sauf mentions.

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