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Jean-Marc Furlan : « On a fini par récolter les fruits »
Malgré la remontée de l’AJ Auxerre en Ligue 1 dix ans après l’avoir quittée, Jean-Marc Furlan va encore devoir se taper une semaine de boulot avant de pouvoir partir se reposer avec son épouse en Crète, une destination que le couple affectionne particulièrement. En attendant, le technicien ajaïste est revenu sur un match pas comme les autres, mais pour lequel l’heure n’était pas au doute. Et pour cause : quand on a l’habitude de mettre en place des plans triennaux pour sortir un club du purgatoire (cinq promotions à mettre à son crédit, c’est un record), on finit par avoir quelques éléments en béton pour parvenir à ses fins.
L’AJ Auxerre n’a pas seulement vaincu la malédiction des barrages : elle est montée en Ligue 1 avec un drama digne des plus grands blockbusters américains. C’est vrai que c’est fantastique parce que ce que nous avons fait, aucun club ne l’avait réussi avec la formule actuelle. Pour moi aussi, c’est exceptionnel, car auparavant, j’étais toujours monté directement. Lorsque j’avais disputé les barrages avec Brest contre Le Havre en 2018, on avait terminé cinquièmes et été éliminés d’entrée de jeu (2-0, NDLR). Et là, on joue Saint-Étienne, un club de Ligue 1, dans le Chaudron qui plus est, et la première chose qu’on serait tenté de penser c’est : « Oh putain, on va prendre une rouste ! » (Rires.)
Comment fait-on pour amener une équipe à se transcender quand elle arrive avec un match en plus que son adversaire dans les pattes et doit aller au bout du bout de la prolongation ?Je le répète souvent, et on me chambre souvent là-dessus, mais la solution est multifactorielle. Pour que mes garçons aient la tête légère, je leur ai dit que ce match n’était pas une menace pour nous, mais bien pour Saint-Étienne. Pour nous, c’était un défi qu’on allait relever avec les compétences qui sont les nôtres et la joie de jouer en s’éclatant.
Guy Roux s’était montré moins optimiste – peut-être pour porter l’œil aux Verts -, mais en tout cas, il n’avait pas l’air aussi confiant que vous.(Rires.) Je pense qu’il a dit ça sincèrement. Mais en même temps, cela montre que l’exploit qu’ont réalisé les garçons est loin d’être commun, au vu des dernières années.
Quelque part, quand un club qui a inscrit 74 points à la fin de la saison régulière doit se taper 330 minutes de jeu supplémentaires en neuf jours, on se dit que c’est plutôt injuste et que ces barrages doivent dégager, non ?Tout à fait, on constate que les clubs de Ligue 1 sont très protégés avec ce format (l’AJA était d’ailleurs la première équipe à ne pas monter directement en L1 avec autant de points, NDLR). On est passés de mécanismes sociologiques et identitaires à une logique économique et capitaliste. Mais quand tu es entraîneur et que tu arrives en fin de parcours, en plus de trouver les bons mots pour tes joueurs, ce qui va faire la différence, c’est tout le travail effectué pendant les dix-onze mois précédents. C’est ce que j’ai dit à mon groupe : « Toutes les heures que vous avez passées à vous entraîner porteront leurs fruits à la fin du championnat. » Et voilà, on a fini par récolter les fruits.
En bon adepte des causeries efficaces, Pascal Dupraz aurait donc manqué de temps ?Ce qui est fondamental pour un entraîneur, c’est de mettre ses joueurs en sécurité par rapport à son protocole de jeu. En France, comme dans d’autres pays d’ailleurs, on aime défendre tous derrière parce que comme le but est tout petit, c’est plus simple pour la contre-attaque. Bon, moi, ce n’est pas trop ma philosophie, et ça nous a parfois mis dans le dur en ayant beaucoup de ballons et de possessions face à des équipes qui ne voulaient que nous contrer. Mais chacun son style, c’est ça le plus important. Tout ça pour dire que les mots que tu vas prononcer ne suffisent pas. Il faut y ajouter tout un ensemble d’éléments avec lesquels les garçons doivent ressentir de la cohérence. Parce que si tu n’as pas travaillé pendant un an et que tu n’as pas réussi à mettre tes joueurs en sécurité, ce n’est pas avec une causerie ou deux que tu vas tout transformer.
