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Le fiasco de la diffusion du foot amateur

Par Valentin Perrot et Léo Tourbe
Fuchs Sports, le Mediapro du foot amateur

Depuis l'été 2020, la société Fuchs Sports était chargée de diffuser tous les matchs de National 2 et National. 3. Un pari qui a tourné au fiasco.

Tout commence en 2015, au sein de la ligue Grand Est de football qui, par sa proximité géographique, produit des résumés vidéo pour ses équipes amateurs avec l’aide d’un prestataire venu de l’autre côté du Rhin. Quelques saisons plus tard, une autre entreprise allemande se penche sur la diffusion des championnats de la région. Ce nouveau prétendant, Sport Total, propose d’équiper tous les clubs régionaux de caméras à captation automatique Pixellot, une firme israélienne. « On a tout de suite vu une opportunité, et on a donc décidé de lancer cette mécanique au démarrage de la saison 2019-2020. Sport Total a équipé quasiment la totalité de nos clubs avec un modèle économique qui était assez simple, puisque c’était gratuit. Quand on a pu démarrer la saison, on a tout de suite vu qu’il y avait un intérêt. Ça fonctionnait plutôt pas mal, puis est venu le Covid et, évidemment, ça a un peu tout cassé », raconte Stéphane Heili, directeur de la communication de la ligue Grand Est, à l’origine de cette initiative.

What’s the Fuchs ?

C’est là que Fuchs Sports entre dans la danse, puisque la société luxembourgeoise était jusque-là chargée par Sport Total du développement de la marque en France. La FFF remarque que tout fonctionne plutôt bien, s’intéresse au dossier et « de manière un peu rapide, lance cette idée de diffusion des matchs de N2 et de N3 ». Fuchs voit alors l’opportunité et se désolidarise de Sport Total pour les concurrencer lors de l’appel d’offres organisé à l’aube de la saison 2020-2021 par la fédération. C’est bien Fuchs qui rafle la mise jusqu’en 2025 et qui se lance dans le gigantesque défi de médiatiser plus de 200 clubs de N2 et de N3. « Pour offrir une couverture à chaque club, notre premier constat était simple : mettre un caméraman sur chaque stade, soit 228 clubs en N2 et N3. Or ce n’était pas possible. Nous déployons donc un système de captation muni de deux à trois caméras par stade pour assurer des captations rendues autonomes via l’intelligence artificielle », expliquait Frédéric Lamotte, alors Head of Development and Strategy de la société, au site foot-national.com.

L’entreprise luxembourgeoise prévoit donc d’installer des caméras fixes, de la marque suédoise Spiideo, censées suivre le ballon automatiquement. La première saison s’avère toutefois un fiasco, puisque Fuchs dote très lentement les stades de ces fameuses caméras. Dans le Grand Est, « au bout de quelques mois, il n’y a que huit ou neuf caméras qui sont installées sur les 42 qui devaient l’être au départ », rembobine Stéphane Heili, dont la ligue est plutôt favorable et habituée à cette pratique, contrairement à d’autres, réticentes, et souvent perdues. Ce contrat d’exclusivité entre la FFF et le nouveau diffuseur stoppe également les dispositifs déjà mis en place chez certaines des grosses cylindrées. « C’était le cas pour Sedan. Le club avait un accord avec une télé locale qui diffusait les matchs, qui faisait des dispositifs à trois caméras. Et donc Sedan n’avait pas besoin de Fuchs. Finalement, ils avaient un produit qui était de meilleure qualité. Et puis, on leur a dit : “Non, notre solution est meilleure. Il faut faire Fuchs” », témoigne le directeur de la communication de la ligue.

Sur certains matchs, c’était inregardable. Il y avait quinze minutes d’écart avec l’action en temps réel et les images étaient de très mauvaise qualité. D’autres fois, il y avait une caméra automatique qui ne suivait pas le ballon une action sur deux.

