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Hertha Berlin : De « Big City Club » à « Big City Circus »

Par Florian Porta

Trente-quatre ans après son mur, la capitale allemande a vu la chute d'un autre de ses monuments samedi dernier : le Hertha Berlin, qui évoluera, au mieux, en deuxième division à la reprise. Tout sauf une surprise tant le club enchaîne les erreurs depuis l'entrée au capital du richissime Lars Windhorst, en 2019.

20 May 2023, Berlin: Soccer: Bundesliga, Hertha BSC - VfL Bochum, Matchday 33, Olympiastadion, Hertha's Stevan Jovetic kneels on the pitch during the game. Photo: Soeren Stache/dpa - IMPORTANT NOTE: In accordance with the requirements of the DFL Deutsche Fu   - Photo by Icon sport
20 May 2023, Berlin: Soccer: Bundesliga, Hertha BSC - VfL Bochum, Matchday 33, Olympiastadion, Hertha's Stevan Jovetic kneels on the pitch during the game. Photo: Soeren Stache/dpa - IMPORTANT NOTE: In accordance with the requirements of the DFL Deutsche Fu - Photo by Icon sport

À l’heure où Cannes fait durer le suspense concernant l’attribution de la Palme d’or, le Prix du scénario vient, lui, de trouver preneur. L’heureux lauréat ? Une superproduction venue d’outre-Rhin et estimée à quelque 374 millions d’euros étalés sur quatre ans. Son nom ? Le Hertha Berlin, relégué samedi dernier après un nul au scénario hitchcockien face à Bochum (1-1). Si Lucas Tousart avait fait le nécessaire pour permettre aux Berlinois de croire encore à un improbable maintien, Keven Schlotterbeck s’est chargé de condamner Die Alte Dame à la 94e, laissant l’enfant du club, Kevin-Prince Boateng, au bord des larmes.

Pourtant, cette descente, évitée de peu la saison passée, n’est que le fruit d’erreurs accumulées depuis l’arrivée en 2019 de Lars Windhorst, parti au printemps dernier. Débarqué de nulle part, l’équivalent teuton d’Elon Musk avait promis de faire du Hertha un « Big City Club » et de lui faire retrouver l’Europe. Quatre ans plus tard, c’est bien la 2.Bundesliga, au mieux, qui attend la Vieille Dame la saison prochaine.

Pál figure

« Il faut absolument virer les chefs. Toutes les bonnes signatures ne deviendront que des joueurs moyens sous leur coupe, car il n’y a qu’une seule règle qui vaille en football : tu n’es jamais meilleur que l’univers dans lequel tu évolues », racontait Jürgen Klinsmann, passé par la capitale allemande entre novembre 2019 et février 2020, dans un carnet de bord que s’est procuré Sports Bild. Appelé à la rescousse pour prendre la suite d’Ante Čović, premier entraîneur du nouveau projet, l’ancien sélectionneur du Nationalelf ne passe que dix matchs sur le banc du Hertha avant de claquer la porte : « Le club se bat contre la relégation, mais il édicte des plannings dignes d’une équipe de haut de tableau avec de grosses pointures. » En plus d’essorer ses techniciens – huit en quatre ans dont Felix Magath, Bruno Labbadia ou Pál Dárdai, véritable légende berlinoise et toujours en poste pour son deuxième passage depuis 2019 –, Lars Windhorst injecte 374 millions d’euros dans le club, dont quasiment la moitié sur le marché des transferts, hors commissions et primes.

Parmi les recrues : Lucas Tousart, Krzysztof Piątek, Dodi Lukebakio ou encore Stevan Jovetić, pour les noms les plus connus. Des joueurs prometteurs, d’autres plus expérimentés et confirmés, les Berlinois multiplient les transferts, mais la mayonnaise peine à prendre et laisse surtout un désagréable goût d’inachevé pour un projet pourtant plutôt bien accueilli. « De nombreux supporters sont dérangés par le fait que d’anciens grands clubs jouent dans la deuxième ou la troisième division maintenant, rembobine Christian Dexne, auteur de reportages autour du club depuis 2002. Des clubs comme Mayence, Augsbourg, Darmstadt ou encore Heidenheim n’ont que de petits stades, peu de traditions et de petits groupes de supporters. Par conséquent, de nombreux fans aimeraient que des clubs comme le Hertha, Hambourg ou Kaiserslautern jouent en première division. C’est la raison pour laquelle le Hertha a été perçu plutôt positivement ces dernières semaines et ces derniers mois. » Malgré toutes ces arrivées, le projet « Big City Club » ne décolle pas vraiment, et Die Alte Dame ne dépasse jamais sa dixième place acquise dès le premier exercice, en 2020. Pire, comme le laisse suggérer le départ de Klinsmann, c’est pour ce qui se passe en coulisses que le Hertha fait le plus parler de lui.

