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« J’ai été le premier chocolat noir à jouer pour l’Allemagne »

Propos recueillis par Sophie Serbini, à Gelsenkirchen
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Avec près de 300 matchs disputés sous les couleurs de Schalke 04 et 43 avec la Mannschaft, Gerald Asamoah est une légende dans la Ruhr et même au-delà. Premier joueur né de deux parents noirs à avoir évolué avec la sélection, l'ancien attaquant est aujourd'hui, à trente-sept ans, un des footballeurs allemands les plus engagés sur le plan social. À Gelsenkirchen, où il entraîne les U15, « Asa » revient sur ses années en bleu roi et dresse le portrait de l'Allemagne actuelle.

Vous avez joué à 43 reprises pour l’Allemagne. Vous êtes finaliste du Mondial 2002 et 3e en 2006, mais vous ne gagnez rien, dans un pays qui ne donne d’importance qu’au trophée. Comment l’analysez-vous ? Quand l’Allemagne va à la Coupe du monde ou à l’Euro, il n’y a qu’un seul objectif : gagner. En 2001, quand je suis arrivé, nous n’avions pas une bonne équipe, nous avions eu du mal à nous qualifier. Au Mondial, dans notre poule, il y avait l’Irlande, le Cameroun et l’Arabie saoudite. Personne en Allemagne n’attendait quoi que ce soit de nous. Nous non plus d’ailleurs. Nous voulions juste aller le plus loin possible, c’est tout. Et c’est là que tu te rends compte que l’Allemagne est vraiment une équipe de tournoi. Sur place, nous avons vraiment bien travaillé, et après le match contre le Cameroun, qui était très compliqué, nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire. Il y avait la pression, mais nous croyions tout de même en nos chances.

Dans mon tout premier club, j’arrivais tellement en retard aux matchs que la première mi-temps était déjà finie ! Mais pour moi, c’était normal !

Est-ce que vous avez été conquis par cette mentalité de gagneur quand vous êtes arrivé en Allemagne ? C’est en tout cas ce qui m’a aidé à m’intégrer ici. Quand je suis arrivé du Ghana, j’étais vraiment à la coule. Je le suis toujours, hein, mais avant, j’arrivais en retard, j’oubliais de faire des choses, tout m’était égal. Mais ce n’est pas compatible avec la mentalité d’ici. Pour m’intégrer, il fallait que je change certaines choses dans mon quotidien. Dans mon tout premier club (un petit club de Hanovre, ndlr), j’arrivais tellement en retard aux matchs que la première mi-temps était déjà finie ! Mais pour moi, c’était normal ! Avec le temps, j’ai compris que je devais avoir des objectifs et m’y tenir. J’étais plutôt pas mal en foot, et quand j’ai commencé à Hanovre 96, tout était si différent ! Quand tu arrives en retard, tu dois payer une amende, si tu fais quelque chose de travers, tu payes une amende. Petit à petit, j’ai compris que le plaisir était une chose, mais qu’il fallait que je devienne plus sérieux. Non seulement pour mon travail, mais aussi pour mon quotidien, ici, en Allemagne, pour m’intégrer du mieux possible. Et mes différents coachs m’ont beaucoup aidé. Je suis toujours le gars qui s’amuse, mais sur le terrain, j’ai appris à tout donner.

Quand vous êtes arrivé en provenance du Ghana au début des années 90, vos parents étaient déjà en Allemagne depuis longtemps, puisque votre père, journaliste, était assez critique envers le pouvoir en place. Comment avez-vous vécu la distance avec vos parents pendant votre enfance ?Quand mes parents sont partis pour l’Allemagne, j’étais très jeune, j’avais deux ou trois ans. Je ne me rappelais pas d’eux, je ne les connaissais que par photos, et on se téléphonait parfois. À l’époque, au Ghana, c’était très difficile de s’appeler. Il fallait que je fasse quelques kilomètres pour me rendre dans un call-center, et mes parents m’appelaient de là le soir, de temps en temps. J’habitais avec ma grand-mère, qui jouait à la fois le rôle de mes parents et de mes grands-parents, et elle a tout fait pour que j’aille du mieux possible.

