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Kenza Dali et le foot moderne : la métamorphose de Narcisse
Au sein d'une équipe de France au jeu de plus en plus restrictif, Kenza Dali s'impose comme une leader technique, dans un football qui se neutralise toujours plus, au détriment des idéaux et principes de jeu portés vers l'avant. Mais pour gagner les JO, faudra-t-il nécessairement bien jouer et créer le beau ?
Avant d’être buteuse lors du premier match des Bleues dans ces JO, face à la Colombie (3-2), Kenza Dali s’était penchée, jeudi dans les colonnes de L’Équipe, sur la profonde métamorphose du football féminin. Une transformation qui suit les traces du foot masculin et qui, comme pour beaucoup d’esthètes des rectangles verts, n’enchante pas forcément la native de Sainte-Colombe (Rhône). Plus fermé, plus tactique, plus physique, le sport roi laisse moins de place aux artistes, tous genre confondus. Cette évolution pousse fatalement les Bleues à suivre la tendance, elles qui visent le premier titre international de leur histoire à l’occasion de ces Jeux. Pour Dali, qui admet (« peut-être ») ne pas aimer ce nouveau football bien plus pragmatique, le tableau ne doit pourtant pas être tout noir ou tout blanc : « Bien sûr qu’il y a des fois où je me dis : “Si j’avais été spectatrice de l’équipe de France féminine aujourd’hui, je ne me serais pas régalée”. Mais au final, peut-être que vous vous régalerez si on gagne un premier trophée. »
L’exception espagnole
Déjà très en jambes avant les Jeux, contre la Suède notamment, la milieu de terrain s’est de nouveau mise en avant face à la Colombie. Avec un but et une très bonne première période, la Rhodanienne a brillé, avant de baisser de rythme au retour des vestiaires, comme l’ensemble de ses coéquipières. Précise dans ses passes, portée vers l’avant et la création, Dali a fait du Dali. Primordiale pour l’équipe de France lors de la dernière Coupe du monde en Australie, la joueuse passée par l’OL et le PSG a peut-être le destin des Françaises entre les pieds. Car il fait peu de doute que si les Diani, Cascarino ou Katoto sont servies dans les bonnes conditions, alors les Bleues seront bien difficiles à arrêter.
Dali réfute l’idée selon laquelle Hervé Renard briderait ses joueuses. « Hervé n’est pas du tout quelqu’un qui refuse le jeu, jamais de la vie, explique-t-elle, encore dans L’Équipe. Il ne m’a jamais interdit de franchir la ligne médiane ou de dribbler. Il nous donne la liberté dans la partie de terrain adverse. » Ainsi, les Bleues ont lâché les chevaux face aux Colombiennes. Mais en pressant énormément à la perte de balle, elles se découvrent aussi souvent derrière. Et on l’a vu au tableau d’affichage.
Si les coéquipières de Wendie Renard continuent de trouer les filets à cette fréquence, leurs limites défensives pourraient devenir un problème mineur. Il y a toutefois fort à parier que la physionomie du tournoi ne laisse pas de place aux grandes envolées, mais plutôt aux blocs solides et efficaces : « Citez-moi une équipe des JO, hormis l’Espagne, qui essaie vraiment de produire ? Le Canada gagne les derniers Jeux sans remporter un match dans le temps réglementaire, mais personne ne se souvient de la manière dégueulasse dont elles avaient joué. L’exemple type du foot moderne », continue-t-elle. Alors il faudra s’adapter, à l’image de la victoire obtenue en Angleterre – championne d’Europe en titre – début juin. « J’ai détesté courir 12 kilomètres après Keira Walsh, mais je savais que ça permettait de détruire 80 % du jeu anglais », se rappelle la numéro 15 tricolore, qui ne veut pas être dans l’utopie : « Si je ne voulais pas me dénaturer, être juste une joueuse de ballon, je ne jouerais pas, c’est aussi simple que ça. J’aime le beau jeu, l’avant-dernière passe plutôt que le tir, mais ça n’intéresse plus personne aujourd’hui. »
Alors que gagner, ça oui. Renard & Co l’ont bien compris. La milieu de terrain le dit, elle est prête à faire fi de ses préférences pour croquer une breloque : « Si j’ai le choix entre donner 95 minutes de spectacle et rentrer chez moi, ou avoir des résultats avec un jeu moins attractif, je prends les résultats. » On retiendra quand même que la méthode si chère à Didier Deschamps n’a plus fonctionné depuis 2018, tandis que l’Espagne vient de ramasser un Mondial chez les femmes et un Euro chez les hommes. Et en jouant à la pelota !
Par Julien Faure
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