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Hughton : « Notre boulot n’est pas simple »

Propos recueillis par Maxime Brigand, à Brighton
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Revenu en Premier League l'été dernier sur le dos de Brighton, Chris Hughton vit un début de saison maîtrisé avec le promu malgré une série actuelle de cinq matchs sans la moindre victoire alors qu'il retrouve mercredi soir le club où il a passé la quasi-totalité de sa carrière de joueur et le début de sa carrière d'entraîneur : Tottenham. Entretien avec un silencieux devenu référence.

Le 28 septembre dernier, le Labour a tenu son congrès annuel à Brighton. Vous y êtes allé ?(Il sourit) Non, je n’y suis pas allé. C’est vrai que la majorité des gens sait désormais que je suis membre du Parti travailliste, mais quand vous êtes entraîneur d’un club de haut niveau, le football occupe toute votre vie. Forcément, je garde toujours un œil aux affaires politiques du pays, comme tout le monde. Je n’ai plus qu’un engagement naturel, citoyen, celui d’un homme normal qui souhaite le meilleur pour son pays.

Vous avez déjà discuté de ces questions avec Arsène Wenger ?Non, non… Les seules fois où vous voyez Arsène Wenger, c’est lorsque vous jouez contre lui, soit dans son rôle de manager et dans un espace-temps extrêmement réduit. La dernière fois que l’on s’est vus, c’était le 1er octobre dernier (lors de la victoire d’Arsenal 2-0, ndlr) et on avait surtout parlé de football ensemble, de la saison en cours, de joueurs, de l’avenir. C’était une bonne conversation, surtout pour lui parce qu’il était dans le camp du vainqueur.

Vous n’aviez plus connu la Premier League depuis trois ans. Qu’est-ce qui a changé le plus depuis votre départ de Norwich en avril 2014 ?La Premier League a changé, considérablement. Je pense que le plus gros changement de ces trois dernières années concerne le fossé hier fabriqué par les grosses équipes avec celles du milieu de tableau. Je parle d’économie et le fait que, désormais, les équipes qui ne font pas partie du top 6 dépensent aussi énormément d’argent sur le marché des transferts. Cela s’explique simplement par le fait qu’il y a une escalade financière énorme depuis quelques saisons. Le pouvoir d’achat des équipes – hors top 6 encore une fois – a augmenté. C’est le plus gros changement pour moi, mais aussi le plus gros défi car quand tu es promu aujourd’hui, tu dois aussi te battre avec des équipes de milieu de tableau qui sont plus riches que toi. Largement plus riches et mieux armées, forcément.

Ce n’est pas quelque chose hyper simple pour nous de débarquer dans ce monde. Pour nous, payer autant pour un transfert n’est pas habituel.

Cet été, Brighton a dépensé 15 millions d’euros pour un joueur, José Izquierdo, un record. Comment l’avez-vous vécu ?C’est difficile à accepter, et pour Brighton, c’est une somme énorme. Ce n’est pas quelque chose hyper simple pour nous de débarquer dans ce monde. Pour nous, payer autant pour un transfert n’est pas habituel, mais cela prouve que la valeur marchande des joueurs a augmenté : pour un même joueur l’an passé, on aurait certainement dépensé sept millions d’euros, même en Premier League. Tout ça s’explique en réalité par les sommets : Lukaku, Pogba, des supers joueurs, magnifiques, mais qui ont tout fait avancer avec eux… Cette saison est celle où le grand saut est le plus difficile à digérer.

Comment se passe le recrutement pour un club qui découvre la Premier League ?On a beaucoup travaillé, vraiment. On avait repéré pas mal de joueurs avant l’été et quand tu as été hyper performant en Championship, il y a deux stratégies : une en cas de montée, une en cas de maintien. Si l’on était restés en Championship, on n’aurait probablement pas beaucoup recruté. Notre stratégie a été la même avec la montée, mais elle nous a permis d’incorporer quelques nouveaux éléments parfaitement étudiés.

Beaucoup de choses ont évolué, certaines moins. Aujourd’hui, vous êtes toujours le seul entraîneur noir de Premier League. Vous avez l’impression d’être un porte-drapeau?Oui, tout à fait, mais c’est forcé. Beaucoup de gens m’en parlent. Il y a un gros déséquilibre entre les entraîneurs noirs – BAME – et les joueurs noirs, si vous voulez. La formation en Premier League prouve qu’on voit beaucoup de joueurs noirs, mais peu d’entraîneurs. Je suis fier de ça aujourd’hui, de ce rôle. Ce qu’on souhaite désormais : c’est que la Premier League soit plus ouverte (cette semaine, les représentants de la Football League se sont mis d’accord pour recevoir au moins un candidat issu d’une minorité pour le poste d’entraîneur, ndlr). Je pense que ça sera positif pour le football en général, que ce soit sur les bancs ou dans les boards.