Par exemple ? Mes parents étaient loin, ma grand-mère et mes proches, c’était tout ce que j’avais. Elle a tout fait pour qu’on ait deux repas par jour, ce qui était déjà un luxe dans le village où nous vivions. Quant à ma relation avec mes parents, c’était bizarre, parce que, d’un point de vue physique, ils n’étaient pas là. C’étaient juste des gens que j’avais au téléphone. C’est pour ça que c’était un peu difficile quand je suis arrivé en Allemagne.

Comment imaginiez-vous l’Europe ?Pour moi, c’était comme un catalogue de chez Otto (équivalent allemand des 3 Suisses ou de La Redoute, ndlr). Quand ma mère venait au Ghana, elle ramenait un catalogue avec elle, et on passait des heures avec mes copains à regarder le catalogue au village. Des manteaux d’hiver, des jouets… C’était notre image de l’Allemagne. Mon but était de connaître un jour le pays de ce catalogue. En Afrique, tout le monde veut aller en Europe, soi-disant parce que c’est mieux. Et j’avais la chance que mes parents y habitent. Au village, tous les enfants avaient fait des croix sur le catalogue pour les jouets qu’ils voulaient, et j’envoyais la liste à ma mère par courrier. Bon, je n’ai jamais rien reçu en retour, hein. Un jour, à l’école, j’avais une rédaction à faire, je devais raconter ce que mes parents faisaient dans la vie. J’ai dit que mon père dirigeait une banque et que ma mère était vendeuse, mais à vrai dire, je n’en savais rien. Et quand je suis arrivé en Allemagne et me suis rendu compte de ce que faisaient mes parents en réalité, je me suis dit que j’avais un peu exagéré. Mais c’était la vision que j’avais de l’Allemagne, de l’Europe et de mes parents. Mon père travaillait bien dans une banque, mais n’en était pas le directeur, et ma mère faisait des petits boulots. Mais au moins, j’ai pu voir de mes propres yeux ce qu’était ce fameux pays qu’on voit dans le catalogue.

Un jour, mes parents m’ont offert une paire de crampons. Je me disais que je ne pouvais pas jouer avec si tous mes camarades étaient pieds nus. Alors je les ai offerts à un ami à moi, qui était un peu plus vieux et qui jouait en club.

Aller en Europe, c’était pour essayer d’avoir une carrière dans le football ?Pas du tout. Ma mère ne voulait pas que je devienne footballeur, elle voulait que je sois médecin, ce genre de métier. J’ai beaucoup joué au foot au Ghana, mais jamais en club. Ma mère me ramenait des ballons, je jouais avec mes potes dans la rue, après l’école, c’est tout ce que nous avions à faire de toute façon. Au Ghana, j’ai toujours joué pieds nus. Un jour, mes parents m’ont offert une paire de crampons. Je me disais que je ne pouvais pas jouer avec si tous mes camarades étaient pieds nus. Alors je les ai offerts à un ami à moi, qui était un peu plus vieux et qui jouait en club. Quand je suis arrivé en Allemagne, mes parents voulaient que je fasse des études en priorité. Mais quand j’ai découvert ce que c’était vraiment que le football sur une pelouse et avec des crampons…

Vous n’étiez plus vraiment un enfant quand vous êtes arrivé. Et à l’époque, il y avait aussi de grosses vagues de migration vers l’Allemagne…Quand je suis arrivé, je ne faisais pas vraiment attention à ce qui se passait autour de moi. J’essayais de trouver ma place. Je ne parlais pas allemand, je ne comprenais rien à ce qui se disait à la télévision. Par ailleurs, j’avais un petit frère que je ne connaissais pas, qui était né ici avant que j’arrive. Il avait six ans, il ne parlait pas anglais, ni le twi (une des langues nationales au Ghana). On communiquait par signes, puis il a appris l’anglais. J’étais jeune, je ne comprenais pas grand-chose à ce qui se passait. Lorsque je suis allé à l’école, ça a commencé à aller mieux. À la télévision, j’adorais regarder le matin des westerns en noir et blanc. On n’avait pas la télé au Ghana.

