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Jan Koller à l’AS Cannes : un chassé-croisette

Par Andrea Chazy
Jan Koller à l’AS Cannes : un chassé-croisette

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Ce 55e épisode est l'occasion de se rappeler le passage remarqué de Jan Koller à l’AS Cannes entre janvier 2010 et mai 2011. Récit d’une folie des grandeurs.

Nul ne sait encore si Jeremain Lens, arrivé cet été à Versailles en provenance de Beşiktaş, disputera ses premières minutes en National 1 au stade Jean-Bouin face à Bourg-Péronnas ce vendredi soir. Le troisième échelon du foot français n’avait pas vu un CV aussi ronflant que celui de l’international néerlandais, qui compte 34 capes avec les Oranje, depuis près de douze ans. Depuis que l’AS Cannes, qui cherchait coûte que coûte à retrouver la Ligue 2, était parvenu à attirer dans ses filets un certain Jan Koller.

Une star à Cannes

Le 16 janvier 2010, le teaser vidéo d’avant-match entre l’AS Cannes et Bayonne détonne. Sur la pelouse du stade Pierre-de-Coubertin, sur l’aire de Song 2 du groupe anglais Blur, Jan Koller appelle les Cannois à braver le froid sur les coups de 18h30 pour assister à sa première devant son nouveau public.

Avec son tee-shirt noir et un blaser sur les épaules, Koller a la dégaine d’un mec qu’il ne faut pas emmerder. Encore moins lorsqu’on joue au ballon rond et que l’on est défenseur : au Borussia Dortmund (79 buts en 184 matchs) comme en équipe nationale (55 buts en 91 capes) dont il est toujours le canonnier le plus prolifique, Jan Koller a démontré plus d’une fois qu’il savait viser le petit espace entre les deux yeux. Pourtant, c’est dans un français aussi hésitant que touchant que le tueur à gage tchèque déclame ses premiers mots à l’intention de ses nouveaux fans : « Rendez-vous 18h30 pour le match AS Cannes-Bayonne. » Une phrase que n’importe quel amateur de foot, ou presque, n’aurait pu imaginer venant de la bouche d’un buteur respecté partout sur le Vieux Continent.

Jusqu’à ce qu’il arrive et qu’il descende les escaliers un samedi matin, je n’y croyais pas.

Pour comprendre comment Koller a atterri à Cannes, il faut revenir quelques mois en arrière. En 2009, l’AS Cannes voit l’homme d’affaires Saïd Fakhri reprendre le club avec l’ambition, et les moyens qui vont avec, de permettre à l’AS Cannes de retrouver sa place dans le monde professionnel. Fakhri est né au Sénégal, de parents libanais. Il considère la France comme « son pays d’adoption », même si c’est bien au pays des Lions qu’il a fait fortune grâce à la société qu’il a fondée, la SAF Industries (Savonnerie africaine Fakhri). Au Sénégal, il est connu dans le milieu du foot en tant que président de la Fédération sénégalaise de football, poste qu’il a occupé entre 2003 et 2005. Dès son arrivée sur la Côte d’Azur, il nomme l’un de ses deux fils, Ziad, qui alors 27 ans, président du club. Comme son père, Ziad est ambitieux. Au mois de juillet 2009, alors qu’il lit L’Équipe en buvant un café, il tombe sur une interview de Jan Koller qui dit vouloir « jouer à Nice ou à Cannes ». Ce n’est un secret pour personne : même s’il évolue alors en Russie, du côté du PFC Krylia Sovetov en première division, la vie méditerranéenne manque à Koller.

Le bomber avait déjà goûté au soleil du sud de la France entre 2006 et 2008, lors de son passage à l’AS Monaco, où il y possède toujours un pied-à-terre. Ziad Fakhri saute sur l’occasion : « J’en ai parlé à Albert Emon, le coach, en lui demandant si ça pouvait l’intéresser. Il m’avait répondu : « Mais il ne sait même dans quelle division on joue ! Mais sinon, bien sûr ! Qui refuserait une telle arrivée ? » » Grâce à l’international sénégalais Sylvain N’Diaye, que connaît bien Ziad Fakhri, le président réussit à entrer en contact avec Pavel Paska, l’agent tchèque de Koller, qui l’invite rapidement à passer par Bruno Satin pour convertir l’essai. « Bruno a été top, rejoue aujourd’hui l’ancien boss du club. Le joueur était sous contrat en Russie jusqu’en novembre, mais il était convenu qu’on se reparlerait à la fin de celui-ci. J’avais peur qu’il ait beaucoup de propositions, mais en décembre, Bruno me rappelle en me disant qu’on se voit à Cannes avec lui, Koller et son agent tchèque. Jusqu’à ce qu’il arrive et qu’il descende les escaliers un samedi matin, je n’y croyais pas. »

