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J’me présente, je m’appelle Henry

Par Florian Lefèvre
J’me présente, je m’appelle Henry

Plus de quatre ans après la fin de sa carrière aux New York Red Bulls, Thierry Henry est donc devenu, à 41 ans, le nouvel entraîneur de l'AS Monaco. Entraîner : une reconversion évidente pour un mec qui dévore du football au point de disserter sur la deuxième division allemande. Portrait de Titi, le coach.

« La plus grosse pression de ma vie, c’était de mettre un sourire sur le visage de mon père. » Thierry Henry en est persuadé, sa carrière, il la doit à son père, qui l’a conditionné pour l’exigence du haut niveau. « Viry-Châtillon-Sucy-en-Brie. Coup d’envoi 14h. On gagne 6-0, je mets les six buts. De Viry-Châtillon à Orsay où j’habitais, mon père il m’a… De Viry à la maison, mon père il m’a sorti toutes mes erreurs du match » , racontait le meilleur buteur de l’histoire des Bleus, ému comme rarement, devant une caméra de Canal + en 2017. Si l’on se fie à la biographie référence de Thierry Henry signée Philippe Auclair, Tony Henry, le père, était du genre à traverser le terrain pour gueuler sur un coach qui avait eu le malheur de remplacer son fils à la 60e minute d’un match. Né en Guadeloupe, ancien défenseur amateur sur les terrains de l’Essonne, le paternel adorait Marius Trésor. Autant dire que son père aurait sans doute apprécié voir Titi sur le banc des Girondins de Bordeaux, où son fils était pressenti l’été dernier et où l’immense Marius a écrit une belle partie de son histoire. Finalement, après diverses pistes, Thierry Henry, 41 ans, a choisi l’AS Monaco pour épouser son destin d’entraîneur et une nouvelle vie.

Un joueur d’échecs qui connaît les compos du Fortuna Düsseldorf

Voir la barbe et le menton relevé d’Henry devant un banc de touche, c’est une évidence depuis longtemps pour ceux qui le connaissent. « De tous les joueurs que j’ai connus, aucun n’aimait et ne comprenait le football comme Thierry » , pose Gérard Houllier, lui qui a entraîné l’attaquant en sélections des moins de 17 et 18 ans, dans le livreThierry Henry – Seul au sommet. «  »Carra » [Jamie Carragher, N.D.L.R.] mange et respire football, mais même lui n’est pas aussi vorace que Titi. » Preuve en est, cette anecdote délivrée par le Belge Romelu Lukaku d’un échange récent entre lui et son entraîneur spécifique pendant la préparation de la Coupe du monde : « Thierry, tu as vu la compo du Fortuna Düsseldorf ? – Ne sois pas bête. Oui, bien sûr ! »

Être un féru de 2. Bundesliga n’est pas un gage de réussite pour un entraîneur. Avoir un palmarès long comme le bras, non plus : JPP, Matthäus… Les grands joueurs ne font pas souvent des grands entraîneurs. Mais sa connaissance du foot, son charisme, son expérience, sa maîtrise de plusieurs langues étrangères et son intelligence ( « Il réfléchit comme un joueur d’échecs. Avec quatre, cinq, six coups d’avance » , disait Sol Campbell, son ancien adversaire à Tottenham devenu coéquipier chez les Gunners) font d’Henry un entraîneur en puissance. Un rôle qu’il pourra déjà commencer à exercer auprès de ses jeunes coéquipiers lors de son dernier bail chez les New York Red Bulls.

Arsenal ou la rampe de lancement naturelle pour que Thierry Henry apprenne son métier d’entraîneur. Pourtant, comme d’autres figures des Invincibles tels Dennis Bergkamp et Patrick Vieira, le meilleur buteur de l’histoire des Gunners n’a jamais reçu de proposition d’Arsène Wenger pour intégrer le staff de l’équipe première. Une manière précautionneuse et égoïste de protéger son siège de la part de l’Alsacien ? « Je ne comprends pas, mais c’est comme ça » , regrettait Vieira – parti faire ses classes à Man City – en 2017 dans SO FOOT. Après avoir entamé ses diplômes d’entraîneur en ayant un rôle avec une équipe de jeunes d’Arsenal, Henry est recommandé à l’été 2016 par le responsable de l’académie de l’époque – Andries Jonker – pour diriger l’équipe U18 du club. Mais Arsène Wenger s’y oppose personnellement. Il pouvait y avoir un conflit d’intérêts entre Henry, le consultant TV pour Sky Sports, et Henry, le salarié d’Arsenal. Ou peut-être que Wenger considérait son ancien capitaine comme une future menace.