Vous êtes l’un des premiers joueurs à avoir deux parents étrangers et à ne pas être né en Allemagne, à avoir joué pour la Nationalmannschaft. En 2001, lorsque j’ai commencé à être sélectionné, j’étais le premier joueur noir à jouer pour l’Allemagne, enfin le premier chocolat noir. (Il tape sur son bras.) (Il y avait déjà eu des footballeurs métisses en équipe d’Allemagne notamment Erwin Kostedde, Jimmy Hartwig…, ndlr.) Et j’ai été accepté en tant que tel, ce qui fait du bien. Aujourd’hui, des « colorés » , il y en a plein, Boateng, Rüdiger. Ils sont nés ici, ils jouent pour l’Allemagne, c’est tout à fait normal et c’est tant mieux.

Il y a toujours eu du racisme, c’est juste qu’on a détourné les yeux.

Il y a quand même beaucoup de problèmes de racisme en Allemagne ces derniers temps. Beaucoup plus qu’il y a vingt ans, on dirait. Vous pensez que c’était différent à votre époque ?Il y a toujours eu du racisme, c’est juste qu’on a détourné les yeux. Avant, on n’en parlait pas, sauf s’il se passait quelque chose de grave. À ce moment-là, c’était partout dans la presse, c’était un thème important, et puis ensuite, ça disparaissait. Je sais que j’ai de la chance d’être connu. Mais je sais aussi comment ça se passe pour mes frères et sœurs, ou encore pour mes enfants parfois à l’école. C’est dans ces moments-là que tu te rends compte que le racisme se trouve sur le pas de ta porte. Ça arrive de temps en temps que mes frères et sœurs ne puissent pas rentrer en boîte. Ou bien que je sois à une fête foraine avec mes enfants et que le vendeur leur dise : « Vous, les noirs, vous ne pouvez pas acheter quoi que ce soit ici. » Quand je raconte ça aux gens autour de moi, ils ne me croient pas. Ils ne se l’imaginent pas. Mais si vous saviez…

Aujourd’hui, même les joueurs de l’équipe nationale sont pris à partie alors qu’en Allemagne, on respecte énormément les sportifs. On a pu le voir en mai avec les attaques répétées contre Jérôme Boateng notamment. C’est ridicule, quand on sait tout ce qu’il a apporté au football allemand… Et puis au-delà de Boateng, ça aurait pu être pour n’importe quel homme noir en Allemagne, un ouvrier par exemple. Lui aussi fait des choses pour l’Allemagne, il travaille ici et paye ses impôts.

Vous êtes resté douze ans à Schalke. Une période au cours de laquelle vous avez remporté deux Coupes d’Allemagne et vous avez été quatre fois vice-champion. Vous n’avez jamais vraiment cherché à partir pour aller gagner des titres. Vous comprenez les joueurs qui, de nos jours, partent de leur club de cœur ?C’est une question d’identification au club. Je suis arrivé au club à une période où une nouvelle ère commençait, avec ce stade ultra moderne. Sur le papier, on avait l’opportunité de faire de grandes choses, mais finalement, ça ne s’est pas fait. Mais au final, je me suis toujours dit : « Pourquoi partir ? Pourquoi laisser tomber quand je sais tout ce que j’ai ici ? » Schalke m’a tout donné. C’est vrai que lorsqu’on est joueur, on se dit : « Pourquoi ne pas aller ailleurs ? » Regardez Neuer : il vient d’ici, mais il est parti pour gagner des titres ailleurs. Au final, quand tu vois ce que tu peux gagner en titres ou en argent, c’est juste humain de penser à partir.