Il y a quelques mois, Sol Campbell avait même affirmé être prêt à entraîner gratuitement…Ce qu’il doit se passer est simple : je pense que l’enthousiasme doit être suivi de changements. Quand on en parle avec les dirigeants, ils en sont convaincus aussi et ils cherchent des solutions pour faire avancer les choses. Je sens qu’il y a une volonté. Ensuite, il faudra franchir le pas, mais on est dans la bonne direction. C’est une idée de faire bouger les mentalités, mais c’est aussi la responsabilité de la Fédération de donner de la place aux jeunes entraîneurs noirs, c’est aux dirigeants de répondre.

Vous avez d’ailleurs suivi une formation il y a quelques années sur la façon de travailler des dirigeants, la gestion, durant votre période d’inactivité, qu’en avez-vous tiré ?Ce n’était pas la chose la plus importante à mes yeux, parce que quand on est entraîneur, c’est 24h/jour. J’ai suivi cette formation quand j’étais entre deux postes. L’idée était d’étudier le fonctionnement d’un board. C’était un programme pour comprendre le fonctionnement et développer l’intégration des BAME dans les directions. Ça m’a aidé à comprendre plus de choses, notamment sur la relation coach-dirigeants.

Parce que le boulot d’entraîneur a évolué aussi ?Oui, définitivement. En tant qu’entraîneur aujourd’hui, avoir des bonnes relations avec les dirigeants, le propriétaire, le CEO, est essentiel. Il y a quelques années encore, c’est des personnes qu’on voyait peu, très peu parfois.

Tony Bloom n’est pas un propriétaire invasif, il me laisse faire mon travail. Il ne m’appelle pas tous les jours, il comprend mon travail, ce que ça représente en matière d’investissements.

Vous avez travaillé avec Mike Ashley à Newcastle, Tony Bloom aujourd’hui, à Brighton. Quelle est la différence ?Le plus important est que Tony Bloom n’est pas un propriétaire invasif, il me laisse faire mon travail. Il ne m’appelle pas tous les jours, il comprend mon travail, ce que ça représente en matière d’investissements. Il m’a fait venir pour certaines raisons et il a toujours répondu à mes attentes. On a déjà ouvert cinq fenêtres de transferts ensemble et ça s’est toujours bien passé. Mais c’est son club, celui qu’il supporte depuis qu’il est enfant, donc il faut que ça marche, c’est normal.

Qu’avez-vous trouvé à Brighton que vous n’aviez pas trouvé jusqu’ici ?Déjà, j’ai trouvé en arrivant un club qui était prêt pour monter en Premier League. Regardez ce qui nous entoure, ces installations, le stade… mais on n’avait pas une équipe prête pour monter. Brighton a déjà connu la First Division, c’était important de le faire revenir. Maintenant qu’on y est, il faut rester et développer le club comme un club qui évolue régulièrement en Premier League.

C’était aussi la seule solution pour vous de retrouver un banc de Premier League, non ?C’est difficile aujourd’hui d’être un entraîneur anglais, c’est vrai. Les entraîneurs anglais qui veulent se faire une place doivent monter avec leur équipe. On l’a vu avec Sean Dyche, à Burnley, Eddie Howe, à Bournemouth, moi avec Brighton… C’est plus compliqué, mais il y a un changement, on le savait avec l’arrivée massive de propriétaires étrangers. Un jour viendra où tous les clubs seront dirigés par un propriétaire étranger. Un propriétaire étranger a une approche différente, une sensibilité différente. Je ne vais pas dire qu’il favorise un entraîneur étranger, mais pour lui, ça lui est égal en fait. C’est la raison principale. Après, on a de magnifiques entraîneurs aujourd’hui, probablement les meilleurs, ce qui rend la Premier League meilleure.
Si vous aviez la possibilité de vous installer là, quelques minutes avec un coach de Premier League, qui aimeriez-vous rencontrer ?(Il réfléchit, et sourit.) Aujourd’hui, le coach le plus passionnant est certainement Pep Guardiola, mais il n’a entraîné que des très grosses équipes comme le Barça, le Bayern, aujourd’hui City… C’est peut-être le plus intéressant aujourd’hui, mais il est différent de nous. Son travail est différent déjà, il a toujours géré la crème de la crème en matière de joueurs…

Son boulot est différent du vôtre ?En théorie non, en pratique oui. Ma pression est concentrée sur la Premier League, le maintien. Lui, il doit tout gagner : le championnat, la C1, les coupes… tout ! Et tactiquement, il est imprévisible.

Et difficile à décrypter ?Vous savez… C’est toujours compliqué de préparer un match contre une équipe qui concentre autant de qualités. C’est impossible de jouer contre City, par exemple, en étant ouvert de tous les côtés, en souhaitant faire le jeu, en étant offensif. Impossible. On a perdu 2-0 contre eux en début de saison. 2-0 seulement, et j’en ai probablement tiré plus de positif que de négatif en réalité. Ils en ont mis 6 à Watford derrière, 4 à Liverpool, 5 à Crystal Palace… On les a probablement joués au meilleur moment en fait.

