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Jean-Philippe Rohr : « Je n’échangerai pas ma médaille contre un Ballon d’or »
Ce vendredi à 18h, les joueurs de Thierry Henry tenteront de succéder aux hommes d’Henri Michel en devenant champions olympiques pour la seconde fois en autant de finales après celle victorieuse de 1984(*). Jean-Philippe Rohr, qui faisait partie de ces pionniers, sera en tribunes au Parc des Princes pour l'occasion. L'ancien milieu raconte ses JO, ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier.
Comme sur le terrain puis sur les tables de poker (son autre passion), Jean-Philippe Rohr a toujours un coup d’avance. Domicilié sur la Côte d’Azur depuis plusieurs années, le milieu de terrain formé au FC Metz avait retrouvé sa Lorraine natale ces derniers jours, comme il le fait régulièrement. Se rapprochant – innocemment – ainsi de Paris et de la fièvre olympique. Sans savoir encore que ce séjour lorrain serait ponctué d’une parenthèse parisienne vendredi, à la suite de la qualification des Bleus en finale et donc de l’invitation par Philippe Diallo, président de la FFF, comme il l’avait promis aux médaillés d’or en 1984 à Los Angeles. Après un déjeuner au siège de la Fédération, direction le Parc des Princes pour ces pionniers. Histoire de clôturer des Jeux olympiques en France que Jean-Philippe Rohr, 62 ans, a suivi en intégralité et dont il retiendra, outre leurs performances, le sourire de Simone Biles, les surprises françaises, la fraîcheur de « Mondo » Duplantis et de Léon Marchand.
De l’avis de beaucoup, ces Jeux olympiques en France sont une réussite. Partages-tu ce sentiment ?
Évidemment. La cérémonie d’ouverture, les images de Paris pendant les épreuves, l’ambiance… Mais ils sont avant tout une réussite parce que les sportifs répondent présents. Sans la fraîcheur de Duplantis, sans son record du monde et son charisme à 24 ans, sans la découverte des françaises en canoë (Angèle Hug), en tir à l’arc (Lisa Barbelin) ou en triathlon (Cassandre Beaugrand), ça n’aurait pas la même saveur. Pareil, sans la performance exceptionnelle de Simone Biles à la gym. Elle est tellement bluffante par ce qu’elle dégage.
Et Léon Marchand ?
Idem. Je ne suis pas très original mais c’est mon coup de cœur. Il performe, mais il est encore spontané et pur dans son sourire. C’est la fraicheur d’un gamin. Tout paraît naturel. L’esprit des Jeux, c’est autant Léon Marchand que le BMX qui fait trois médailles en une course ou que de découvrir des sportifs et sportives sur une journée.
Toi qui a connu Carl Lewis en 1984, à quel niveau places-tu l’engouement autour de Léon Marchand ?
Aux États-Unis, tout est décuplé. Ses arrivées au stade, c’était un raz-de-marée. C’est le moment que je garde en tête de mes Jeux à Los Angeles. À la différence de Marchand, Lewis était déjà une star avant la compétition. Il était attendu à la maison, un peu comme Riner. D’ailleurs, il a dû dormir deux nuits au village olympique, le reste du temps il était dans sa villa, on ne le voyait pas. Par contre, 80 000 personnes derrière lui pour sa course, ça donne la chair de poule. On ne s’entendait plus. À cet instant, on comprend la grandeur des USA et de l’athlétisme aux Jeux olympiques. Et puis, finalement, 84 ce sont ces JO à lui avec 4 médailles d’or (100m, 200m, 4x100m et saut en longueur).
Et pourtant, cet esprit olympique, vous ne l’aviez connu que sur la fin de votre parcours en 1984…
Oui, on n’avait pas fait la cérémonie d’ouverture et on était arrivé au village pour les matchs à élimination directe. C’est à cet instant qu’on s’est réellement plongés dans la compétition. Le village olympique fait partie de ces endroits qu’on ne peut pas décrire. Que les mots ne suffisent pas pour raconter exactement ce qu’on vit. C’est un mélange d’athlètes, amoureux de leur sport, qui travaillent 15 ans pour une médaille, dans une ambiance exceptionnelle… C’est le top du top.
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Avec cette finale, est-ce que vous vous préparez à, peut-être, ne plus être les seuls champions olympiques de football français ?
Oui, ça fait partie du jeu. C’est comme les records, ils sont faits pour être battus. Regarde comment Michael Phelps a accueilli Léon Marchand qui allait pourtant battre ses temps. J’ai avant tout un sentiment patriotique et j’aimerais que cette équipe soit également championne olympique. C’est toujours beau d’être le seul, mais on sait que ça ne dure pas indéfiniment.
