Bonjour Gheorge. Cela vous fait plaisir d’être de retour à Monaco ?
Forcément. C’est toujours bon de revenir ici. J’ai gagné deux Supercoupes d’Europe au stade Louis-II, avec le Steaua Bucarest, en 1986, et Galatasaray, en 2000. C’est une ville qui me porte chance.
Vous allez tester les casinos ce soir ?
Ah non, pas du tout, je n’aime pas trop jouer (rires).
Après une brève période d’inactivité, vous êtes récemment devenu coach en Roumanie…
Pas coach. Manager. Je manage mon club. Je suis le propriétaire et le manager.
Pourquoi avoir décidé de revenir en Roumanie, après votre expérience ratée à la tête de Galatasaray en 2011 ?
Tout simplement parce que c’est mon pays. Je suis parti du constat que la Roumanie doit travailler dur pour produire les nouveaux joueurs qui formeront la prochaine génération. Pour ce faire, j’ai créé ma propre académie en 2009 : le FC Viitorul Constanța. C’est une ville située à l’est, sur les rives de la mer Noire. Nous avons 300 enfants de tous âges, que nous entraînons avec soin. En matière d’infrastructures, nous sommes déjà devenus le meilleur centre de formation du pays.
Vous vous souciez de l’avenir des enfants roumains, mais vous auriez pu le faire au Steaua Bucarest par exemple, un club qui a beaucoup compté pour vous. Pourquoi créer une autre structure ?
J’ai créé l’académie, j’en suis à l’origine. C’est mon propre club, je l’ai bâti de mes mains et c’est une fierté. J’investis dans les enfants, dans l’avenir. D’ailleurs, Viitorul, en roumain, ça veut dire futur. Dans cinq ans, grâce à notre travail en amont, nous aurons les meilleurs joueurs du pays. À terme, nous espérons qu’ils alimenteront l’équipe nationale pour lui faire remonter la pente.
Vous recherchez le nouveau Gheorge Haggi ?
Non, je cherche à former une nouvelle génération. Pas seulement un joueur. On produit plein de joueurs.
En tant que manager, vous leur enseignez quoi ?
Beaucoup de choses. Principalement, que la technique bat toujours la force.
Les résultats sont déjà prometteurs…
Le travail a porté ses fruits. On a été champions de troisième division en 2010 avant de monter dans l’élite en 2012. Il nous a fallu quelques années d’apprentissage au plus haut niveau, mais nous sommes maintenant capables de rivaliser avec les meilleurs clubs roumains. Après onze journées, nous sommes deuxièmes du championnat, bien calés entre l’Astra Giurgu et le Steaua Bucarest.
Le football local est-il en train de remonter la pente en matière de niveau, après un gros passage à vide ?
On est descendus très bas. Ce n’est pas facile de remonter, d’autant plus qu’on manque de soutiens sportifs et financiers. Mais on essaie de faire du mieux possible. Je ne vais pas mentir, le niveau général est moyen, mais la qualité des trois ou quatre meilleurs équipes du championnat reste encore assez bonne. Il faut maintenant qu’on ait plus de budget et d’argent pour progresser. On essaie de faire les choses bien.
Vous pensez qu’à terme, on pourra revoir un club roumain en finale de la Ligue des champions ?
Non. Du moins, ce n’est pas pour tout de suite. En 1989, quand on a perdu 4-0 en finale contre le Milan AC, le Steaua était dans la plus belle période de son histoire, nous étions de très loin la meilleure équipe de Roumanie. Je dirais même que nous étions vraiment l’une des meilleures équipes du monde. Nous avons plané au sommet de l’Europe pendant cinq ou six ans. Je n’étais pas encore là en 1986 quand le club a remporté la Ligue des champions contre Barcelone, mais même par la suite, on a été en demi-finale en 1988 contre Benfica. C’était très difficile pour les clubs roumains de rivaliser. L’équipe a toujours régné seule dans le pays, faute de concurrents à la hauteur. Depuis 1985, le club a remporté le championnat 17 fois, c’est une domination sans partage.
Pourquoi vous êtes parti alors ? Est-ce que l’ampleur de la défaite contre le Milan AC vous a influencé ?
Non, pas du tout. C’est juste que la révolution a tout changé. En 1990, j’ai décidé de rejoindre l’Espagne, car les frontières se sont ouvertes. J’ai voulu tenter ma chance en Europe, par curiosité personnelle.
À l’époque, vous avez signé au Real Madrid pour 4,3 millions de dollars. Vous pensez quoi de l’inflation démesurée des prix des transferts ?
La vie continue. Il faut regarder de l’avant, cela ne sert à rien de se plaindre. Le football a toujours été un business, même de mon temps c’était le cas. D’abord, il faut produire de bons joueurs, c’est la base, ce sans quoi rien n’est possible. Après, le marché fait son affaire et fixe les prix.
Vous avez joué pour les meilleurs clubs en Espagne, Madrid et Barcelone. Pourquoi ça ne s’est pas très bien passé pour vous dans les deux cas ?