À propos de sécurité, le public stéphanois a-t-il joué un rôle de variable d’ajustement pendant la rencontre ? Tout au long du match, on percevait une pression croissante, jusqu’à l’explosion finale avec l’envahissement de terrain et les émeutes qui ont suivi.Je répétais constamment à mes joueurs qu’ils devaient parvenir à se mettre dans une bulle, pour ne s’occuper que de nous-mêmes et de notre football, parce qu’on savait que dans le Chaudron, ça allait être très chaud. Certains d’entre eux sont d’un naturel très courageux et ne se laissent influencer par rien. D’autres, sont transcendés par les insultes, comme pourrait l’être Zlatan, ou alors par les encouragements du public.
La séance de tirs au but a eu lieu face à la tribune Jean-Snella, fermée pour cause de huis clos partiel. C’était une consigne, au cas où vous remportiez le toss ?Non. La seule chose que j’ai faite, c’est donner ma liste des cinq tireurs, puis je suis sorti. Je ne sais pas si c’est un tirage au sort ou si l’arbitre a décidé lui-même de ne pas tirer face à la tribune pleine. Était-ce un avantage pour autant ? Mes trois derniers tireurs (Perrin, Charbonnier et Touré, NDLR) m’ont rapporté qu’au moment de leur tentative, il y avait déjà une centaine de supporters stéphanois sur le bord de la pelouse. Ils étaient sur le cul, c’était comme dans un match de village de 300 habitants ! (Rires.) Mais au moins, cela prouve que ça ne les a pas perturbés.
Finalement, la joie a été de courte durée, puisque la pelouse a été envahie immédiatement après la dernière tentative auxerroise. Ça ne vous a pas trop gâché la fête ?Non plus. Quand on est dans le football et qu’on joue à l’extérieur, on a l’habitude et on sait que ce genre d’exactions peut arriver. Et encore, heureusement qu’on ne joue pas en Amérique du Sud, parce que là-bas, c’est vraiment de la folie ! (Rires.)
Vous avez flippé que la patte Furlan, qui consiste à faire monter un club en trois ans, ne se casse la gueule à la dernière seconde, sur une séance de tirs au but qui plus est ?Sincèrement, pas du tout. Au moment d’entamer les barrages, j’ai dit aux joueurs qu’ils avaient réalisé une grande saison parce qu’ils avaient inscrit 74 points et que nous avions les moyens de montrer qui nous sommes, tant sur le plan mental que sur celui du football. La seule tension que j’ai ressentie, c’était au moment de jouer Sochaux, parce que je voulais vraiment gagner. Ensuite, on pouvait avoir l’esprit plus léger, précisément parce qu’on avait réalisé une grande saison.
L’autre étiquette qui vous colle à la peau, c’est celle de changer d’écurie après l’avoir emmenée dans l’élite. À la suite de votre victoire à Saint-Étienne, le directeur-général de l’AJA Baptiste Malherbe déclarait à France Bleu Auxerre que vous seriez encore dans les parages la saison prochaine. C’est vrai ? Dans mon contrat, j’avais une clause de prolongation d’un an si on montait en Ligue 1. Bon, maintenant, j’aimerais avoir un peu plus que ça, donc je vais devoir discuter avec les dirigeants. La différence avec l’époque où j’étais monté avec Troyes en 2015, c’est que le club était alors presque en faillite. On s’est retrouvés avec très peu de joueurs et donc au mois de novembre, j’ai dit à (Daniel) Masoni (président de l’ESTAC, NDLR) : « Tu gardes mon contrat et moi je me casse. » Quand j’étais à Brest, on était quasiment montés et eux ne m’ont proposé qu’une année de contrat supplémentaire. Les ultras – qui étaient d’ailleurs tous mes amis – étaient fous de rage et disaient qu’on se foutait de ma gueule. Ça devait être à cause de mon tempérament, ça les faisait chier de voir Furlan, en tout cas, moi, j’ai refusé. Là, ce n’est pas pareil, la prolongation est écrite dans mon contrat. Il n’y a que l’attachée de presse, Constance, qui veut que je me casse. (Il se marre.)
Propos recueillis par Julien Duez