Et puis cette finale vous permet de vous retrouver…
On a été invité au tirage des groupes du tournoi en mars. Là, on va assister à la finale. La FFF n’a pas la mémoire courte. On l’apprécie sincèrement. Surtout que quand on s’est retrouvé, je ne m’attendais pas à ça. C’était fantastique. Ça faisait 30 ans qu’on ne s’était pas revu pour la plupart. Après le titre, on avait un peu joué les uns contre les autres, mais on a pris notre retraite ensuite. On a compris, 40 ans après, pourquoi on avait gagné et pourquoi ce groupe vivait si bien. Surtout que, contrairement à cette équipe montée de toutes pièces par Thierry Henry, vous aviez un certain vécu en 1984.
Alors moi, je suis arrivé pour le dernier match qualificatif en Allemagne mais le reste de l’équipe avait une trentaine de matchs ensemble en deux ans. Et que des victoires. Ces Jeux, c’était un aboutissement avant même de commencer pour cette génération.
Quel souvenir sportif gardes-tu de cette épopée ?
Notre demi-finale contre la Yougoslavie. Surtout que c’était leur équipe A quasiment, nous c’étaient les -23 ans qui n’avaient pas de sélection en A. On gagne 2-0, ils reviennent à 2-2 et on gagne 4-2 en prolongations. Il y a eu des rebondissements, un peu comme la France contre l’Égypte en demi-finale cette année. Le tout dans un stade de 100 000 places presque (97 000 et 102 000 pour la finale). À la fin de ce match, on a eu le sentiment collectif que rien ne pouvait nous arrêter.
Tu suis un peu le tournoi de football masculin cette année ?
Oui. J’ai suivi le parcours depuis le début évidemment, comme toutes les autres épreuves. Dimanche, j’ai regardé en intégralité le match contre l’Egypte. C’était vraiment plaisant, surtout à la fin quand tout s’est décanté.
Ton joueur coup de cœur ?
Olise, sans contestation. Je le connaissais de nom mais je ne voyais pas ses matchs en Angleterre. Mais là, le voir jouer, c’est impressionnant. Il voit le jeu, il accélère, il dribble. Il désinhibe le jeu des Bleus. Lacazette et Mateta on les connaissait déjà, mais lui, c’est la bonne surprise. J’ai bien aimé Truffert aussi. Lui, je ne comprends pas qu’il soit encore à Rennes.
Henri Michel avait eu un rôle essentiel dans votre parcours en 1984. Comment juges-tu l’importance de Thierry Henry dans ce parcours ?
Il n’avait connu que des échecs par le passé, à Monaco et à Montréal. Je pense, en tout cas, c’est l’image qu’il renvoyait, qu’il se sentait encore trop joueur et se prenait trop au sérieux. Aujourd’hui, il est plus copain, il y a plus d’affect. Il apparaît plus apaisé. À Monaco, je sais qu’il avait été perçu comme insupportable en se mettant en avant, en parlant de son vécu et en rabaissant les joueurs sur certains exercices non-réussis. Car oui, c’était un énorme joueur mais pour entraîner ça ne suffit pas. Il a changé, ça se ressent. Et puis, il le dit, il adore les Jeux olympiques. C’est essentiel d’être imprégné de ça.
Toi qui a été champion olympique, est-ce que le football à 11 a sa place aux JO ?
Oui, mais avec les meilleurs joueurs ce serait encore mieux. Pas cet entre-deux. Au basketball, handball, volleyball, ce sont les meilleurs qui sont là et l’aspect sportif en sort grandi. Regarde la Team USA : les mecs prennent trois semaines pour faire les JO et pourtant ils ont des sacrés contrats avec leurs clubs.
Michel Platini minimise la place du foot aux Jeux…
Peut-être parce qu’il ne les a pas gagnés et que pourtant il y a participé (en 1976). Le football est le sport le plus populaire du monde, c’est logique d’être représenté aux Jeux.
Tu échangerais ta médaille d’or olympique contre un de ses Ballons d’or ?
Jamais de la vie. Les Jeux, c’est universel. Quand tu vois la joie des médaillés, c’est incroyable. Djokovic, qui a tout gagné, est en pleurs car il devient champion olympique. Alors qu’on ne le voyait pas si ému sur les Grands Chelems. Djoko, c’est l’image des Jeux et de ce qu’ils représentent par excellence dans le monde.
Propos recueillis par Alexandre Plumey
*Finale pour la France en 1900, mais avec des équipes locales non reconnues par la FIFA.