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Iran-Syrie : une alliance, deux footballs

Par Adrien Candau
Iran-Syrie : une alliance, deux footballs

Alors que l'Iran continue de s'affirmer comme l’un des alliés les plus fidèles du régime de Bachar Al-Assad, le chaos politique et sécuritaire syrien a bouleversé le fonctionnement de l'équipe nationale, qui doit composer avec une crise sans précédent. Un contraste saisissant avec l'Iran, dont la sélection, déjà qualifiée pour le Mondial russe, ne s'est pas aussi bien portée depuis de nombreuses années.

À l’aller, la rencontre entre l’Iran et la Syrie s’est jouée à Seremban, en Malaisie. Impossible pour la Syrie d’organiser le match sur son sol. Trop risqué. Pour les joueurs comme pour le public. Un exemple parmi d’autres de la situation inédite dans laquelle se trouve actuellement l’équipe nationale syrienne, obligée de délocaliser tous ses matchs. La faute à un contexte sécuritaire incompatible avec l’organisation de rencontres de football.

Les Aigles volent toujours

Pourtant, la Syrie s’accroche. Presque miraculeusement. À une journée de la fin des éliminatoires de la zone Asie, les Aigles de Damas ne sont qu’à deux points de la Corée du Sud et de la seconde place directement qualificative pour le Mondial russe. Un parcours qui relève de l’exploit, compte tenu des difficultés qui n’ont cessé de se mettre en travers de la route de la sélection. D’abord parce que certains joueurs considèrent qu’endosser le maillot syrien revient à soutenir les violences du régime de Bachar Al-Assad et ont décidé d’arrêter de jouer pour leur pays. Parmi eux, l’attaquant Firas al-Khatib (51 sélections jusqu’en 2011) ou encore le buteur du club saoudien d’Al-Ahli, Omar al-Somah (4 capes).

Ces deux-là ont pourtant fini par réintégrer l’équipe nationale en 2017, après plusieurs années d’absence. Même ceux qui ne sont pas ouvertement opposés au régime hésitent parfois à rejoindre la sélection, en raison du contexte sécuritaire syrien. Pour préparer son déplacement en Chine le 6 octobre dernier dans le cadre des éliminatoires, la Syrie avait ainsi organisé un rassemblement de trois jours à Damas. Mais sur les vingt-trois joueurs convoqués, seuls huit avaient répondu présent. Ce qui n’a pas empêché certains cadres manquant à l’appel de se rendre ultérieurement en Chine, pour l’emporter 1-0.

« Les performances de l’équipe nationale iranienne épousent les évolutions politiques du pays  »

Alors que l’équipe nationale syrienne doit batailler avec un contexte politique tourmenté, la sélection iranienne évolue elle dans une atmosphère bien plus apaisée. Et profite sans doute de l’ouverture relative prônée par le camps des modérés dont le leader, Hassan Rohani, a été réélu en juin président de la République islamique après un premier mandat, de 2013 à 2017. « En Iran, les performances de l’équipe nationale ont souvent épousé les évolutions politiques du pays » , relève Christian Bromberger, ancien directeur de l’Institut français de recherche en Iran. « Aujourd’hui, l’équipe nationale s’est qualifiée pour le Mondial, en n’enregistrant aucune défaite. Et le facteur le plus marquant ces dernières années, c’est l’internationalisation des joueurs, qui fait écho à la politique d’ouverture de Rohani vis-à-vis du monde extérieur. »

Onze des 23 joueurs appelés dernièrement par le sélectionneur Carlos Queiroz évoluent ainsi à l’étranger. Une expatriation devenue nécessaire : le championnat local, bien qu’en progression depuis le début des années 2000, reste en effet miné par des décennies d’immobilisme, après que la révolution iranienne de 1979 a vu les conservateurs islamiques arriver au pouvoir. « Il faut comprendre qu’en Iran, le foot professionnel symbolise les valeurs du monde occidental : une montée de l’individualisme au sein du collectif, l’esprit de compétition… Il y a aussi le cas des stades, qui sont difficilement contrôlables et où peuvent s’exprimer les anti-régime. Donc quand les conservateurs arrivent au pouvoir en 1979, les clubs sont nationalisés et le championnat national remplacé par des championnats provinciaux. »

Une émancipation progressive

Un contexte peu propice à l’épanouissement du football local, comme à la progression des joueurs iraniens. À partir de 1979, la sélection traverse ainsi une période noire. Elle ne se requalifiera pour la Coupe du monde qu’en 1998, un an après l’élection du modéré Mohammad Khatami à la présidence. Sous son mandat, le football iranien entre officiellement dans l’ère du professionnalisme. « Là, on assiste à la privatisation d’un certain nombre de clubs, même si les deux plus importants, Persepolis et Esteghlal, restent très liés au gouvernement » , poursuit Bromberger. Le football redécolle enfin et même le retour des conservateurs au pouvoir, via Mahmoud Ahmadinejad, qui assume la présidence de 2005 à 2013, n’y peut plus plus grand-chose : « De toute façon, que le président soit conservateur ou modéré ne change rien au fait que le vrai tenant du pouvoir reste le guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, explique Bromberger. Et ce pouvoir-là, bien que très traditionaliste, est malin. Il sait bien que toucher trop au football ne le servirait plus aujourd’hui. »

L’arrivée aux affaires du plus mesuré Hassan Rohani en 2013 permet tout de même à la sélection iranienne de se donner encore un peu plus d’air vis-à-vis du camp conservateur : « À partir de 2013, il y a même eu un joueur irano-américain, Steven Beitashour, qui a été appelé à plusieurs reprises en sélection, relève Bromberger. Il y a aussi le cas de ces deux joueurs qui avaient été exclus de l’équipe nationale pour avoir accepté de jouer avec leur club contre une équipe israélienne et qui ont finalement été réintégrés et sont sélectionnables. Je ne pense pas que de telles choses auraient pu se produire sous Ahmadinejad. » Cependant, si la sélection iranienne peut se construire au sein d’un environnement plus stable que son homologue syrienne, le football iranien reste dans le viseur direct du pouvoir politique. « L’ensemble reste très contrôlé. Il y a par exemple une surveillance extrême au sein des stades, où les femmes n’ont encore pas le droit de se rendre, conclut Bromberger. Le football reste une fenêtre sur le monde extérieur, et le régime redoute toujours cela. »

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Par Adrien Candau

Propos de Christian Bromberger recueillis par AC

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