La patte Henry chez les Diables rouges au Mondial

Dans la foulée, le Français a répondu favorablement à l’appel de Roberto Martínez en vue de rejoindre le staff des Diables rouges. Comment refuser ? « Tu as eu une carrière, mais qu’est-ce que tu as fait en tant qu’entraîneur ? Rien. Donc tu apprends, tu écoutes. » À l’origine, c’est l’Allemand Ralf Rangnick, un autre candidat au poste de sélectionneur de la Belgique, qui avait glissé l’idée à la Fédération belge de choisir Henry comme adjoint avant que celle-ci n’opte pour le CV de Martínez. Légende du championnat d’Angleterre, Henry a le profil parfait pour conseiller une sélection largement baignée en Premier League. En tant que « T3 » , il sert de lien intergénérationnel entre les joueurs et le boss : « Sa présence, son charisme, ses idées : quand il parle, tout le monde l’écoute. Il partage ses analyses individuelles, ou collectives, il travaille les phases arrêtées avec le coach » , dira Thomas Meunier dans les colonnes de Sport/Foot Magazine.

À l’entraînement, Henry chausse les crampons pour claquer les centres vers Romelu Lukaku et Michy Batshuayi. Pendant deux ans, une relation franche se construit entre le buteur de Man United et l’ancien Gunner, qu’il regardait à la télé étant môme. « Je suis avec la légende, en chair et en os, et il est en train de m’apprendre comment courir dans les espaces comme lui le faisait » , s’enthousiasme alors Lukaku. Ce n’est pas un hasard si au Mondial en Russie, le style bourrin du Belge laisse place à une palette dotée de finesse, comme l’illustre son mouvement sans ballon sur le dernier but des Diables rouges face au Japon en huitièmes de finale. De la classe pure. « À la Coupe du monde, on a vu une marque Thierry Henry au sein de l’attaque de la Belgique. Une marque basée sur la vitesse et le travail de la profondeur » , certifie Jean-Marie Panza, l’ancien entraîneur d’Henry à Palaiseau dans l’Essonne, l’un de ses mentors, devenu au fil du temps son ami.

Penser le jeu et tuer l’adversaire

Si Arsène Wenger se définit avant tout comme un « éducateur » , quelle est la vision du métier d’entraîneur de Thierry Henry ? Outre l’aspect exigeant et perfectionniste, cette vision pourrait se concentrer en un mot : penser. Penser le jeu, développer le QI football à la base de tout, comme Henry l’expliquait en janvier dernier dans un entretien éclairant avec le basketteur J.J. Redick. « Des fois, certains coachs profitent des qualités physiques d’un joueur et ne prennent pas le temps de lui faire travailler le cerveau, note Henry. Mon coach [l’un de ses éducateurs durant sa jeunesse] nous disait par exemple :« Aujourd’hui, les gars, pas de tacle. »Alors, tu dois anticiper le ballon, lire les passes adverses, sentir le jeu, essayer de penser différemment.(…)Si tu vois l’action avant l’autre, peu importe qu’il soit plus costaud ou plus rapide : il est mort. »

Être un killer… On en revient à la personnalité de l’homme façonnée par Henry senior. « Pour moi, ce qui fait la différence entre un bon joueur et un très grand, c’est que le très grand est un tueur, expliquait encore Thierry Henry face à Olivier Dacourt pour Canal +. J’aime bien jouer contre mon père. Mais si je dois lui mettre un coup de coude pour passer devant lui, je vais le faire. Et lui fera pareil. Après, celui qui a gagné amènera l’autre à l’hôpital se faire soigner, mais c’est le seul moyen de survivre dans un match. Le très haut niveau, c’est comme ça. » Jordi Mboula et sa bande sont prévenus : pour progresser, il va peut-être falloir passer quelques soirées aux urgences.

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Par Florian Lefèvre

Propos de JMP recueillis par FL, ceux de TH tirés d’interviews à Canal +, TM par Sport/Foot Magazine, PV par SO FOOT, RL sur The Players’ Tribune, les autres tirés de conférences de presse et issus de la biographie Thierry Henry - Lonely at the top (Thierry Henry - Seul au sommet), par Philippe Auclair (2012), parue en VF chez Hachette.

Article initialement publié le 24 août 2018.

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