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Henk Schiffmacher : « Kluivert, Davids, Reiziger, c’est moi qui les ai tatoués »

Par Matthieu Rostac, à Amsterdam
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Sous le pseudonyme de Hanky Panky, Henk Schiffmacher tatoue depuis plusieurs décennies les stars du rock mondial et du football néerlandais. C'est tout naturellement que la société Derbystar lui a demandé de décorer son nouveau ballon censé célébrer les soixante ans de l'Eredivisie. Rencontre avec cet autoproclamé « sosie d'Alexandre Soljenitsyne » dans son salon de tatouage d'Amsterdam.

Vous venez de dessiner le nouveau ballon d’Eredivisie, à l’occasion des soixante ans du championnat. Comment vous êtes-vous retrouvé dans ce projet ?Derbystar, le fabriquant du ballon, est venu me chercher. L’idée m’a beaucoup surpris et beaucoup plu en même temps. Ça faisait des années que je me plaignais du manque d’investissement des sites de paris en ligne qui donnent parfois de l’argent aux musées d’Amsterdam, mais jamais au mien, l’Amsterdam Tattoo Museum. Comment c’était possible, putain ? Le tatouage, c’est ce qui unit le football à celui qui va le voir : les joueurs sur le terrain ont des tatouages, les supporters dans le stade en ont aussi. Ça permet également de se reconnaître hors du stade parce qu’ici, un vrai supporter de club l’a dans la peau. Comme les supporters de football sont souvent issus de la classe ouvrière et que je me considère comme une sorte de working class hero, j’ai toujours voulu faire une œuvre liée au football.

Pourquoi étiez-vous surpris que Derbystar vous contacte ?Pendant longtemps, j’ai pensé proposer un maillot de la sélection avec mes dessins, je voulais raconter la riche histoire de l’équipe nationale au travers de subtiles décorations disséminées un peu partout sur le tissu. Et d’un coup d’un seul, ce dont j’avais rêvé pendant plusieurs années était là, servi sur un plateau. Finalement, un ballon, c’est tout aussi bien. Mon art n’est pas fait pour exister dans un musée, mais dans la rue. Donc au milieu d’un stade, devant 15 000 personnes, partout dans les Pays-Bas, en train de se trimbaler de jambes en jambes, c’est encore mieux !

Pourquoi avoir choisi ces motifs en particulier ?D’abord, j’ai puisé dans ma mémoire de fan de football. Quand j’ai commencé à regarder le football, le ballon était en cuir marron. Puis, la télévision s’est mise à retransmettre les matchs en noir et blanc. Or, par temps neigeux, impossible de voir le ballon. Ils ont donc inventé le « ballon télévision » , avec des bouts de cuir noir ci et là. Je voulais voir ce ballon revenir sur le terrain. J’aurais pu le faire tout noir, avec des pin-ups et des têtes de mort, mais franchement… J’ai donc choisi des formes primitives de tatouage parce qu’elles sont puissantes. Un peu de Polynésie, un peu de culture aborigène, un peu d’Afrique du Nord… Bon, j’ai aussi dû composer avec le logo de Derbystar, celui de l’Eredivisie, des clubs concernés, toutes ces conneries. C’est comme quand tu dessines un disque, t’as toujours plein d’informations inutiles qui viennent s’immiscer.

Dans les rues d’Amsterdam, il n’est pas rare de croiser des gens avec des tatouages Ajax. C’est presque un sacerdoce. Comment expliquez-vous cette relation fusionnelle entre supporters de football néerlandais et tatouage ?Il ne faut pas oublier que ces dernières décennies, les gens ont perdu leur religion. Quand j’étais enfant, on était catholique, protestant, juif… Quelle qu’en soit la raison, tout ça s’est perdu et désormais, on cherche une « nouvelle religion » . On veut appartenir à un certain groupe de personnes. On peut faire du yoga, être punk, être hip-hop. Si tu es hip-hop, tu vas te faire des tatouages façon chicanos, même si tu n’es pas un chicano. Eh bien, si tu es fan de football, tu te graves dans le bras l’amour de ton club, de ta famille. Tous les dimanches, ton stade devient ton église. Ici, c’est l’Ajax, plein de mecs du F-Side se font tatouer dans mon salon. L’année où l’Ajax a remporté son trentième championnat, j’ai tatoué je ne sais combien d’étoiles sur des bras ou des pectoraux. Quand Johann Cruijff est décédé, on a tatoué plein de 14. Mais moins que ce à quoi je m’attendais. En même temps, c’est normal, ceux qui se rappellent Cruijff au point de se faire tatouer sont uniquement ceux qui l’ont vu jouer.