(Silence) J’ai été bon dans tous les clubs où je suis passé.
Vous avez été exceptionnel au Steaua, à Brescia et Galatasaray, mais moins bon en Espagne…
C’est vous qui le dites. J’ai gagné la Supercoupe d’Espagne, aussi bien au Real qu’au Barça. Certes, cela ne vaut pas la Ligue des champions, mais c’est déjà quelque chose. Ma première année à Madrid a été moyenne, mais j’ai été très bon toute la seconde année. Quoi qu’il en soit, cela a été un grand honneur pour moi de jouer pour ces deux clubs, qui sont les meilleurs d’Europe. Il n’y a que six joueurs roumains qui ont joué pour eux dans l’histoire, et j’en fais partie.
N’êtes-vous pas quelque part plus attaché à Galatasaray, où vous avez remporté quatre titres de champion, gagné la Coupe de l’UEFA en 2000 contre Arsenal, avant de revenir en tant qu’entraîneur ?
Je suis attaché à tous les clubs où je suis passé. À leur façon, chacun a rempli une partie de ma vie, m’a fait devenir le joueur que j’étais et ce que je suis aujourd’hui. Mais si vous me demandez, ma seule vraie équipe, c’est la Roumanie. J’ai joué en sélection pendant 19 ans et c’est le seul maillot que je place devant tous les autres.
Avec vous, dans les années 90, la Roumanie était un outsider habitué aux places d’honneur à la Coupe du monde…
Oui, nous étions des habitués des phases finales, nous avions une belle génération. Mais depuis 1998, nous ne nous sommes plus qualifiés pour la Coupe du monde. Nous avons aussi raté pas mal de championnats d’Europe. C’est une grosse déception. Si tu rates les grandes compétitions, tu n’es personne. Il faut travailler dur pour redresser la barre.
Quel est le problème principal ?
Il y en a beaucoup. Énormément de pays, qui n’ont pas forcément notre tradition, nous sont passés devant. Aujourd’hui, je dirais que notre problème numéro 1, c’est le manque de soutien de notre Fédération quant au développement de la discipline. On a aussi pas mal de lacunes pour l’instant en matière d’organisation.
Que vaut l’équipe actuelle ? Elle est actuellement deuxième de son groupe d’éliminatoires à un point de l’Irlande du Nord, trois points devant la Hongrie…
On espère aller à l’Euro en France. On a raté nos deux derniers matchs (deux matchs nuls sans buts contre la Hongrie et la Grèce), mais il nous reste deux autres rencontres pour plier l’affaire. C’est primordial pour nous de venir jouer l’Euro 2016, car chaque qualification génère de l’enthousiasme pour tout le monde, à tous les niveaux. C’est un cercle vertueux. Cela nous donnera la force de lancer de nouveaux projets et de développer notre football encore plus rapidement. Je suis résolument optimiste, j’espère qu’ils vont se qualifier. On a une plutôt bonne équipe, nous sommes à la septième place du classement FIFA…
Gheorge, ne me dites pas que vous croyez au classement FIFA…
C’est déjà un bon signe (rires). C’est positif. On n’a pas de grande star, mais on joue vraiment en équipe. Après, c’est toujours difficile de parler avant la compétition. Il faut déjà se qualifier. Nous verrons en France si nous sommes compétitifs ou non.
La meilleure équipe roumaine, cela reste sans conteste cette génération dorée de la Coupe du monde 1994…
Oui. On était très proches de gagner. J’étais très fier de faire partie de cette équipe, pas seulement au niveau des résultats, mais aussi par rapport au style de jeu pratiqué. On était vraiment très bons, avec un football à la fois direct et léché. On a battu l’Argentine 3-2 en huitièmes de finale, ce qui reste l’un des plus grands exploits du football roumain à ce jour.
En parlant de cette compétition, impossible de ne pas évoquer votre but fantastique contre la Colombie…
J’ai marqué trois jolis buts pendant la Coupe du monde, mais c’est vrai que celui-ci est le plus connu.
Comment vous est venue l’idée de tirer à ce moment précis ?
Quand j’avais 12 ans, mon entraîneur trouvait que j’avais une très bonne frappe, un tir magnifique, très puissant. Il n’arrêtait pas de me répéter : « Gheorge, tout ce que tu dois faire, c’est contrôler le ballon, te retourner vers les cages et frapper » . Donc pour moi, tirer de loin, ça a toujours été assez naturel. Dès que j’étais en position, je tentais ma chance. Et ça a souvent marché.
Le rêve s’est pourtant arrêté avec l’élimination en quarts de finale, aux tirs au but, contre la Suède…
Cette défaite me fera toujours mal, car perdre de cette manière, c’est la pire chose qui puisse arriver en football. On était tout près, et je pense qu’on aurait pu aller plus loin encore, rivaliser avec le Brésil. Mais bon, ça ne s’est pas fait. Il faut maintenant espérer qu’une autre sélection roumaine parvienne à soulever le trophée dans le futur. Peut-être dans une autre vie !