Monsieur Koller

Le 4 janvier 2010, le rêve devient réalité : Jan Koller s’engage pour 18 mois à l’AS Cannes, alors 13e de National, malgré l’intérêt de clubs allemands ou chinois. « On l’avait appris dans la presse. On était là, un peu étonnés, on voyait son palmarès, c’était un truc de fou, se marre douze ans plus tard Jérémy Gavanon. L’ex-portier de l’OM, reconverti aujourd’hui dans le coquillage avec son frère Benjamin, gardait les cages du club azuréen au moment où Koller a posé ses valises « pour de vrai » . « En fait, on ne savait pas qu’il habitait toujours à Monaco. Le premier entraînement, on était presque gênés. Jan Koller, c’était un monsieur : de par ce qu’il avait fait dans le foot, mais aussi son charisme… Pour pas mal de jeunes qui n’avaient pas connu le haut niveau dans l’effectif, c’était impressionnant. » Au quotidien, Jan Koller se tape deux heures de bagnole pour faire l’aller-retour pour aller à l’entraînement. Passé les premiers jours, il se fond peu à peu dans un effectif jeune qui compte alors dans ses rangs Gavanon ou Éric Bauthéac. Vincent Di Bartolomeo, son capitaine de l’époque, n’a rien oublié des premiers pas de la bête. « Dans ma carrière de footballeur, j’ai deux souvenirs : une montée en Ligue 2 avec Créteil et d’avoir joué avec Jan Koller, pose l’actuel entraîneur de la réserve de Créteil. Jan était quelqu’un d’extra, de timide un peu aussi, mais ça ne nous empêchait pas de le chambrer un peu. On lui volait ses chaussures, le gars faisait du 49 et demi, et on faisait les clowns avec. Ça le faisait marrer, on était des gamins. »

Jan était quelqu’un d’extra, de timide un peu aussi, mais ça ne nous empêchait pas de le chambrer un peu. On lui volait ses chaussures, le gars faisait du 49 et demi, et on faisait les clowns avec.

Durant ses dix-huit mois à l’AS Cannes, Koller n’a jamais déçu tant sur le terrain qu’en dehors. « Jan, sur le terrain, c’était un Golgoth, continue Di Bartolomeo. C’était impossible pour les défenseurs de lui prendre le ballon. Je l’ai vécu à l’entraînement : je faisais 85 kilos et pourtant, je n’y suis jamais parvenu. » Dans l’équipe joueuse d’Albert Emon, Koller brille aussi bien du crâne que des pieds. Malgré des défenseurs rugueux, qui n’hésitent pas à vouloir se payer la star du National. « En match, les mecs lui rentraient dedans, lui mettaient des coups, et les arbitres n’ont jamais sifflé pour lui, regrette l’ex-capitaine cannois. Une ou deux fois seulement, il s’est agacé. » Comme en février 2010, lors d’un match à Évian (0-0), où il reçoit l’unique carton rouge de sa carrière avant la mi-temps. « Je crois que c’était Aldo Angoula face à lui : il faisait l’ascenseur, il lui rentrait dedans… Ils avaient compris que l’arbitre ne sifflerait jamais. Finalement, il avait pris quatre matchs de suspension. » Une sanction qui reste comme le seul écart du buteur, alors âgé de 37 ans, qui aura inscrit 20 buts en 45 matchs chez les Dragons. « Au niveau de la vitesse, c’est vrai qu’il faisait son âge, reconnaît Albert Emon. Mais pour le reste, c’était un grand professionnel et surtout un charmant garçon. »