Jean-Michel Rouet, membre du comité de direction de Chambly

Car il n’est pas bien compliqué d’avoir une retransmission de meilleure qualité que celle proposée par Fuchs et ses caméras. Depuis le début de la saison 2021-2022, les clubs sont nombreux à se plaindre de l’irrégularité et de la qualité des diffusions : retransmissions annulées au dernier moment, problèmes liés à l’utilisation de caméras automatiques, décalage de plusieurs minutes entre l’action en temps réel et sa diffusion sur la plateforme… « Sur certains matchs, c’était inregardable. Il y avait quinze minutes d’écart avec l’action en temps réel, et les images étaient de très mauvaise qualité. D’autres fois, il y avait une caméra automatique qui ne suivait pas le ballon une action sur deux. C’était impossible à suivre, et pour être très franc, j’ai cessé de regarder les matchs sur la plateforme Fuchs depuis le mois de septembre », explique Jean-Michel Rouet, membre du comité de direction du FC Chambly (N2).

Pénalisés par la mauvaise qualité des retransmissions, les clubs ont dû trouver des solutions par eux-mêmes, parfois même la veille pour le lendemain. C’est le cas de l’Angoulême Charentes FC (N2). « On a eu un mail il y a trois semaines à la veille de notre match contre Vierzon. Ce week-end-là, on a réussi à réorganiser nos équipes pour trouver quelqu’un pour venir filmer le match. On a pu rebondir, mais cela n’a pas été facile, détaille Pierre-Emmanuel Allard, directeur sportif du club. Dès le début, je savais que ça ne serait pas optimal, car les caméras ne pouvaient ni zoomer, ni proposer de ralentis et ne suivaient pas forcément toujours bien le ballon. Sur l’aspect sportif, économique et du point de vue de la communication du club, c’est très important pour nous de disposer de cet outil de captation et de retransmission. Malheureusement, la qualité des retransmissions était loin d’être satisfaisante. »

La différence avec FFF TV, la plateforme de la fédé qui diffuse les rencontres de National 1, est criante par rapport à ce que propose la société luxembourgeoise. « L’année dernière, avant notre descente en N2, on pouvait suivre nos matchs dans de très bonnes conditions. Là, on nous rappelle que l’on est descendu d’une division », souffle Jean-Michel Rouet. Saluant l’idée de départ de valoriser ces championnats, le dirigeant camblysien dresse un bilan peu reluisant de la retransmission des matchs de son club cette saison : « L’audience de la plateforme était assez confidentielle. On avait quelques supporters qui regardaient un peu quand c’était possible. C’est dommage parce que le principe de vouloir diffuser ces championnats est louable, cela pouvait être intéressant pour les clubs. Mais le résultat final est plus que moyen. »

Un modèle économique bancal

Même constat dans la région Grand Est. « Il faut appeler un chat un chat. Selon la météo, selon la manière dont la caméra est installée, selon la distance, c’est moyen. Pour regarder un match, il faut vraiment s’accrocher. Il faut être supporter et un peu aveugle. Parce que les matchs ne sont pas commentés la plupart du temps. Il n’y a pas de scoreboard. Donc on regarde le match, mais on ne sait pas quel est le score, on ne sait pas quelle est la minute de jeu. » Fort de l’expérience de son club, qui diffusait déjà ses matchs par ses propres moyens avant l’arrivée de Fuchs Sports, Pierre-Emmanuel Allard a aussi son avis sur les raisons de l’échec de la diffusion du championnat : « L’initiative de la FFF était bonne. Dans ces championnats, il y a beaucoup de clubs, une certaine communauté de suiveurs. Mais je pense que le canal de diffusion n’était pas le bon. Aujourd’hui, les réseaux sociaux, même ceux de la Fédération, créent un effet boule de neige. Je pense qu’il fallait rester sur ce canal-là, organiser des lives, plutôt que de créer une plateforme supplémentaire. »

Si la partie technique ne fonctionne pas, le modèle économique dessiné par Fuchs ne marche pas non plus, et l’entreprise revoit sa formule. Dernièrement, « Fuchs avait imaginé un modèle double. D’un côté, une plateforme de streaming avec un abonnement payant. De l’autre, ils avaient gardé l’exclusivité pour les scouts et essayé de trouver un prestataire prêt à leur donner un peu de sous pour utiliser ces images », détaille Stéphane Heili. Dans le même temps, c’est le jeu des chaises musicales chez Fuchs, où les dirigeants se succèdent tous les six mois. Puis, l’argent commence à manquer, tandis que les prestataires, Spiideo, Sport Vision, et surtout la société niçoise Mytvchain, qui s’occupe de récupérer le flux vidéo, n’ont plus vu la couleur d’un virement depuis septembre 2022, clamant l’avoir signalé à la FFF, qui affirme le contraire au site footamateur.fr.