Qu’est-ce qu’on dit à ses joueurs avant un match contre City ou un déplacement à Arsenal ?Normalement, vous devez avoir une stratégie défensive parce que vous savez automatiquement que vous n’aurez pas beaucoup le ballon et que le match va rapidement amener de la frustration, de l’impuissance. Mais si vous défendez pendant 90 minutes, vous allez le perdre dans 100% des cas. Il faut être capable d’être intelligent dans les contre-attaques, de savoir croquer nos temps forts, ce qu’on a fait dans les deux cas selon moi. On a eu des périodes où on aurait pu marquer et revenir dans le match. Mais une stratégie défensive est obligatoire.

Est-ce difficile d’imposer une stratégie défensive à des joueurs qui ont appris à gagner offensivement ensemble en Championship ?Dans un schéma tactique, il y aura toujours des joueurs plus offensifs que défensifs. Si l’on prend le cas d’Anthony Knockaert, par exemple, il sait qu’il aura des phases défensives dans son match, un rôle indispensable dans notre plan et il s’en sort bien. Pour un joueur offensif, il se sacrifie, une belle prise de responsabilités dans le collectif. Il faut trouver un équilibre.

Aujourd’hui, le coach le plus passionnant est certainement Pep Guardiola, mais il n’a entraîné que des très grosses équipes comme le Barça, le Bayern, aujourd’hui City… C’est peut-être le plus intéressant aujourd’hui, mais il est différent de nous.

Quel entraîneur vous a le plus influencé ?En tant qu’entraîneur, probablement Glenn Hoddle, et Martin Jol en tant qu’adjoint. J’ai beaucoup appris de Glenn et j’étais très proche de Martin. Ce sont mes deux influences principales. En tant que joueur, j’ai aussi beaucoup appris de Keith Berkinshaw avec qui on a gagné la FA Cup et la C3, à Tottenham.

Devenir entraîneur était une évidence ?Lorsque j’étais plus jeune, pas forcément, mais ensuite oui. Parfois, quand on regarde certains joueurs en tant qu’entraîneur, on peut se dire : « Tiens, lui il pourrait devenir entraîneur. » Ce n’était pas mon cas. Je pense que c’est à 26-28 ans que j’ai commencé à y penser. L’entraîneur a toujours été la clé pour moi dans un club.

L’un de vos joueurs vous inspire ça aujourd’hui ?Liam Rosenior, probablement. Il est toujours là, avec les analystes, pour parler du prochain match, il parle de coaching parfois. Je sais qu’il entraînera un jour.

Quand vous étiez jeune, vous écriviez un petit peu sur le foot. Il le fait cette saison pour le Guardian. C’est une consigne de votre part ? Non, je pense que les joueurs doivent construire leur propre expérience. Liam est pro-actif, il veut entraîner, il réfléchit, il est central dans le groupe…

Vous avez encore des envies d’écriture parfois ?Non, avec mon emploi du temps, c’est impossible.

En quoi votre éducation a joué un rôle sur le coach que vous êtes aujourd’hui ?C’est mon influence principale. Je viens d’un milieu social ouvrier, mes parents ont bossé tous les jours jusqu’à leur retraite. C’est un modèle, forcément. J’ai choisi à 18 ans de ne pas devenir pro, je n’avais aucune garantie. Je voulais continuer ma formation dans mon esprit, pour être sûr de moi, me rassurer et avoir un bagage en cas d’échec. C’était compliqué à prendre comme décision pour moi. Heureusement, Tottenham a accepté de me garder dans tous les cas.

Vous bossiez dans les ascenseurs, à Londres…Oui! C’était dur, à plein temps, deux nuits dans la semaine, alors que je m’entraînais dans la soirée. On se levait à 6h, on finissait à 18h.

Je viens d’un milieu social ouvrier, mes parents ont bossé tous les jours jusqu’à leur retraite. C’est un modèle, forcément. J’ai choisi à 18 ans de ne pas devenir pro, je n’avais aucune garantie.

Vous pourriez faire quoi après votre carrière d’entraîneur ?Je ne sais pas trop… J’aimerais rester dans le foot. Il y a aujourd’hui plus d’opportunités, que ce soit dans le recrutement, dans la direction dans un club, mais j’y réfléchis. Notre boulot n’est pas simple. C’est compliqué de devenir aujourd’hui un entraîneur stable. Pour un jeune, ça va devenir encore plus compliqué. Si tu te plantes d’entrée, tu as une grande chance de ne plus entraîner ensuite.

En tant qu’entraîneur, vous vous seriez fait jouer ?Être entraîneur, c’est de la tactique, de la stratégie, mais aussi du management individuel. J’étais simple à entraîner, je pense : je voulais jouer, je n’ai jamais eu de problème avec un entraîneur. C’est la clé aujourd’hui, je n’ai de problème avec personne, car tout le monde veut jouer. C’est notre force.


Un portrait complet de Chris Hughton est à retrouver dans le n°152 de SO FOOT, actuellement en kiosque.

Propos recueillis par Maxime Brigand, à Brighton

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