Station-service, Nedvěd et Rocher

C’est peut-être cela, en fin de compte, qui caractérise le mieux le passage de Koller à Cannes. Au-delà du champion, c’est l’homme timide et prêt à se mettre au service du collectif qui reste dans les mémoires. Car même si sa maîtrise du français et la distance ne lui permettaient pas de participer aux bringues de Jérémy Gavanon et consorts, il parvenait quand même à se faire apprécier de tous. « Il venait, il s’entraînait, il repartait, expose son ancien portier. Ce n’était pas du tout le joueur farfelu par excellence, mais c’était rigolo de voir ce gars qui mesure 2 mètres dans le car quand on faisait des déplacements de 12 heures pour aller à Bayonne. » Pour Ziad Fakhri, c’est un autre trajet dans un monstre d’acier, lors d’un déplacement à Niort, qui est bien imprimé : « Au retour, on s’était arrêté à une station service pour que les joueurs se ravitaillent en biscuits, en boissons. Moi, je fumais avec Albert Emon devant le car. Là, il me tape sur l’épaule en me disant : « Regarde ! » Jan était le seul à aller chercher tous les plateaux repas dans le bus pour aller les jeter à la poubelle. Il était 2-3h du matin. » Un état d’esprit qui ne surprend pas Gavanon, qui ajoute : « C’était l’un des seuls qui ne se plaignaient jamais alors qu’on s’enquillait de longs déplacements, on jouait dans des stades champêtres… Lui, alors qu’il a joué des Coupes du monde, il ne bronchait jamais. Il était dans son coin tranquille, avec son ordi et ses films. »

Avec l’AS Cannes, Koller aura connu deux échecs. Premièrement, il n’a pas réussi à offrir la fameuse accession en Ligue 2 lors de la saison suivante en 2010-2011. Derrière un quatuor costaud formé par Bastia, Amiens, Guingamp et Strasbourg, l’AS Cannes a échoué à retrouver l’antichambre de l’élite malgré lui. Plus grave encore, Koller n’aura pas non plus réussi à convaincre son meilleur pote, Pavel Nedvěd, de venir le rejoindre malgré le gegenpressing de son président. Une fenêtre s’était ouverte lors du jubilé de Luis Fernandez, au stade de Coubertin le 28 février 2011. Nedvěd dort alors chez Koller à Monaco, car il participe aux festivités en compagnie de Zizou et de tant d’autres. Ziad Fakhri tente le tout pour le tout : « Au départ, le projet était de faire signer Jan et Sylvain Wiltord. Au dernier moment, Wiltord va en Ligue 2 à Metz, et il y a ensuite l’idée Nedvěd qui me vient. Quand il est venu au jubilé de Luis, j’avais préparé des maillots pour tous ses enfants avec leurs prénoms et son numéro fétiche, le 11. On avait essayé avec mon père de le convaincre, il n’aurait dû faire que les matchs. Mais de ce que Jan m’avait expliqué, c’est que la femme de Nedvěd n’était pas d’accord pour qu’il fasse des aller retours tous les week-ends pour les matchs depuis Turin. »

Avec son agent, ça bloquait au niveau du salaire, et Jan ne comprenait pas pourquoi ça tardait. Un jour, après l’entraînement, il m’a rejoint dans mon bureau après sa douche. Il m’a demandé quel était le problème. Je lui ai expliqué, il m’a regardé et m’a dit : « Contrat ».

Si reformer l’incroyable duo tchèque est resté à l’état de rêve, il n’aurait pas été impossible de voir Koller continuer. À l’été 2011, à l’issue de son contrat, le président Fakhri et lui étaient tombés d’accord pour continuer à faire un bout de chemin ensemble. « Avec son agent, ça bloquait au niveau du salaire, et Jan ne comprenait pas pourquoi ça tardait. Un jour, après l’entraînement, il m’a rejoint dans mon bureau après sa douche. Il m’a demandé quel était le problème. Je lui ai expliqué, il m’a regardé et m’a dit :« Contrat ». Je ne voulais pas le faire signer sans l’accord de son agent, mais il insistait :« Donnez-moi le contrat, je signe. »Il voulait continuer, mais il s’est arrêté, car physiquement, il avait un problème de santé et il est finalement parti jouer avec l’une des équipes réserves de l’ASM. » Cet été-là, Cannes fut relégué en National 2 par la DNCG pour ne pas avoir équilibré les capitaux propres à temps, et ce, malgré un avis favorable donné quelques jours plus tard par le CNOSF. Et Koller, lui, est retourné sur son Rocher qu’il aime tant.

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Par Andrea Chazy

Tous propos recueillis par AC.

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