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Il n’est jamais Trossard
Le Belge est devenu samedi dernier le troisième joueur de l'histoire à claquer un triplé à Anfield. À quelques semaines d'une Coupe du monde où il pourrait faire grand bruit, Leandro Trossard semble atteindre à 27 ans une maturité qui doit l'emmener très haut. Le tout après avoir pris le temps, étape par étape, patiemment. Portrait.
On ne touche pas au meilleur joueur belge de l’histoire. Avant le Qatar, les Diables rouges sont face à un dilemme ultime : faut-il envoyer Eden Hazard sur le banc au Qatar ? Le débat enflamme la Belgique, et Roberto Martínez est sous pression. Une pression qui s’accentue à cause d’un homme, prêt à prendre la couronne. Son nom : Leandro Trossard, auteur d’un fabuleux triplé à Anfield le week-end dernier (seuls Ndlovu pour Coventry et Arshavin pour Arsenal avaient réussi pareille performance en Premier League).
Trois buts en un match, soit autant que Hazard en Liga depuis deux ans. Malgré ça, le temps de jeu de Trossard avec la sélection reste bien loin de celui de son rival madrilène. « Il peut devenir un des titulaires avec les Diables rouges », confirme Philippe Clement, l’entraîneur de l’AS Monaco, son ancien coach à Genk. « Vous pouvez lui demander : je lui disais qu’il allait être le futur Hazard, promet Dieumerci Ndongala, coéquipier à Genk. Je l’appelais le Petit Prince. Je lui voyais vraiment beaucoup d’avenir. »
Pas le physique de l’emploi
Né à Waterschei, non loin des Pays-Bas, Trossard rejoint Genk à 15 ans. Il devra attendre ses 22 piges pour connaître sa première titularisation avec son club de cœur. Lommel (deux fois) et Westerlo en D2, puis Louvain en D1, Trossard a été prêté quatre fois ! Une des raisons qui ont retardé son décollage pourrait bien être les a priori subis au sujet de son physique. « Quand tu le vois, à première vue, tu ne te dis pas que c’est un joueur très technique, avec une bonne vitesse et qui va te mettre une frappe en pleine lucarne, fait remarquer Ndongala. Tu le sous-estimes, car il est nonchalant. »
2013. Après avoir disputé ses trois premières minutes avec Genk à 17 ans, Trossard part pour son premier prêt à Lommel. Il débarque en janvier, et ses nouveaux coéquipiers, à l’image de Jérôme Colinet, sont loin d’être convaincus. « J’avais pris une photo que j’avais envoyée à un ami en lui disant :« Voici notre futur attaquant ». Comme pour dire que ce n’est pas le gabarit qu’on recherchait pour la compétition… Je me suis bien trompé, avoue-t-il en repensant au mètre 71 de Trossard. On s’était un peu tous regardés en pensant qu’il n’allait pas apporter grand-chose dans le monde adulte. Ses aptitudes physiques n’étaient pas très hautes, il était petit, très léger. Dans l’impact, j’avais un peu peur. Mais dès qu’il a touché le ballon, on a compris. »
Zlatan, five et technique pure
Trossard plante 7 buts en 12 matchs. Prometteur. « Il a connu des hauts et des bas, tempère Stijn Vreven, son entraîneur à Lommel. Leandro cherchait la clé pour devenir un joueur adulte à part entière. » Vreven a encore en tête une entrevue avec lui. « On discutait de sa position sur le terrain. Je voulais qu’il joue à gauche. Il n’était pas d’accord et voulait jouer en 10. Il était vraiment en colère. Il a claqué la porte de mon bureau. Le match suivant, il marquait un triplé et donnait une passe décisive, comme ailier gauche. Le reste appartient à l’histoire. » Moins en réussite à Westerlo, Trossard retrouve Lommel, où il se sent décidément bien. 16 pions en 33 matchs de D2. « À son second passage, il était encore jeune, mais déjà plus convaincant », reconnaît Stijn Vreven. Trossard découvre enfin la D1 à Louvain. Loin d’être la recrue phare de l’été, il arrive sur la pointe des pieds. Une dernière année en prêt formatrice : il marque ses premiers buts (8) à ce niveau, et connaît la relégation. « Au début, on était un peu dur avec lui, rembobine Romain Reynaud. Pour lui faire comprendre certaines choses, notamment défensivement. Comme les footballeurs qui ont beaucoup de talent, il pensait que ce talent offensif suffirait. Sauf qu’il faut aussi défendre. Il s’est mis au diapason. » Le but zlatanesque claqué dès le mois d’août face à Saint-Trond marque les esprits.
