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Jet de projectile : les victimes racontent

Par Léo Tourbe
Jet de projectile : les victimes racontent

Touché à la tête par une bouteille jetée des tribunes à Lyon dimanche soir, le capitaine marseillais Dimitri Payet a semblé atteint psychologiquement après cette agression. Étrangement, ce genre d'événements s'est tellement banalisé dans le sport ces dernières années que les autres victimes considèrent cette violence comme faisant partie intégrante du football.

Pendant que Smaïl Bouabdellah, Johan Micoud, David Astorga et Thibault Le Rol s’occupaient de meubler l’antenne de Prime Video pendant deux longues heures d’attente, Thierry Henry semblait être l’un des seuls à s’enquérir de l’état de santé de Dimitri Payet, dimanche dernier, lors de ce drôle de Lyon-Marseille. Si le poncif « le football est le grand perdant » a encore été balancé une bonne pelletée de fois (à raison) pour se joindre à l’indignation générale, la première victime dans cette affaire reste Dimitri Payet. Après quelques nouvelles finalement rassurantes le concernant, c’est surtout le traumatisme de cette agression qui a eu l’air de marquer le Marseillais. À tel point qu’il ne s’est pas rendu à l’entraînement le lendemain en fin de matinée. A-t-on vraiment envie de revenir sur le terrain après un tel épisode ?

Pierre Gibaud fusillé par une bière

Pierre Gibaud, qui fait le bonheur des supporters havrais, a lui aussi été victime de la bêtise de certains spécimens. C’était le 2 octobre dernier, au stade Océane, pour la réception de Dijon comptant pour la 11e journée de Ligue 2. « Penalty pour nous. Victor Lekhal le transforme. Il va vers le poteau de corner pour célébrer avec nos remplaçants qui s’échauffent, juste à l’endroit où il y a les supporters visiteurs, se souvient le défenseur.Moi, j’arrive d’un peu plus loin, je cours et je glisse sur les genoux pour les rejoindre. À ce moment-là, je reçois un truc sur l’abdomen. Au début, je ne sais pas ce que c’est, j’ai l’impression de prendre un coup de fusil. En fait, c’était un de ces gobelets durs qu’il y a dans les stades, plein de bière. » Pendant l’euphorie collective, il est « séché » net et se tord de douleur sur la pelouse. L’action n’est même pas passée à la télé et personne n’a vraiment vu ce qu’il s’était passé. « Tout le monde pensait que je faisais du cinéma. Même le gardien de Dijon est venu me voir en me disant« vas-y relève-toi, pourquoi t’en rajoutes ? » », raconte-t-il.

Pierre Gibaud, marqué au fer rouge

Après le match, qu’il a pu finir, il poste un petit tweet humoristique : « On va bosser les amorties de la poitrine », auquel il ajoute un emoji chope de breuvage houblonné. En aucun cas l’arbitre n’a pensé à mettre un terme à la rencontre. Lui-même ne l’a pas vraiment envisagé, concédant que cet incident ne l’avait pas tué, mais que « ça aurait été différent si j’avais été blessé sévèrement ». Le ton de son message posté sur les réseaux sociaux est aussi la preuve que personne n’a vraiment pris cet incident au sérieux. « Personne dans mon entourage ne m’a dit que ce serait bien de faire une sorte de paragraphe, explique le Havrais.Les instances du foot ne m’ont pas parlé non plus, alors que c’est quand même arrivé après Nice-Marseille. Je n’ai été contacté par personne, pas même par mon syndicat, l’UNFP. J’ai eu personne. » Faut-il donc s’appeler Payet, jouer en quasi-mondovision, dans un stade de 59 000 personnes, pour que les institutions daignent vous calculer ? Malgré tout, l’envie de jouer n’avait pas disparu, la peur du projectile n’est pas apparue. Peut-être que la réaction du Réunionnais, resté longtemps au sol, que certains pourraient qualifier d’exagérée, va contribuer à mettre fin à une sorte de vérité générale qui veut qu’être la cible de bouteilles, de gobelets, de briquets, de pavés fait partie du métier de footballeur. Et donc qu’être en état de rejouer trois jours plus tard est parfaitement normal.

Ça fait partie du foot !

Visé par des supporters du Batman Petrolspor lors d’un match de Coupe de Turquie en 2018 alors qu’il jouait à Kasımpaşa, Fodé Koïta a, lui, reçu une bouteille en pleine tronche. « Je me retrouve sur le côté à déborder et puis sans m’y attendre, je me prends une bouteille d’eau remplie dans la tête », se remémore l’ancien attaquant de Montpellier. Après quelques heures passées à l’hôpital afin de s’assurer du bon fonctionnement de ses yeux ( « ça m’a touché juste en dessous de l’œil, donc ça aurait pu être dangereux » ), l’international guinéen continue sa vie de footballeur comme si de rien n’était. « On sait que ce n’est que du football. Ce sont des événements qui ne sont pas très agréables, mais de là à dire que ça m’a marqué… », souffle le joueur de Trabzonspor. Même son de cloche qu’en Normandie. À croire que ces dérives sont tellement ancrées dans le sport qu’elles sont même acceptées par les acteurs principaux du jeu. Dimitri Payet, en se montrant atteint et choqué psychologiquement, laisse entrevoir une facette assez rare des footballeurs victimes des déconnexions neuronales de certains spectateurs. Son état peut évidemment s’expliquer par le fait que ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve dans ce rôle de cible du jeu de fléchettes et également par la différence d’affluence entre ces événements (quelque 5000 spectateurs pour Le Havre et Batman contre 56 000 pour Lyon-OM).

Óscar García, coach du Stade de Reims, a gardé une lèvre meurtrie de son court passage à l’Olympiakos. Alors opposé à l’ennemi du PAOK, le technicien espagnol nous racontait récemment : « Je me dirigeais vers mon banc et j’ai reçu une bobine de tickets de caisse en pleine face. Ma lèvre a explosé. Les gens ont pensé que c’était du papier toilette, mais je vous assure qu’au regard de la blessure que j’ai eue, ce n’en était pas. On va dire que ce sont des choses qui arrivent !(Rires.) » Lancer des trucs depuis les tribunes semble donc faire partie du folklore, et les footeux, même les entraîneurs, doivent composer avec la possibilité d’être visés à tout moment. À moins d’une blessure vraiment grave, l’événement ne trotte pas particulièrement dans l’esprit des victimes qui passent vite à autre chose, au match suivant. Comment se remet-on d’un jet de projectile ? Apparemment, on s’en remet comme d’une frappe ratée, d’un contrôle manqué. Ça fait partie du jeu, et il serait temps que ça change avant qu’un drame n’advienne.

Par Léo Tourbe

Tous propos recueillis par LT, sauf Óscar García par AB et AH.

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