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Irak-Hong Kong, comme un parfum de révolution

Par Adrien Candau
Irak-Hong Kong, comme un parfum de révolution

Malgré l'ampleur inédite des soulèvements populaires qui secouent l'Irak et qui auraient fait autour d'une centaine de morts dans les rangs des manifestants depuis début octobre, le duel Irak-Hong Kong devrait bien avoir lieu à Bassora, ce jeudi. Un match pour le compte des qualifications pour le Mondial 2022, qui voit s'affronter deux nations plongées dans deux crises politiques majeures.

Depuis début octobre, Bagdad hurle. Chaque jour, des milliers de manifestants investissent les rues de la capitale pour manifester contre la précarité extrême, le chômage endémique, l’insécurité et la corruption généralisée de l’appareil d’État. Un gouvernement qui n’a pas hésité a faire usage d’une violence parfois extrême pour remettre la rue irakienne dans le rang, alors que la répression du mouvement de révolte en cours aurait déjà fait près de 100 morts chez les manifestants et plus de 4 000 blessés. Peut-on, dans ces conditions-là, organiser un match de football, comme celui qui doit se jouer à Bassora ce jeudi (la deuxième ville d’Irak, au sud du pays, N.D.L.R.) ? À en croire la FIFA, oui.

Bassora, l’insoumise

Alors que la contestation touche, outre Bagdad, les provinces de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Diwaniya et Babylone, elle trouve de fait une résonance populaire particulière à Bassora. La cité irakienne est à l’avant-garde de l’esprit révolutionnaire qui anime aujourd’hui de nombreuses régions du pays : dès l’été 2018, les rues de Bassora s’étaient soulevées, des milliers d’hommes et de femmes réclamant la fin de la corruption et l’accès à l’eau propre et à l’électricité, des protestations qui ont progressivement repris depuis l’été dernier. Et si l’Irak s’enflamme plus largement depuis début octobre, c’est en partie parce qu’aucune amélioration des conditions de vie n’a semblé accompagner l’arrivée au pouvoir d’Adel Abdel-Mehdi, nouveau Premier ministre depuis début octobre 2018.

Si la fracture entre la rue irakienne et la classe politique ne date pas d’hier, Abdel-Mehdi a vraisemblablement mis le feu aux poudres en écartant de ses fonctions le général Abdel Wahab Al-Saadi. Ce dernier, patron du contre-terrorisme, était un héros national de la lutte contre l’État islamique et avait notamment participé à reprendre Mossoul aux fondamentalistes religieux en juillet 2017. Pour ne rien arranger, certains observateurs avancent que l’éviction d’Abdel Wahab Al-Saadi serait pilotée en sous-main par l’Iran et plus spécifiquement par le Hachd al-Chaabi, une force armée composée de nombreuses milices chiites.

Les milices qui fâchent

« Ces milices n’ont pas beaucoup d’argent, pas beaucoup d’armes, pas beaucoup d’entraînement, mais elles reçoivent un soutien financier, politique et militaire de la part de l’Iran, mais aussi par le réseau de corruption en place » , expliquait récemment à L’Orient-Le jour Michael Knights, spécialiste des questions militaires et sécuritaires en Irak. Si le Hachd al-Chaabi aide les forces armées régulières à combattre le terrorisme islamiste, ses effectifs fournis et sa proximité idéologique et politique avec Téhéran inquiète de larges portions de la population irakienne. « Ces milices perçoivent parfois l’Iran comme un protecteur de l’État irakien » , décrypte dans les colonnes de L’Orient-Le jour Renad Mansour, spécialiste de l’Irak au Think Tank Chatham House. « L’Iran a été vu comme le premier acteur de la défense de l’Irak lors de « l’éveil » du groupe État islamique dans le pays en 2014, en fournissant au pays un soutien actif. »

« Il y a aussi un clivage en Irak dont on ne parle pas, mais qui est patent : celui entre civils et militaires expliquait aussi dans un article de Mediapart Myriam Benraad, chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans. S’il y a un rejet par la population des élites civiles, qui n’ont joué aucun rôle dans la guerre contre les djihadistes, l’armée demeure, en revanche, la seule institution traitée avec respect. Les milices, qui sont des forces liées à des partis politiques, ne sont dès lors pas bien accueillies, à la différence des militaires qui, eux, sont tenus en estime. »

Hong Kong, le stade de dissidence

Au milieu de ce chaos politique et sécuritaire, le football irakien ne peut qu’encaisser les coups, alors que la plupart des matchs du championnat national ont été reportés le week-end dernier. Et si la sélection devrait pouvoir tenir son rang ce jeudi, le hasard du calendrier veut que ce soit face à Hong Kong, également actuellement en proie à des manifestations massives visant l’autoritarisme croissant du pouvoir central chinois. Particularité de l’équipe nationale hongkongaise : la politisation de ses supporters, pour qui le stade constitue depuis longtemps une caisse de résonance de choix face à la Chine. Début octobre, la FIFA annonçait avoir infligé une amende de 120 000 dollars hongkongais (un peu moins de 14 000 euros) à la Fédération de football hongkongaise (Hong Kong FA). Cette dernière n’avait pas pu empêcher des supporters de la sélection hongkongaise de huer l’hymne national chinois (qui est aussi celui de Hong Kong) lors de la rencontre qui opposait leur équipe à l’Iran, le 10 septembre dernier.

Les fans hongkongais avaient également formé une chaîne humaine à la mi-temps, pour protester contre les pressions politiques de Pékin. Rien de nouveau sous le soleil : la Hong Kong FA avait déjà été sanctionnée financièrement par la Fédération internationale, alors que les supporters hongkongais avaient massivement conspué l’hymne chinois lors de matchs face au Bhoutan et aux Maldives en 2015. Ce qui n’empêche pas cet Irak-Hong Kong de ressembler à un drôle de match de football, alors que ce jeudi, à Bassora, les considérations sportives sembleront sans doute tenir de l’anecdotique.

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