En avril 2012, à quelques jours de la finale de la Coupe de France contre l’Olympique lyonnais, vous aviez expliqué sur le plateau d’On n’est pas couché vouloir connaître votre limite, voir jusqu’où vous pouvez aller. Plus de trois ans après, où en êtes-vous ?
Je ne les connais pas encore. Tout simplement parce que je n’estime pas encore avoir été voir ce qu’il se passait plus haut. On m’en a donné l’occasion avec Clermont et Niort aujourd’hui, en Ligue 2, mais je reste convaincu que personne ne connaît ses propres limites. On ne peut pas changer une personne, c’est comme ça. Mais l’humain évolue, il peut en tout cas. Je sais que j’ai des efforts à faire. La remise en question est perpétuelle.
En début de saison, vous souligniez votre frustration face à « l’impression de pouvoir » pendant une rencontre. Ce sentiment est-il encore présent ?
Je pense qu’à la base, tout le monde est identique. Il y a simplement des jours où l’expression diffère, où on est plus expressif qu’un autre. On peut toujours mieux faire, c’est ce qui nous habite. Je suis frustré aujourd’hui, car j’ai l’impression qu’on ne donne pas le maximum dans l’approche des matchs, sur et en dehors du terrain. C’est une sensation désagréable.
En conférence de presse, on vous sent souvent dans la déception, dans le questionnement. Êtes-vous quelqu’un de malheureux ou de perfectionniste ?
Des questions, je m’en pose tous les matins. Sur plusieurs choses : le rapport à l’humain, aux mentalités, dans l’approche de mon travail. Après chaque séance, je me demande pourquoi tel exercice, qu’est-ce qu’il peut apporter concrètement à mon groupe. Il faut s’adapter, chaque jour, et ça, quel que soit l’âge. Je pense aussi que notre comportement, nos réactions varient en fonction de la région où l’on travaille, des mentalités que l’on rencontre au quotidien.
Justement aujourd’hui, à Niort, quelle est la mentalité ?
Attention, c’est une réaction qui a un gros côté personnel. La région est très calme, sans passion. Ce manque de passion peut jouer sur le travail au quotidien. Avec ce côté paisible, il y a plus tendance à se laisser aller. Ce sont des détails qui peuvent jouer sur la gestion et l’approche d’un collectif. Je pense que nous faire plus bouger de temps en temps nous ferait du bien.
Comment peut-on expliquer la différence entre le calme de votre région de travail et votre impulsivité ?
Il faut savoir que toutes mes réactions ne sont pas gratuites. J’agis toujours en fonction de mes raisons. Lorsque je sors de mes gonds, ce n’est pas gratuitement. Il faut savoir qu’avec Olivier (à la fin de la rencontre Niort-Sochaux en août dernier, une échauffourée avait éclaté entre Olivier Echouafni, le coach sochalien de l’époque, et Régis Brouard, ndlr), il ne s’est rien passé. Les images ont laissé penser que, mais non. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, tout est scruté, décrypté. Je suis une bombe de passion, je ne peux pas garder les choses pour moi. C’est ce qu’il s’est passé avec le journaliste après le match contre Dijon. J’aime tellement ce que je fais que parfois, ça joue sur moi. Le métier évolue aussi, il est compliqué, mais tout ça est tellement jouissif.
À la Coupe du monde de rugby, à la fin, c’est l’équipe la plus technique qui gagne. Au foot, c’est la même chose.
À quel moment de votre carrière vous avez décidé d’entraîner ?
Pendant ma carrière de joueur. J’ai souvent été capitaine dans les équipes où j’évoluais, donc j’avais un rapport privilégié avec l’entraîneur, mais aussi la curiosité, la passion, l’envie de comprendre. Je me suis souvent disputé dans ma carrière, car j’avais l’impression d’avoir en moi cette fibre de la responsabilité.
Un entraîneur vous a-t-il particulièrement marqué ?
J’ai connu durant ma carrière une vingtaine de coachs. Jean-Louis Gasset est un de ceux qui avait autre chose, un truc particulier. Je me reconnaissais dans sa philosophie, ses discours, son approche du foot, c’est un vrai passionné. D’autres avaient aussi des qualités techniques, d’autres tactiques.
C’est quoi l’idéal de jeu selon Régis Brouard ?
Sincèrement, c’est de gagner les matchs. Je suis habité par cette envie. Je travaille beaucoup autour de l’utilisation du ballon, les phases de transition, le temps de réaction. D’un côté, tu as le pan duel, agressivité, mais le plus important, ça reste le jeu. On l’a bien vu lors de la Coupe du monde de rugby. À la fin, c’est l’équipe la plus technique qui gagne. Au foot, c’est la même chose.
Vous consultez des entraîneurs d’autres sports ou des personnes d’autres milieux dans votre approche du métier ?
Je m’intéresse à tout, je lis beaucoup. Que ce soit sur les chefs d’entreprise, les entraîneurs, les politiques. J’essaie de puiser au maximum dans tout ce que je peux trouver pour l’adapter ensuite au milieu du foot. C’est quelque chose qui me sert tous les jours.
Vos joueurs à Quevilly parlaient souvent de vous comme d’un homme de vestiaire. Avez-vous le sentiment qu’une phrase, une parole, peut faire basculer une rencontre ?