Vous l’avez vu jouer, vous, Cruijff ?Oui ! Pendant la Coupe d’Europe 1969 ! À l’époque, je n’avais que 17 ans. Je bossais dans une sandwicherie à Amsterdam. Je beurrais des tartines toute la journée et là, des gros fans du club me proposent d’aller voir le match d’appui contre le Benfica à Paris. Forcément, j’ai dit oui. Parce qu’à l’époque, on ne faisait pas trop confiance à la bouffe française, on avait ramené des sacs entiers de sandwichs. On était tellement nombreux, une vraie invasion hollandaise à Paris… Des envahisseurs mangeurs de sandwichs ! Pendant le match, ce fut un vrai ballet de voir Cruijff virevolter entre toutes ces jambes destructrices. À la fin du match, je me rappelle les fans du Benfica qui brûlent leurs drapeaux et d’Eusébio qui se met à cracher sur les fans de l’Ajax en tribunes. Ensuite, on était allés jusqu’à Madrid pour la finale face à Milan. Mais bon, c’était un peu spécial, on y a réfléchi à deux fois. C’était encore l’Espagne fasciste de Franco.

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Comment expliquer cette culture du tatouage chez les footballeurs actuels ?Ça, c’est un truc de Mayas ou de Romains. L’idée de glorifier les combattants qui vont mourir sur le terrain, de faire d’inconnus des stars, ça ne date pas d’hier. Or, pour qu’un footballeur se distingue d’un autre, il doit innover. Ici, on a eu le 14 de Johann Cruijff, maintenant tout le monde s’en rappelle. Même chose avec Edgard Davids et son look dreadlocks-lunettes de couleur. Puis est arrivé le moment où tout le monde s’est fait des tatouages. Ceux qui ont initié ça dans le football néerlandais, c’est ce qu’on appelle De Kabel, le groupe qui réunissait Patrick Kluivert, Winston Bogarde, Michael Reiziger et Edgar Davids, encore lui. C’est moi qui les ai tatoués. Reiziger, c’était celui qui avait osé : il s’était fait un aigle avec un décor derrière… Je crois même qu’il y avait un petit village indien dans le tatouage. Kluivert, c’était juste un nom, je ne me rappelle plus lequel. Maintenant, c’est son fils qui vient se faire tatouer ici. C’est tellement devenu acceptable de se faire tatouer pour un footballeur que les médecins du club me contactent parfois pour savoir comment protéger juste avant les matchs les tatouages récemments faits.

Et que pensez-vous de leurs tatouages ?Certains sont bien, d’autres non. Regardez la jambe de Messi et son tatouage tout noir… C’est quand même le bordel ! Quand un mec comme Messi rentre dans ton salon de tatouage, c’est la chance d’une vie. T’as pas intérêt à te rater. Il faut lui faire quelque chose que tout le monde puisse voir, qu’il puisse communier avec son public. Antony Kiedis, que j’ai tatoué, il pensait toujours à son public quand il se faisait tatouer. Messi, c’est probablement un pote qui lui a fait. C’est comme pour le petit gars d’Utrecht, là, Sneijder : il a une femme magnifique et le tatouage qu’il s’est fait d’elle, on dirait qu’elle s’est pris un camion dans la tronche. Beckham ou Ibrahimović pareil, on n’a jamais rien compris à leurs tatouages. C’est souvent comme ça avec les footballeurs : ils n’ont pas réfléchi au truc et ça donne une bouillie d’encre noire. En revanche, j’aime bien les tatouages sur les bras de Johnny Heitinga, ils ont quelque chose d’artistique. Ça ressemblerait presque à du Malevich.

Pas ceux de Theo Janssen ?Oh si, il a des sortes d’étoiles satanistes sur son torse, elles sont superbes ! Et puis, Theo Janssen, je l’aimais bien en tant que joueur sur le terrain. Un mec à l’ancienne, dur au mal. Quand il jouait à l’Ajax, on s’est rencontrés lors d’une émission sur le tatouage et on s’est tout de suite bien entendus. Il m’a toujours promis qu’il viendrait au salon se faire tatouer. Finalement, non. Il est probablement retourné à Arnhem dans une équipe amateur pour casser des jambes et boire des bières comme il sait si bien le faire !

Vous venez de parler d’Anthony Kiedis, le leader des Red Hot Chili Peppers. Vous avez été un compagnon de route de beaucoup de rockstars : Pearl Jam, Kurt Cobain, Lemmy Kilmister… Certains tâtaient du ballon ou pas du tout ?Au risque de vous surprendre, Nick Cave est un grand fan de football ! Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, aussi ! Je me rappelle des parties endiablés avec eux deux et Shane McGowan aussi. Il y a quelque chose d’étrange avec un ballon de foot : vous le posez en coulisses, pendant un festival, et ça devient une attraction. Les gens veulent irrémédiablement le toucher, le bouger, le faire rouler. Je me suis même cassé le petit orteil en tapant dans un ballon que je croyais léger et qui était en réalité en béton. Celui qui ne veut pas taper dans une balle quand il en voit une, c’est forcément quelqu’un de chiant.

Le site de Henk Schiffmacher

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