Lars sans la manière

De nombreuses tensions apparaissent rapidement entre, d’un côté, le nouvel actionnaire et, de l’autre, le président Werner Gegenbauer et le directeur sportif Michael Preetz. Après 25 ans de bons et loyaux services, en tant que joueur puis au sein de l’organigramme, l’Allemand est prié de faire ses valises en janvier 2021, en même temps que Bruno Labbadia, qui avait pourtant redressé la barre la saison précédente. Une décision justifiée par des résultats sportifs en berne et qui peut éventuellement se comprendre. La méthode employée pour pousser le président vers la sortie laisse en revanche plus songeur. « J’espérais que le Hertha serait dirigé par des personnes rationnelles, tournées vers l’avenir et désireuses de connaître un succès durable », commence par balancer l’actionnaire au printemps 2022 en visant indirectement Gegenbauer. Ça tombe bien, les supporters du Hertha sont plutôt d’accord avec lui. Kay Bernstein, ancien capo des Harlekins 98, se verrait bien récupérer le poste. Mission accomplie quelques semaines plus tard après la démission de l’ancien président et l’élection de Bernstein à sa place. Là où l’histoire prend un autre tournant, c’est quand le Financial Times révèle au cœur de l’automne que Gegenbauer a en réalité été victime d’une campagne de dénigrement clandestine financée par… Lars Windhorst. Une révélation qui passe mal auprès des supporters, qui réclament ensuite le départ de l’homme d’affaires.

Pas mécontent de se débarrasser d’un investissement qui ne lui a « apporté que des inconvénients », Windhorst finit par passer la main à 777 Partners au printemps dernier. Ingmar Pering, ancien membre influent du conseil d’administration qui a quitté ses fonctions au début du mois de mai, a tenu à réagir dans une lettre : « Les accords avec 777 ont été apportés par le présidium dans le cadre d’une procédure hâtive, mais sans qu’il soit encore possible de réfléchir aux alternatives. Une vente rapide sans alternatives réelles m’a mis devant la tâche insoluble de vouloir encore dire “non”, mais de savoir qu’il n’y avait alors pas de véritable alternative à l’effondrement économique et à l’insolvabilité. » D’autant plus que cet accord ne respecte pas la règle du 50+1, puisque 777 Partners détient 64,7 % des parts du club, et qu’une solution devra donc être trouvée pour rentrer dans les clous. « La nouvelle direction a beaucoup de crédit auprès des supporters, mais elle est aussi vue de manière très critique par de nombreux observateurs. Ils comptent beaucoup sur la cohésion interne et les gens qui sont au club depuis longtemps. Ceux-ci sont désormais élevés à des postes de direction. Mais beaucoup se demandent s’ils ont la stature pour accomplir ces tâches exigeantes », rapporte Christian Dexne. Un doute partagé par Pering dans sa lettre : « Aujourd’hui, nous n’avons pas seulement affaire à des gens égoïstes qui ne se préoccupent que de leur profit personnel, mais aussi à une incompétence collective. » Des propos qui font référence à ceux de l’ancien capo qui rappelait, courant décembre, que le Hertha n’avait « pas de problèmes de liquidités. Cette saison et la suivante sont déjà financées. » Six mois plus tard, « le club n’a plus d’argent. La licence est en danger », confesse Dexne. En réalité, le club doit trouver 100 millions d’euros sous peine d’évoluer en ligue régionale, et non pas en deuxième division à la reprise. Les Berlinois ont annoncé ce lundi avoir entamé des négociations pour repousser un remboursement de 40 millions censé avoir déjà été effectué en novembre 2018 et dont la nouvelle échéance arrivait à l’automne.

« Le nouvel investisseur 777 est encore très réticent, mais j’espère que dans le pire des cas, il signera une garantie. Cela sécuriserait la licence », glisse l’auteur de Wilde Jahre in Westend, sorti dimanche. « C’est le pire cas que nous ayons jamais eu », a déclaré à la Süddeutsche Zeitung un responsable de la ligue resté anonyme et impliqué dans le système d’octroi des licences. Tant et si bien que quatre ans après avoir changé de dimension, le Hertha Berlin pourrait retrouver l’anonymat des ligues amateurs plutôt que les sommets européens tant espérés. Et pour s’en sortir, il va désormais falloir que tout le monde tire dans le même sens plutôt que dans les pattes de ses collègues, parce que, comme tout le monde le sait, l’Union fait la force.

Par Florian Porta

Propos de Christian Dexne recueillis par FP.

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