Tout ça, c’est la sensation du moment. Dans un vestiaire, un entraîneur peut avoir un impact positif comme négatif sur le groupe. Il faut être précis sur la teneur des mots utilisés, car l’impression d’un coach peut être différente de celle des joueurs. On peut se planter, mais quand on se comprend, là on peut changer les choses.
Le quotidien d’un entraîneur, c’est avant tout être dans le dur, l’apothéose est rare.
Est-ce seulement une histoire de mots ou le facteur chance a une importance plus grande encore ?
Dans tous les cas, la notion de chance reste en grande partie présente. On peut mettre en place un tas de choses sur le plan tactique, technique, physique, mais la chance est bien réelle. Le foot est avant tout un milieu humain, l’osmose est indispensable. À Quevilly, oui, c’était notre force, car je connaissais tout de la vie des joueurs, il y avait une réelle relation de confiance. Et quand ça marche, c’est tellement fort.
La différence majeure entre le foot amateur et le foot professionnel ne se situe-t-elle pas là finalement ?
Il y a une différence. Dans le monde pro, les joueurs pensent avant tout à leur carrière individuelle, au trophée et à gagner de l’argent. C’est un fait. En amateur, il faut accepter d’autres choses, c’est différent. Il faut travailler les choses d’une autre façon.
De vous, il y a aussi cette image du match contre Rennes en quart de finale de Coupe de France où, suspendu dans les tribunes, vous semblez transcendé par ce qu’il se passe sous vos yeux. Comment expliquer un tel état ?
C’est difficilement explicable, c’est simplement à vivre. Le quotidien d’un entraîneur, c’est avant tout être dans le dur, l’apothéose est rare. C’est assez indescriptible au final. L’homme n’est même pas conscient de l’état dans lequel il est à ce moment là, c’est une sorte d’état second que l’on ne peut pas expliquer. Les personnes extérieures peinent souvent à le comprendre. C’est l’histoire de notre quotidien : on recherche l’adrénaline, mais elle nous fait faire autant de mal que de bien.
Vous êtes comment hors foot ?
Quelqu’un de plus calme, mais des choses m’exaspèrent tout autant. Je suis quelqu’un de beaucoup plus apaisé avec l’âge même si, au fond de moi, il y a cet écorché vif.
Êtes-vous un homme heureux ?
Non. Je pense que personne ne peut expliquer qu’il est vraiment heureux. La question qui se pose est seulement de savoir si cela peut exister.
Ma carrière aurait pu être meilleure. Mais ce n’est pas la faute des autres, c’est seulement la mienne. Je n’écoutais que mon conseil.
À plusieurs reprises vous avez expliqué ne jamais prendre compte du passé. Arsène Wenger expliquait la même chose il y a quelques jours. Comment peut-on expliquer cette approche radicale ?
On fait un métier de l’immédiat et de l’avenir. On avance sans réelle certitude, on n’a pas de stabilité professionnelle, pas de stabilité affective, pas de stabilité sociale. On ne peut pas avancer avec le passé, seulement avec le présent. Mes journées sont de l’actualité. Je n’ai aucune photo du passé, aucun article du passé et aucun maillot du passé.
Ce caractère vient-il de votre passé de joueur où vous avez joué au centre de formation d’Auxerre avec des caractériels comme Cantona ou Boli ?
Vous savez, quand, à 14-15 ans, on doit quitter ses parents et qu’on arrive dans cette jungle… Auxerre était à l’époque le meilleur centre de formation en France. La part de déchets à la sortie est énorme et, lorsque l’on n’est pas conservé, l’impact psychologique est terrible sur l’enfant. Pourtant, quand on arrive, on a tous le même objectif.
À ce moment-là, vous auriez pu partir ailleurs que dans le foot ?
Non, à aucun moment. On a des regrets oui, j’ai fait souvent des choix sous l’impulsion humaine. On m’a souvent conseillé d’être patient, mais je ne supporte pas d’attendre. Ma carrière aurait pu être meilleure. Mais ce n’est pas la faute des autres, c’est seulement la mienne. Je n’écoutais que mon conseil.
Même à Montpellier ?
J’ai toujours une déception quand j’évoque mon passage à Montpellier. On m’a donné la possibilité de m’exprimer au niveau professionnel, j’ai joué avec des grands joueurs, mais je n’en ai pas pris la pleine mesure. Je suis frustré par rapport à ce club, ces gens qui y travaillent et qui sont passionnés comme nulle part ailleurs. Je n’ai pas fait ce qu’il fallait.
Ce sentiment explique-t-il votre déception permanente après les matchs ?
On se pose toujours la question, savoir si l’on n’a pas manqué quelque chose. Je ne suis pas quelqu’un de négatif, mais quelqu’un d’objectif. C’est très compliqué de fédérer un groupe. Il y a les discours et les actes. Le rapport humain est très complexe. Les gens ne comprennent pas toujours, mais les joueurs nous jugent aussi, sur notre parole, nos compétences. On est dans l’adaptation, en permanence. On doit souvent faire l’état des lieux. On ne change pas, mais l’épreuve humaine est continuelle.
Avez-vous le sentiment de déranger aujourd’hui ?
Je ne sais pas et à vrai dire, je ne me pose pas la question. Il y a ce qu’on est vraiment et l’image que l’on dégage. Je ne juge pas. Il se dit des choses, beaucoup, mais j’ai envie de rester moi-même. Je suis comme je suis, c’est comme ça.