À l’époque où vous étiez joueur, on parlait beaucoup de la rivalité entre Schalke et Dortmund. Aujourd’hui, à l’étranger, quand on parle de rivalité en Allemagne, on parle plutôt du pseudo « Klassiker » , Bayern contre Dortmund. Les temps ont changé. Dortmund a beaucoup progressé ces derniers temps, à tel point que c’est devenu le challenger numéro un du Bayern. Aujourd’hui, à Dortmund, on est convaincu qu’on peut tout le temps battre Schalke. À mon époque, il fallait non seulement que tu battes Dortmund, mais que tu saches parfaitement pour quoi, pour qui tu le faisais. Pour les fans. Schalke-Dortmund, c’est LE match pour lequel tu dois tout donner. La « rivalité » entre Dortmund et le Bayern, le fan de Schalke n’en a rien à faire, même aujourd’hui. Pour lui, il n’y a qu’un seul rival. Il joue en noir et jaune. Même si Dortmund est meilleur en ce moment, les joueurs de Schalke savent qu’ils ne doivent rien lâcher. Tu dois gagner, pour les fans. Parce qu’après, c’est de la joie pure.

Je n’ai rien contre la ville de Dortmund. C’est juste que je n’aime pas le club, parce que je suis de Schalke. Et ils le savent, là-bas.

Vous les viviez comment, ces derbys ? (Il rit) C’est une question d’identification, encore une fois. À quel point tu considères que c’est important pour toi d’être dans un club comme celui-ci et comment tu vois le derby. À Dortmund, les gens savaient que c’était le genre de match qui me rendait complètement dingue, que je faisais n’importe quoi pour pouvoir gagner. Il y a des types avec qui j’étais en équipe nationale, avec qui je mangeais. OK. Mais sur le terrain, je ne les connaissais pas. Tu peux avoir un joueur qui aborde le match tranquillement, et un autre qui est complètement excité par l’enjeu. Je me situe plutôt dans la seconde catégorie. Je n’ai rien contre la ville de Dortmund. C’est juste que je n’aime pas le club, parce que je suis de Schalke. Et ils le savent, là-bas. À Gelsenkirchen, c’est grâce à mes prestations durant ce genre de rencontres que le public m’a adopté.

Vous aviez une préparation spécifique pour ces matchs ?Non, pas vraiment. Je buvais deux expressos avant, c’est tout.

Et les U15 de Schalke, dont vous vous occupez aujourd’hui, vous leur transmettez cet héritage ?Pas besoin. Ils savent ce que ça signifie de jouer ici. Dans les championnats de jeunes, ils donnent tout quand ils affrontent le BvB. Et quand ils gagnent et qu’ils vont au lycée le lendemain, tout le monde est content pour eux. Pareil pour nous : quand on gagnait, on allait en ville après. En revanche, quand on perdait, chacun s’enfermait chez soi.

Vous avez joué votre jubilé le 14 novembre dernier, soit le lendemain des attentats à Paris. Vous êtes arrivé sur le terrain de la Veltins Arena avec un drapeau français… Le soir même, je n’avais pas vu ce qui s’était passé, j’étais au stade pour les derniers préparatifs. Une fois qu’on a terminé, je suis allé à l’hôtel rendre visite à quelques joueurs qui étaient venus pour mon jubilé, on a bu quelques bières et on a regardé le match. Puis nous sommes allés manger avec Kevin Kurányi et d’autres à Düsseldorf, et puis quelqu’un m’a demandé si j’avais vu ce qui s’était passé à Paris. J’ai dit que non, et on m’a raconté. Ensuite, Manuel Neuer m’a appelé, et m’a dit qu’il ne pourrait pas venir le lendemain pour le jubilé, que lui et les autres joueurs allemands ne pouvaient pas quitter les vestiaires. Puis je suis rentré chez moi et quand j’ai allumé la télé, je me suis vraiment rendu compte de la gravité du truc. Le lendemain, dès 7 h du matin, j’ai dit aux dirigeants : « Écoutez, je comprends cette histoire de respect vis-à-vis de la France. Mais si on ne joue pas le match, si on abandonne, alors « ils » auront gagné. « Ils » auront eu ce qu’ils veulent. » Au début, ça devait être un truc de fou, je devais voler, il devait y avoir des feux d’artifice dans tous les sens, mais nous avons annulé beaucoup de choses pour ne pas effrayer les gens. Mais j’ai quand même voulu arriver par le ciel, avec un drapeau de la France en main. Je pense que c’était une bonne chose de le faire.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Sophie Serbini, à Gelsenkirchen

Schalke 04 - Bayern Munich, ce soir, 20 h 30

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