« Footballistiquement, techniquement et dans l’attitude, c’est la classe, continue Reynaud, fan. Niveau talent pur, c’était impressionnant. Il était un peu la petite star. » Trossard commence à gagner son combat : convaincre les autres que son physique frêle peut être compensé par des qualités balle au pied. « À Liverpool, il met trois buts, les trois du pied gauche, fait remarquer Yohan Croizet, compère d’attaque à Louvain. Il ne l’invente pas d’hier ! (sic) C’est un joueur de five, il se régale dans les petits espaces. » C’est Flavien Le Postollec, autre coéquipier de Louvain, qui résume le mieux l’attraction Trossard : « À l’entraînement, je m’arrangeais pour être avec lui dans les exercices qui demandaient de la technique propre. On savait que si on lui donnait le ballon, il allait se passer quelque chose. » Ses coéquipiers de l’OH Louvain n’ont également pas oublié la solidarité de Trossard quand, en fin de saison, alors que Rudy Riou (l’ancien portier de l’OM) et Romain Reynaud sont en pleine polémique pour avoir parié sur des matchs, Trossard s’offre un triplé de passes décisives et une prestation cinq étoiles pour étriller Ostende (4-1) en n’oubliant pas de venir saluer ses coéquipiers incriminés à chaque but, en signe de solidarité, « pour dire qu’il était avec nous », se souvient encore Reynaud, « un gamin super appréciable ».
2018-2019, la déflagration
S’il apparaît déjà sur les radars anglais, Leandro Trossard ne veut pas prendre l’Eurostar. Déterminé à prouver à Genk, le voici enfin autorisé à entrer dans le groupe en 2016. Joueur de rotation, il découvre la Ligue Europa, mais est freiné par une blessure qui l’éloigne des terrains pendant trois bons mois en 2017. « Ensuite, il a bossé comme un malade », note Dieumerci Ndongala. Appelé par les différentes sélections de jeunes, cet adepte de PlayStation et de Fortnite commence pourtant à affoler l’Europe. On parle à l’époque d’Arsenal, Tottenham, Monaco, Dortmund… Vingt-cinq millions d’euros sont même proposés à l’hiver 2018. Sa fin de saison 2017-2018 est excellente.
Mais que dire de l’opus suivant, la première grande bascule de sa carrière. Auteur de 22 buts et 11 passes décisives (« Avec des buts de « fou malade » », dixit Croizet), Trossard enfile même le brassard de capitaine et emmène son club vers le titre de champion de Belgique ! « Il a été exceptionnel. Il avait vraiment confiance dans son jeu », prolonge Ndongala, encore épaté par ce triplé inscrit face au Cercle Bruges (5-2, 2018) : « C’était incroyable. Trois buts, deux en pleine lucarne, unemasterclassavec sa technique pure. Bruges était complètement perdu. Il a vraiment ce petit truc… Il arrive à se déplacer, à se faire oublier. Et quand tu l’oublies, c’est là qu’il fait très mal. »
Philippe Clement n’est pas étranger à cette progression. L’actuel coach monégasque « l’a aidé à mûrir son jeu, à franchir un palier par rapport à ce qu’il proposait avant, il croyait beaucoup en lui », estime Ndongala. Depuis la Principauté, Clement n’a rien oublié : « Leandro est un très grand joueur, reconnaît-il. Nous avions très bien travaillé ensemble à Genk. Il avait eu beaucoup de blessures, mais a ensuite joué exceptionnellement bien. C’est un bon technicien avec deux bons pieds. C’est vraiment un gagnant. » L’envol est inéluctable. Au coude-à-coude avec Aston Villa, Brighton empoche la mise en 2019 pour moins de 20 millions d’euros. Une première sélection avec la Belgique un an plus tard et une montée en puissance progressive avec les Seagulls, un peu à l’image de son parcours à Genk. « Je suis très heureux pour lui qu’il connaisse une évolution comme ça », apprécie Philippe Clement. Gilles Lentz, ancien coéquipier de Genk, enquille : « Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse une si grosse carrière, qu’il éclabousse la Premier League de son empreinte. »
« J’espère qu’il n’ira pas à Chelsea ! »
Le Belge a participé depuis à 107 matchs de Premier League sur 121 possibles, la preuve qu’il s’est mis au niveau pour résister et durer physiquement. « Je ne vais pas dire qu’il m’étonne d’année en année, mais pas loin, analyse Jérôme Colinet. L’Angleterre, on se dit que c’est un autre niveau par rapport à son physique, et il y fait son trou. À force de travail et de remise en question, il fait de bonnes choses… S’il continue comme ça, je ne suis pas sûr qu’il va rester longtemps à Brighton… » Philippe Clement, Graham Potter et désormais Roberto De Zerbi, Trossard c’est aussi peut-être avant tout des rencontres. « Je dis toujours que les joueurs sont uniques, mais il l’est parce que nous n’avons pas de joueur avec les mêmes attributs que lui », décryptait Graham Potter, depuis parti à Chelsea. Les Blues, prochaine étape pour Trossard ? Gordon Smith, dernier joueur auteur d’un triplé pour Brighton avant Trossard il y a 42 ans, a donné son avis à The Argus : « J’espère qu’il n’ira pas ! » Trossard pour marcher sur les traces de Hazard : quoi de plus logique ?
Par Timothé Crépin
Propos de Philippe Clément, Jérôme Colinet, Yohan Croizet, Dieumerci Ndongala, Flavien Le Postollec, Gilles Lentz, Romain Reynaud et Stijn Vreven recueillis par TC.