Le signal est donc coupé, et le 24 février dernier, Fuchs sort de son silence sur les réseaux sociaux et annonce que « les matchs de National 2 et National 3 de ce week-end ne pourront pas être diffusés en direct », prétextant poliment des « problèmes techniques sur (sa) plateforme ». Plus rien jusqu’au 10 mars, date à laquelle la société luxembourgeoise a le « plaisir » d’informer que « les retransmissions en direct des matchs de N2 et N3 seront désormais disponibles sur une nouvelle plateforme, InSports TV, et cela dès ce week-end ». Nouvel acteur donc. Fin 2022, Fuchs noue des contacts avec InSports TV, détenu par un magnat russe qui a déjà une certaine expérience dans ce domaine en Espagne et au Brésil, pour sous-traiter son produit. Mais le lendemain de cette bonne nouvelle, nouveau retournement de situation : « Les diffusions initialement prévues sur InSports TV n’auront pas lieu ce week-end. » La raison ? La nationalité du propriétaire de cette plateforme a refroidi la FFF. « Nous avons informé Fuchs Sports que nous ne souhaitions pas que les matchs de N2 et N3 soient diffusés sur Insports TV », affirmait Julie-Anne Gross, responsable des droits TV et contenus de la FFF, à footamateur.fr.

Depuis, plus rien. Plus un tweet. Vendredi dernier, la fédération a indiqué qu’elle allait rompre son contrat avec Fuchs Sports, qui « s’est engagé à poursuivre la diffusion en direct et gratuitement de l’ensemble des matchs de N2 et N3 jusqu’à la fin de la saison 2022-2023 », comme l’a écrit Christophe Drouvroy, le boss de la Direction des compétitions nationales, dans un mail envoyé à tous les clubs. Malgré cet échec cuisant, Stéphane Heili préfère voir le bon côté des choses, et ne jette surtout pas la pierre à la fédération d’avoir accepté la proposition de Fuchs en 2020 : « Aujourd’hui, sincèrement, on ne regrette pas. Chez nous, en tout cas, il n’y a pas eu d’investissement, ni des clubs, ni de la ligue. Et finalement, pour la fédération, c’est pareil. Il y avait un acteur qui a dit : “OK, j’installe des caméras gratuitement sur tous les clubs de N2 et N3.” Il fallait être fou pour dire non. “Non seulement je l’installe tout gratuitement, mais en plus, on vous donne un peu de blé pour les droits.” Franchement, dire non, ça aurait été criminel. »

La FFF va donc procéder à un nouvel appel d’offres à la fin de la saison. Est-ce vraiment la solution de confier cette mission à un diffuseur extérieur qui fera payer un abonnement auquel peu de personnes adhéreront ? « Pour moi, il n’y a pas 36 000 solutions : soit on laisse les clubs faire, soit la fédération prend une partie en charge. La leçon à tirer de tout ça, c’est de s’interroger sur le vrai modèle économique de la diffusion du football amateur en France. Est-ce qu’il y en a un ? Et si oui, est-ce qu’il peut être porté par quelqu’un d’autre que par la fédération ? Et s’il est porté par quelqu’un d’autre, avec quels moyens ? Parce que plus on investit, plus la qualité est bonne, plus ça coûte cher », se demande le directeur de la communication de la ligue Grand Est. Le Netflix du foot amateur, ce n’est pas pour tout de suite.

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Par Valentin Perrot et Léo Tourbe

Tous propos recueillis par VP et LT, sauf mentions.
Photo : Twitter de Fuchs Sports (@FuchsSportsfr).

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