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Igor Akinfeev, il était une fois en Russie

Par Adrien Candau
Igor Akinfeev, il était une fois en Russie

Adulé en Russie, parfois moqué ailleurs en raison de ses performances inconstantes, Igor Akinfeev n'a pas fait mentir sa réputation lors des huitièmes de finale aller de C3, en se rendant coupable d'une sortie hasardeuse, qui a permis aux Lyonnais de l'emporter face au CSKA, à Moscou (0-1). Du grand classique pour un type voué corps et âme à Mother Russia. Et qui a presque logiquement tendance à tourner de l’œil quand l'Europe pointe le bout de son nez.

C’est une statistique qui en dit long sur le bonhomme. Le 22 novembre dernier, Igor Akinfeev mettait fin à une série historique. Alors que le CSKA s’impose deux buts à zéro en phase de groupes de C1 face au Benfica, le portier réussit à ne pas prendre de but en Ligue des champions pour la première fois depuis onze ans. Onze longues années, où il aura disputé 43 matchs dans la plus prestigieuse compétition européenne, en allant au moins une fois chercher la sphère au fond de ses filets à chaque rencontre.

Grandeur et décadence

Sans doute de quoi dégoûter à peu près n’importe quel gardien des joutes continentales. Pourtant, l’éternel portier du CSKA a initialement eu sa part de succès et de gloire en dehors des frontières russes. Il suffit de rembobiner sa destinée pour s’en rendre compte. Dix ans plus tôt, le 21 juin 2008, Akinfeev et la Russie éliminaient les Pays-Bas pour se qualifier en demi-finale de l’Euro 2008. À 22 ans, le dernier rempart de la Sbornaya, également vainqueur de la C3 avec le CSKA Moscou en 2005, a les gants chauds, la vie devant lui et une réputation alléchante de nouveau Lev Yachine. Mais aussi une belle brochette de clubs étrangers, surtout anglais, qui lui mangent dans la main pour tenter de lui faire quitter la Russie.

Sans succès. À chaque mercato, la réponse d’Igor est invariablement la même : « Niet. » À 25 piges, en 2012, le gardien décide de jouer cartes sur table une bonne fois pour toutes : « Demandez-moi si je veux quitter le CSKA. Je vous répondrai non. » Les dés sont jetés. Le temps passe, les modes aussi et le soufflé Akinfeev retombe. Désormais, les quelques fois où le portier fait parler de lui au-delà de la Russie, c’est rarement à son avantage. Son inhabilité à garder sa cage inviolée en C1 devient notamment un running gagqu’on ressort avec gourmandise du placard.

En sélection, tout va aussi de mal en pis : le Mondial 2014 d’Igor est cauchemardesque. Auteur d’une énorme cagade contre la Corée du Sud et d’une sortie complétement ratée contre l’Algérie, le portier coule à chaque rencontre, et la Russie rentre dès la fin de la phase de poules à la maison. Bis repetita à l’Euro 2016, où Akinfeev ne peut empêcher l’élimination des siens, qui terminent derniers de leur groupe. Pas terrible pour un futur Lev Yachine.

En 2013, Rinat Dasaev, l’ex-portier de l’URSS, avait sa petite explication sur la dés-évolution de son successeur : « Il était extrêmement prometteur, mais il n’a pas pu réaliser son potentiel. Il ne progresse plus depuis plusieurs saisons… C’est vraiment le moment pour lui de bouger à l’étranger… S’il ne le fait pas vite, il stagnera. » Cinq ans plus tard, c’est pourtant toujours la tronche d’Igor Akinfeev qu’on peut apercevoir dans les cages du CSKA. Une histoire de mauvais choix sportifs, donc. Mais des choix qui, aux yeux d’Igor, ne pèsent sans doute pas bien lourd face à un critère qui écrase tous les autres : celui de l’amour de son drapeau.

« J’allume une bougie et mon âme s’apaise »

S’il n’est plus aussi étincelant que dans ses jeunes années, Akinfeev reste une icône incontestée sur ses terres : élu neuf fois meilleur gardien de l’année en Russie par la presse nationale, fait chevalier de l’Ordre de l’amitié par Vladimir Poutine, il a également été nommé ambassadeur du Mondial 2018 par le comité organisateur de la Coupe du monde. Surtout, alors que seulement trois des 23 joueurs appelés pour les derniers matchs amicaux de la Sbornaya évoluaient à l’étranger, Igor personnifie mieux que quiconque ce football russe viscéralement enraciné sur ses terres. Et donc pas franchement obsédé par l’idée de partir chercher son bonheur ailleurs.

Un refus de bouger lié non seulement à l’amour de son pays natal, mais aussi à un rapport avec la religion et la spiritualité qu’Akinfeev avance ne trouver qu’en Russie : « Je sais qu’il y a des équipes très fortes, mais en vérité, j’aime le CSKA et la Russie… Je pense même que personne n’aime le CSKA plus que moi… J’aime l’âme russe, les paysages russes, je crois en Dieu, et je suis les préceptes de l’église orthodoxe… En fait, j’essaie d’aller le plus souvent possible à l’église, j’allume une bougie et mon âme s’apaise… Je ne pourrais pas retrouver ça en Europe. La vérité, c’est que même deux semaines de mise au vert en Europe me dépriment. » Au moins ça de pris pour l’OL, qui pourra toujours compter sur le mal du pays qui semble invariablement habiter le gardien russe dès qu’il pose le pied un peu trop loin de son berceau. Mais quelle que soit la fin de l’histoire entre Lyon et le CSKA ce jeudi soir, Igor Akinfeev sait sans doute déjà où il veut achever la sienne : chez lui, en Russie.

Par Adrien Candau

Propos d'Igor Akinfeev issus du livre The Outsider : A History of the Goalkeeper.

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