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Fumis tue ?

Par Nicolas Kssis-Martov
Fumis tue ?

Mercredi soir, le virage Auteuil du Parc des Princes était donc fermé pour la réception de Troyes. Cette décision sanctionnait l'allumage de fumigènes lors de PSG-Nice le 27 octobre dernier. Une décision qui illustre une volonté continue de mettre un terme à cette pratique emblématique du milieu ultra.

Les sanctions contre l’usage de fumigènes sont bien moins médiatisées que les interdictions de déplacement des supporters adverses, mais s’avèrent souvent plus graves sur le fond, car elle retombent d’abord sur l’organisateur du match : en gros, les clubs qui reçoivent. Fermeture des tribunes, amendes, etc. Quand les ultras allument leurs baguettes magiques, c’est d’abord au porte-monnaie des clubs que s’attaquent la LFP ou les autorités compétentes, sans compter les IAS (Interdiction administrative de stade) ou même le risque global de dissolution qu’encourt le groupe ultra concerné. Abonné à ce genre de pénalités, Saint-Étienne voit régulièrement les kops de son chaudron menacés ou condamnés au huis clos. Comme, par exemple, l’an dernier, après la réception pour le moins brumeuse du PSG. Nul doute que le brouillard avant le derby contre Lyon va, lui aussi, coûter très cher. Et le Stade rennais, de son côté, redoute le pire après la confrontation contre Nantes.

Malgré cela, quels que soient les anathèmes ou l’arsenal pointés sur eux, les ultras continuent de respecter le rituel, tels des camisards persistant dans le culte réformé après la révocation de l’édit de Nantes en octobre 1685. Le CUP (Collectif Ultra Paris) peut bien discuter avec la direction du PSG, sa crédibilité dans le milieu passait aussi par sa capacité à ramener non seulement le feu, mais aussi la fumée au Parc. Malgré les fouilles et autres contrôles, rien n’y fait, donc. Le fumi’ reste un objet inévitable du désir ultra. La LFP peut brandir son règlement et son juste courroux, on n’écrase pas une culture populaire comme on balise la profession d’agent de joueur. Le texte publié par une trentaine d’associations contre la répression dont elles s’estiment victimes le rappelle en des termes évidents, il s’agit d’abord d’une « pratique festive popularisée depuis les années 1970 dans le football et qui n’est pas réprimée ailleurs que dans les stades » . Les habitués des manifs CGT et France Insoumise apprécieront l’hommage. Et qui penserait, y compris dans la maréchaussée, interdire le pogo lors d’un concert, sous prétexte que cela peut choquer les âmes sensibles et provoquer quelques ecchymoses ?

Accompagner plutôt que sanctionner

L’intransigeance des autorités, notamment en matière de football, semble d’autant plus incompréhensible en ce moment que de timides tentatives de dialogues, après des années de black-out, commencent à émerger entre les associations de supporters et les divers acteurs institutionnels. Une démarche qui essaie au moins de nous extirper du cycle accusateurs/victimes. Cette volonté, alors même que les récents débordements lors d’ASSE-OL ou Bordeaux-OM pouvaient laisser imaginer le retour de la caricature et du tout sécuritaire (surtout à entendre certains commentaires sur les plateaux télé) permet d’entrevoir une autre façon de penser la place des supporters dans la famille du foot et, plus largement, dans la société française. Or, justement, la pyrotechnie ne devrait plus cristalliser le point d’achoppement, mais, au contraire, incarner l’occasion rêvée de rapprocher les divers protagonistes et de tester in situ leur bonne volonté. La responsabilisation des associations et des groupes de supporters y puiserait une opportunité idéale de mesurer grandeur nature, autour de ce qui forme leur raison d’être, sa réalité et son utilité. En retour, les divers représentants des forces de l’ordre, de sécurité ou des clubs, pourraient illustrer à merveille leur désir, non plus de réprimer, mais d’accompagner la vie au sein des tribunes.

Pompier pyromane ?

L’hypocrisie n’a que trop duré. Tout le monde, LFP et chaînes de télé en particulier, vend la passion du foot par le biais de belles images saturées d’effluves colorées s’élevant des enceintes de L1, avec des tifos gigantesques pour embellir le packaging publicitaire. On ne peut tirer des feux d’artifice pour fêter un titre et interdire aux ultras d’accueillir comme il se doit l’ennemi juré, après avoir vanté à longueur d’antenne (et de papier) l’importance quasi biblique de la confrontation à venir. Au prétexte de la sécurité avancé par certains, il serait peut-être plus intelligent de répondre par une réunion avec les pompiers qu’avec la police pour aplanir les difficultés éventuelles. Le foot ne se résumera jamais à un simple spectacle sportif. Car le foot est bien plus qu’un sport et plus proche de la démocratie dans les actes que de la simple pièce de théâtre. Les spectateurs, ou du moins certains d’entre eux, ne se contenteront jamais d’applaudir sagement à chaque but. Le football est leur, comme la république est nôtre. Les fumis ne sont pas un caprice d’ados, ils manifestent le fait qu’une parcelle infime de ce qui se passe autour d’une rencontre ne se situe pas dans les seules prouesses du pied gauche ou droit de telle ou telle star brésilienne. Ce qui se déroule et s’écrit porte aussi le masque éphémère d’un écran de fumée. La résistance à l’interdit est donc indexée sur cet enjeu supérieur. Sortir de l’impasse, c’est donner un second souffle. Le foot en a besoin. Sans cela, il ne serait qu’une discipline au programme olympique. « La passion est encore ce qui aide le mieux à vivre » , disait Emile Zola. Sûr qu’il aurait fait un bel ultra.

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