- Ligue des champions asiatique
- Persépolis-Kashima
Iran : « Je prie pour que ce ne soit pas le seul match que je puisse voir dans un stade »
40 ans qu’elles ne étaient plus autorisées à mettre le pied dans un stade, depuis 1979 et la révolution islamique du pays. Mais le 10 novembre dernier, environ 1000 femmes iraniennes ont pu assister à un match officiel pour la première fois, Persépolis-Kashima en finale de Ligue des champions asiatique. Farzaneh l’optimiste et Sahar la pessimiste étaient toutes les deux dans les tribunes.
Quand avez-vous appris que vous pourriez voir ce match de Ligue des champions asiatique ?Farzaneh : Environ deux semaines avant le match, j’ai appris que, peut-être, je pourrais être spectatrice. Alors en apprenant cela, j’ai continué à me tenir au courant, jusqu’à réussir à obtenir ma place. Sahar : Pendant plusieurs semaines avant le match, nous avons fait le maximum pour pouvoir y assister. Nous avons envoyé des lettres et rencontré plusieurs personnes. Tout se passait bien jusqu’à la veille du match, où l’on nous a appris que tous les efforts n’avaient servi à rien, et que notre présence ne serait pas acceptée. Seules quelques femmes, qui connaissaient les joueurs ou des personnes haut placées ont eu des places. Mais nous voulions vraiment être de la fête, donc nous avons tenté notre chance. Avec un groupe d’une centaine de femmes, nous sommes venues devant le stade aux alentours de 11 heures. Et après beaucoup de supplications, nous avons pu entrer, alors que le match en était à la 25e minute.
La plupart des femmes étaient sélectionnées par la Fédération donc. Comment avez-vous réussi à avoir une place ?F : Nous n’avons pas les infrastructures dans nos stades pour accueillir les femmes. (Les femmes ne pouvant se mêler aux hommes, il leur faudrait un espace réservé, N.D.L.R.)
Donc le gouvernement n’a pas d’autres choix que s’améliorer petit à petit. Ils essayent de commencer en limitant le nombre de femmes. Je pense que c’est déjà un très grand pas pour notre présence. Moi, j’ai pu y accéder, car j’étudie les stratégies de management dans l’organisation sportive à l’université.
Qu’avez-vous ressenti en entrant dans le stade ?F : C’était incroyable. Le sentiment que j’ai ressenti à ce moment-là était complètement inconnu. Je n’ai jamais ressenti quelque chose comme cela. S : Forcément très heureuse, mais surtout très émue.
Vous étiez dans un parcage spécial, uniquement composé de femmes. Quelle était l’atmosphère entre vous toutes ? F : Il y avait beaucoup d’énergie. Personne n’a arrêté d’encourager Persépolis en espérant qu’ils gagnent jusqu’à la dernière minute.S : Beaucoup de femmes pleuraient dans le stade ce soir-là. Elles étaient heureuses de voir que leur requête avait été acceptée, elles ne pensaient pas que cela aurait été possible avant des années.
Est-ce que vous êtes des supportrices de Persépolis, ou vous êtes venues parce que vous pouviez ?
F : À peu près toutes les femmes suivent le football en Iran. Alors ce n’est pas autant que les hommes, mais cela concerne vraiment beaucoup de personnes. Quelle que soit la manière, je supporte mon équipe. Je suis une supportrice de Persépolis depuis mon enfance. Je ne vais jamais à un endroit juste parce que je le peux. S : Je suis une très grande supportrice de Persépolis. Je regarde tous les matchs à la télévision. Deux de mes enfants jouent pour les équipes de jeunes. Mais beaucoup de femmes étaient là alors qu’elles ne sont pas des grandes amatrices de football, juste parce qu’elles se considèrent comme des êtres humains.
Persépolis a perdu la finale (2-0 au match aller, 0-0 au retour en Iran, N.D.L.R). Est-ce que la joie d’être dans le stade a pris le pas sur la déception du résultat ? F : Après toutes ces années, j’étais trop contente et exaltée bien sûr. Mais je suis une grande supportrice de Persépolis, donc j’aurais été encore plus contente si mon équipe n’avait pas perdu.S : Nous étions tellement contentes d’être dans le stade, que le résultat ne nous a pas déçues, d’autant que Persépolis a très bien joué.
Le foot en Iran est très politique. Le président actuel, favorable à l’entrée des femmes, a fait des meetings à l’intérieur de stades pendant sa campagne par exemple. Est-ce que votre venue était politique ? F : Je ne m’intéresse pas à la politique. Je ne connais pas tellement la relation entre le football et la politique. Je pense que si Monsieur Rohani a fait son discours dans un stade, c’est avant tout en raison de l’implication des personnes dans certains événements. Nous n’avons pas d’autres espaces d’accueil avec cette capacité.
Est-ce que ce match veut dire que, ça y est, les femmes vont pouvoir entrer dans les stades plus régulièrement ? F : Attendons de voir ce qu’il se passe dans le futur. C’était le premier pas. Je prie pour que ce ne soit pas le seul match que je puisse voir dans un stade, et je suis sûre que ça ne sera pas le cas. Je suis vraiment optimiste, ils vont laisser plus de place aux femmes. Je pense qu’ils n’ont pas le choix. Il faut suivre les règles pour les événements internationaux. S : Je pense que je n’aurai plus la chance d’entrer dans un stade à nouveau, sauf si la FIFA fait pression. Le seul espoir est un match international à très haut niveau, comme celui-ci, pour que la FIFA pousse. Sans cela, nous n’avons aucune chance d’y retourner.
Propos recueillis par Anthony Audureau